Toutelatele

Allan Henry (Gueules cassées / Infrarouge) : « Quand on voit ses amis basculer de l’autre côté, un sentiment de culpabilité naît »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 09/04/2019 à 16:15

Ce mardi 9 avril, le magazine Infrarouge propose à 23h05 sur France 2, un numéro sur les dégâts causés par l’héroïne. Allan Henry, journaliste de Quotidien, a réalisé le sujet « Gueules cassés » en faisant témoigner ses deux amis d’enfance tombés dans la drogue. Pour Toutelatele, Allan Henry est revenu sur les difficultés de se sortir de l’addiction et apporté des nouvelles fraîches de Kévin et Anthony, ses deux amis.

Joshua Daguenet : Pourquoi avoir référencé le titre de votre documentaire aux soldats défigurés au cours de la Première Guerre mondiale ?

Allan Henry : L’expression « Gueule cassée » n’appartient pas uniquement aux soldats blessés. Il faut prendre le titre au sens littéral du terme. Il désigne aussi des gens abîmés par la drogue. Nous ne faisons aucune référence aux soldats de la Première guerre mondiale. Nous ne faisons aucun lien parce qu’il n’en existe pas. Il aurait été maladroit de comparer les victimes de la Guerre avec celles de la drogue.

Avez-vous convaincu facilement vos amis, entraînés dans la drogue, de témoigner à visage découvert pour Infrarouge ?

J’ai été surpris qu’ils acceptent tout de suite. Ils m’ont assuré qu’ils étaient toujours partants juste avant de se lancer dans l’aventure en me disant : « Même si c’est trop tard pour nous, ça servira pour les générations futures ».

La cigarette et la bière sont très présentes dans ce sujet alors que le tabac et l’alcool sont des addictions tout aussi destructrices…

Leur présence s’est imposée naturellement. Nous avons tous des addictions et il y’en a d’autres dans le film. Les moments où l’on nous voit fumer résident à travers des entretiens filmés, durs, et ça permettait à tout le monde de respirer. Ce n’est pas un choix volontaire de se dire « Nous allons boire une bière ou nous allons fumer une clope ».

La narration est d’un langage plutôt familier. Le public visé se situe donc vers la jeunesse ?

L’angle de ce type de commentaire est de me placer non pas du côté d’un journaliste mais du côté d’un mec de trente ans qui va revoir ses potes. Je souhaitais le retranscrire de la manière d’un gars de trente ans qui s’adresse à ses potes. Ce n’était pas pour toucher les jeunes en parlant de la sorte.

« L’héroïne bloque les gens dans l’adolescence et l’enfance »

Kévin, menacé de prison par une éducatrice et accablé par sa grand-mère, souffrant d’un cancer, ne donne pas l’image d’une personne désirant se sortir de la drogue...

Au début du film, Kévin est dans un appartement thérapeutique pour la première fois de sa vie. C’est une volonté affichée de vouloir s’en sortir. À la fin, il replonge. Cela illustre ses hauts et ses bas depuis dix ans. C’est lui et lui seul qui pourra s’en sortir comme le confie son médecin. Le film ne donne pas de réponse définitive car on ne peut pas en avoir.

Il affiche une certaine asociabilité quand il indique à un moment ne pas vouloir sortir ni voir de monde…

Lorsqu’il dit ça, il sait que s’il revoit du monde, il fréquentera principalement des gens liés au milieu de l’héroïne. Il se dit alors qu’il a plus de chance de s’en tirer seul qu’avec ce type de fréquentation.

Anthony, plein de bonnes intentions, rêvait de fonder une famille et semblait épanoui auprès de sa compagne. Pourquoi l’a-t-elle quitté ?

Cette séparation n’est pas due à une rechute. C’est une histoire de couple. Quand on est pris dans une addiction, l’amour représente à son tour une addiction. Cela peut très vite crier très fort et on gère mal ses émotions. L’héroïne bloque les gens dans l’adolescence et l’enfance et je pense que leur relation amoureuse était prescrite.

Vous n’expliquez pas ce qui vous a permis de réussir, à l’inverse de vos amis. Pourquoi ce retrait permanent tout au long du documentaire ?

J’offre des clés de compréhension quand je discute avec mon père. Cela permet de montrer que le tissu familial est un point qui a fait que je ne sois pas tombé.

« Le documentaire est un exercice très différent du hard news de Quotidien »

Votre père vous demande de ne pas culpabiliser vis-à-vis de vos amis. Comment est née cette part de honte du simple fait d’avoir réussi à s’insérer dans la société ?

Ce n’est pas une honte vis-à-vis de moi mais un sentiment de culpabilité à leur égard. Il est né lorsque l’écart a été creusé. À un moment donné, nous sommes sur un point de croix, nous sommes les mêmes : pas un n’est plus intelligent, plus brillant, et nous partageons les mêmes délires. Puis, en quelques mois, les trajectoires s’opposent. Quand on commence à réfléchir et qu’on les voit basculer de l’autre côté, de ça naît un sentiment de culpabilité.

Vos retrouvailles avec Kévin et Anthony se sont opérées devant France / Pérou, pendant la Coupe du monde de football l’été dernier. Qu’en est-il de leur situation aujourd’hui ?

Le passé judiciaire d’Anthony l’a rattrapé comme on peut le voir à la fin du documentaire. Il a pris un an de prison mais va sortir au mois de juin grâce aux remises de peine. Nous nous échangeons beaucoup de lettres. J’ai l’impression qu’il va bien, ses lettres sont soignées, droites, sans faute. Pour Kévin, c’est plus compliqué. Depuis la fin de l’été, il est dans une période de creux. Il est en liberté dehors, mais plongé dans la drogue, alors qu’Anthony est en dehors de la drogue mais en prison.

Par ailleurs, vous êtes l’un des journalistes de Yann Barthès dans Quotidien. Quelles sont vos prochaines missions ?

Je suis hyper bien avec Azzeddine Ahmed-Chaouch avec qui je travaille sur le Chaouch Express. Le documentaire est un exercice très différent du hard news avec des moments très difficiles mais beaucoup de moments de joie. Pour l’instant, j’ai une saison bien rude à terminer et je n’ai absolument pas soulevé la question de savoir si TF1 ou TMC veut faire des documentaires à 21 heures. Dans le futur, il est évident que j’aurai envie de réaliser un nouveau documentaire mais c’est trop tôt pour vous dire où et quoi.