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Journée contre l’homophobie > Rencontre avec Julie Gali, réalisatrice d’Illegal Love

Claire Varin
Publié le 14/05/2012 à 13:22 Mis à jour le 27/05/2022 à 00:43

A l’occasion la journée mondiale contre l’homophobie, Planète+ diffusera Illegal Love de Julie Gali. Ce documentaire retrace la mobilisation de la communauté gay et lesbienne aux États-Unis, suite à l’adoption de la Proposition 8, interdisant le mariage pour les homosexuels, en Californie. Rencontre avec la réalisatrice. -A noter que cette interview a été réalisée, en avril 2012, avant l’élection de François Hollande (favorable au droit au mariage pour les homosexuels) et avant que Barack Obama se déclare en faveur du mariage.-

Claire Varin : Pouvez-vous revenir sur la naissance du projet Illegal Love ?

Julie Gali : J’étais partie pour ramener des documents vidéo, au cas où Barack Obama était élu. Je suis rentrée dans ce processus de suivre les démocrates durant leur campagne. Et le lendemain de l’élection, je tombe nez à nez avec des gens dans la rue en train de manifester. A Los Angeles, il y a West Hollywood, qui est accolé à Sunset Boulevard, et pour la première fois depuis très longtemps leur révolte s’est étendue hors de leur quartier, ce qui est extrêmement rare aux États-Unis. On était dans ce quartier de Sunset, dans un bar à boire des verres pour fêter la victoire d’Obama et on entend des gens crier « equal rights ». J’ai pris ma caméra et je les ai suivis.

À la base, vous n’aviez donc pas ce sujet en tête ?

Quand je me suis décidée à faire le film, je découvrais le sujet. En Californie, la Proposition 8 était un enjeu bien plus important que l’élection de Barack Obama. Au fur et à mesure des interviews que j’ai pu faire et des gens que je rencontrais, j’en apprenais de plus en plus. Ça m’amenait à d’autres rencontres. J’ai réalisé au moins 80 interviews. Je ne voulais pas me borner à un seul point de vue, que ce soit les pro mariage et ceux qui sont contre. J’ai également discuté avec des gens dans la rue aussi. Et pour moi, l’interview la plus belle est avec le homeless (SDF) dans le métro à San Francisco.

Quel a été le déclic pour faire le film ?

En rentrant en France, je suis rendue compte que personne ne parle du sujet. Il a été englouti par la couverture médiatique de la victoire d’Obama. Il y a aussi une espèce de cynisme qui m’a intéressée ; c’est-à-dire que le jour où Obama est élu, il se passe ça en Californie. Ce sont deux sujets forts qui viennent se confronter.

Vous posez en quelque sorte votre regard de Française sur la société américaine...

Pendant le tournage, j’ai rencontré quelqu’un, qui m’a dit « Il aura fallu attendre qu’une Française hétérosexuelle raconte notre histoire ! » Ça m’a amusée. Je suis fière d’avoir fait ces rencontres, qui sont des hérauts, et d’être un vecteur via ce film. Ils ont prouvé que lorsqu’on veut changer les choses, il ne faut pas hésiter à le dire et à se mettre dans ce processus. Ce sont les mêmes que ceux du mouvement « Occupy Wall Street ». Ils veulent contribuer à changer la société. Cette marche sur Washington a créé une petite flamme et leur victoire les a encouragés à s’attaquer à d’autres injustices.

Sur place, avez-vous eu conscience d’être au milieu de l’Histoire en marche ?

Oui. Je n’avais jamais fait de film et je me lance dans cette aventure avec la sensation qu’un événement historique est en train de se produire et qu’il faut le filmer maintenant parce qu’après il sera trop tard. Notamment, parce qu’au moment où la communauté LGBT décide de se réunir, elle se revendique du mouvement afro-américain. Dans ce contexte de l’élection d’Obama, on est dans une nouvelle ère de changement, de progrès et d’espoir. Et cette jeunesse décide qu’elle va se battre et marcher sur Washington. C’est époustouflant d’être au cœur de cela et de rencontrer ces personnes.


Vous n’avez pas eu de difficulté à rencontrer les Mormons pro-8 ?

Ça a été un peu compliqué. Ce sont des gens que j’ai vus dans ma deuxième phase de tournage. J’ai d’abord rencontré tous les partisans pour le mariage gay (les « No on 8 »), qui sont extrêmement mobilisés et qui sont ouverts pour discuter avec tout le monde. En revanche, les « Yes on 8 » ne sont pas disposés à en discuter dans les médias parce qu’ils ont eu leur victoire. Je parviens à les rencontrer au moment de la Marche sur Washington car ils sont à nouveau dans un processus de campagne. Le vote de la Cour Suprême en mai 2008 - qui à l’origine de la Prop 8 - d’avoir à légaliser le mariage homosexuel est, dans leur fondement et les croyances, quelque chose qui n’est pas compréhensible pour eux.

Pour la version française, des célébrités se sont prêtées au doublage. Était-ce important pour vous d’avoir dans ce film Émilie Dequenne, François Cluzet, Daphné Roulier, ou encore Thierry Lhermitte ?

Dans l’écriture de mon documentaire, je voulais une nouvelle forme et éviter la voix-off. Ensuite, il y a une sorte d’obligation d’avoir des versions françaises pour les films en langue étrangère. Ce qui se comprend parce qu’il y a quand même moins de personnes qui ont envie de voir un film sous-titrés qu’un film en français. Et toujours dans ma démarche de trouver une nouvelle forme sans voix-off, je ne voulais surtout pas avoir un gars qui fait toutes les voix masculines du film ou une femme qui fait toutes les filles. Je ne veux pas perdre l’âme de mes personnages. Après dans le concret, j’ai demandé à une personnalité qui a accepté, puis une deuxième... Il y a eu une sorte d’engouement autour de la cause : les libertés et la fin des discriminations. Et ces personnalités françaises peuvent amener un public qui d’ordinaire ne se serait pas vraiment intéressé au sujet.

Illegal Love a été diffusé une première fois sur Canal+. Planète+ va le rediffuser pour la journée mondiale contre l’homophobie. Le film poursuit sa vie dans les festivals ?

Oui. Évidemment, les festivals LGBT se sont intéressés à Illegal Love parce qu’il suit une histoire en marche. Et d’autres festivals l’ont pris dans des catégories « lutte et révolte sociale », notamment au Chili au Festival Valdivia.

Essayez-vous de le vendre à d’autres chaînes ?

Il a été diffusé aux États-Unis en octobre 2011. Il va être diffusé en Israël et en région Benelux. Le fait que Planète+ le reprenne pour la veille de la journée mondiale contre l’homophobie, c’est des rendez-vous, je pense, à ne pas manquer. Les chaînes doivent conserver cette place initiale pédagogique. De distraction, certes, mais de pédagogie aussi et de réflexion. Ce sera vraiment super que France Télévisions le diffuse.

Faire le film vous a sensibilisée sur le sujet. Mais la situation en France vous intéresse-t-elle ?

Ce sujet est arrivé à moi et il m’a emportée. Ces gens qui ont laissé leur vie de côté pour s’investir dans un activisme, motivé par une chose fondamentale qui est le changement de leur vie, m’a profondément intéressée. En France, depuis que le film est sorti, il y a eu plein d’événements qui auraient pu mettre le feu aux poudres et où il ne s’est finalement pas passé grand-chose. Notamment, le Conseil Constitutionnel qui verbalise l’interdiction du mariage (en janvier 2011, le Conseil Constitutionnel déclare l’interdiction du mariage homosexuel conforme à la Constitution, ndlr). Aux États-Unis, ils se seraient déjà enchaînés (rires). Après c’est peut-être simplement dans leur culture. Ou est-ce ce fameux « les États-Unis ont dix ans d’avance » ? Je ne sais pas, mais c’est saisissant parce que le sujet de la discrimination homosexuelle est traité depuis déjà très longtemps, aux États-Unis. Dans tous les médias. Il y a plein de films au cinéma qui ont été faits, notamment Brokeback mountain. On présente deux personnes amoureuses l’une de l’autre et peu importe leur orientation sexuelle, on est touché par l’impossibilité de leur amour.


Aux États-Unis, depuis deux ou trois saisons, les personnages homosexuels se multiplient dans les séries. En France, on est là aussi très en retard...

J’ai le sentiment que c’est quelque chose qui est en train de se faire. Petit à petit, ça se révèle, mais ça prend encore son temps. C’est aussi porté par l’exemple de ce pays - en avance ou pas - que le sujet est en train de se mettre au centre des discussions. Il est absent de la campagne présidentielle. Donc encore une fois, si la classe politique ne se mobilise pas pour avoir à en discuter ou alors à coups d’horreur, comme les propos tenus par Christian Vanneste.

Vous avez également réalisé Gaga by Gaultier, qui a notamment été multidiffusé sur The CW. Ce documentaire vous a-t-il ouvert des portes aux États-Unis ?

C’est une expérience suffisamment importante pour être repérée et visible. Mais, je ne suis pas encore retournée aux États-Unis depuis la diffusion d’Illegal loveet de Gaga by Gaultier. Et les Américains, il faut aller vers eux pour sentir la tendance, alors je ne sais pas encore. On verra. J’espère. Quoi qu’il en soit, c’était une superbe expérience personnelle. Les conditions étaient vraiment très différentes, mais c’était aussi intéressant.

Ce documentaire a-t-il changé votre regard sur Lady Gaga ?

Mon regard s’est posé sur Lady Gaga quand je l’ai rencontrée à Washington pour Illegal love. En France, elle n’était pas encore connue à l’époque. Et j’ai vu cette nana dont tout le monde là-bas était fou. La rencontre entre Gaultier et elle n’a pas spécialement changé mon regard. Son implication en faveur de la cause LGBT est très importante.

Vous êtes également assistante réalisateur sur des émissions de télévision. Vous êtes notamment passée par la Star Academy. Quels souvenirs gardez-vous de ces années-là ?

C’est un souvenir génial ! Ces grosses émissions en direct, c’est impressionnant et fascinant. C’est très particulier le direct parce que le temps est complètement différent. C’est-à-dire qu’on se retrouve à devoir, en trente secondes, installer les mises en scène de Kamel Ouali. Chose qui est normalement humainement impossible à installer en trente secondes (rires). Ce sont des équipes entières qui se lancent ensemble pour réussir sur ce genre de passage et pour ne pas rater ce top entrée. Cette énergie était super. J’adore ça.

Avez-vous d’autres projets ?

Grâce à Illegal love, j’ai créé ma société de production, donc maintenant je développe aussi les projets d’autres personnes. Là, on produit des courts métrages et j’écris un documentaire politique sur les speech writers. Faire un documentaire comme premier film a été un hasard, mais travailler sur le réel est quelque chose qui m’a vraiment plus.