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Jacques Martin : l’ami des dimanches s’en est allé

Joseph Agostini
Publié le 15/09/2007 à 19:47 Mis à jour le 15/03/2010 à 15:04

En 1998, France 2 décide de rajeunir ses dimanches après-midi, occupés depuis 1976, par un certain Jacques Martin. A soixante-cinq ans, celui qui fut l’un des animateurs les plus populaires du petit écran disparaît de l’antenne pour ne plus jamais y revenir. Pourtant, depuis sa mort, le 14 septembre 2007, ce ne sont pas les hommages qui manquent.

Jacques Martin avait mauvais caractère, une propension à être malheureux, une tendance exagérée au perfectionnisme, mais était, pour la plupart des professionnels de l’art cathodique, l’un des plus grands bateleurs de tous les temps. « Nous sommes tous des enfants de Jacques Martin » a résumé Danièle Gilbert, que lui-même avait baptisée « La grande Duduche » dans les années 70, au moment où tous deux animaient Midi Magazine. Mais qu’avait-il de plus que les autres, ce Jacques Martin, pour être si apprécié et si critiqué à la fois, si aimé par le grand public et si oublié depuis son limogeage ?

Né à Lyon en 1933 d’un père industriel et d’une mère descendant du chef de cuisine du tsar Nicolas II de Russie, le petit Jacques est élevé par les jésuites. Sa vie, il la gouvernera comme son grand-père dirigeait son grand restaurant lyonnais : avec minutie et audace. Il débute à la télévision à Télé Strasbourg, l’insolence accrochée à son sourire, puis auprès de Jean Yanne, dans 1=3, l’émission vedette de l’ORTF. L’insolence sera sa marque de fabrique, une sorte de distance, d’ironie qu’il aimait à mettre en lui et les choses. Cela donnera bien sûr Le petit rapporteur et La lorgnette, des émissions fantaisistes et subversives, dans lesquelles Daniel Prévost, Pierre Bonte, Pierre Desproges, Stéphane Collaro, Claude Sarraute ou bien encore la jeune Daniela Lumbroso, eurent tout loisir de donner cours à leur humour.

Plus tard dans le temps, Jacques Martin renouvelle l’expérience du divertissement satirique, avec Ainsi, font, font, font, où Laurent Ruquier, Virginie Lemoine, Laurent Gerra et Julien Courbet firent leur premier pas. Mais un grand restaurant, ça ne fonctionne pas avec une seule recette. Jacques Martin, c’était aussi la passion du chant, de la variété au lyrique, de la première partie de Jacques Brel à l’Olympia à l’enregistrement de l’opérette La belle Hélène. D’ailleurs, cet éclectisme s’est toujours reflété dans les émissions musicales qu’il créait et animait à la télévision, comme Musique et Musique, Thé Dansant ou, plus proche de nous, Le monde est à vous, tourné au Théâtre de l’Empire.


Un grand restaurant, c’est aussi et surtout un plat légendaire. Pour Jacques Martin, ce fut incontestablement L’école des fans, une émission qu’il anima sans interruption, durant dix-neuf saisons. Le principe était simple : faire chanter les enfants en public, toujours à l’Empire, qui restera, jusqu’à sa fermeture à la suite d’un incendie, un lieu mythique marqué par le charisme du grand Jacques. Qui n’a pas en mémoire les parents émus ou hilares des enfants de L’école des fans ? Vanessa Paradis elle-même y a fait ses débuts, à l’âge de huit ans. Patrick Sébastien essaya de remettre L’école des fans au goût du jour mais n’est pas Jacques Martin qui veut : la nouvelle version de l’émission passa relativement inaperçue.

La dernière invention de Jacques Martin se nommait Sous vos applaudissements et était destinée à servir de tremplin aux apprentis animateurs. Laurent Artufel, qui présente aujourd’hui des émissions sur France 2 et NT1, a été parmi les candidats de ce jeu ! Avant Popstars, Star Academy et Nouvelle Star, Jacques Martin avait été encore une fois précurseur de ce type de concept, preuve apportée à ses détracteurs qu’il n’était pas encore démodé ! Malheureusement, en 1997, victime d’un accident vasculaire cérébral, il doit rendre son tablier. Jean-Claude Brialy terminera la saison de Sous vos applaudissements, un programme finalement abandonné par la chaîne l’année suivante.

En quarante ans de télévision, de Télé Strasbourg à Antenne 2 (puis France 2), Jacques Martin avait dépassé le statut d’ « animateur » et même d’ « animateur producteur », un titre qui lui avait d’ailleurs valu de nombreuses critiques au moment du scandale qui visait Jean-Pierre Elkabbach et sa politique de service public, en 1994. Jacques Martin avait « inventé » sa télé à lui, entre satire et musique classique, entre jeux et gastronomie.

« Il avait l’esprit bon enfant » a dit de Jacques Martin, Stéphane Collaro. « Il était doté d’une culture exceptionnelle » a ajouté Jean-Pierre Foucault. C’est sans doute cet alliage de la jovialité et de l’érudition qui faisait de lui un personnage à part, beaucoup plus qu’un show man ou un simple gestionnaire. Jacques Martin est mort et c’est un sacré coup de blues pour la télévision française. Des années ORTF, il ne restera bientôt plus rien que des archives, des images en noir et blanc colorisées par nos soins, pour nous souvenir « du bon vieux temps »...