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Au coeur de Pigalle, la nuit

Alexandre Freedman
Publié le 23/11/2009 à 13:10 Mis à jour le 03/12/2009 à 12:23

29 juin 2009, 11 heures. Une longue file d’attente s’amasse dans le XIVe arrondissement de Paris, prête à rentrer dans la salle du Bobino qui a été pour l’occasion redécorée en club contemporain distingué. Avec ses lasers, spots et pistes de danse, le lieu est prêt à accueillir des danseurs, chanteurs, et strip-teaseurs

Au milieu d’un public en délire, le réalisateur Hervé Hadmar s’attèle derrière la caméra à tourner ses plans d’intérieur pour la série de Canal+, Pigalle, la nuit.

Derrière ce projet ambitieux, deux amis et collaborateurs de longue date, Hervé Hadmar et Marc Herpoux. Principalement connus pour avoir écrit et réalisé, en 2006, Les Oubliées pour France 3, avec notamment Jacques Gamblin dans le rôle-titre, ils voulaient explorer une série plus « chorale ». La société de production Lincoln TV et la chaîne cryptée leur ont offert cette opportunité.

« L’idée était de créer un univers où d’autres histoires peuvent se décliner » confie Hervé, « c’est comme un oignon, ça pique un peu les yeux, mais il faut y aller. » En effet, alors que le personnage de Thomas (interprété par Jalil Lespert) constitue le fil rouge de la première saison, des dizaines de personnages diverses, de par leur origine et leur caractère, ponctuent un casting haut en couleur.

De nombreux talents du cinéma, du théâtre, et même de la musique, viennent se joindre aux « couches » du quartier. Simon Abkarien, récemment vu dans Casino Royale, incarne Nadir, la figure patriarche respectée de tous. Il a comme rival Eric Ruf, qui, pour sa première série, interprète le jeune russe Dimitri, propriétaire du Paradise. Au milieu de cette opposition de deux visions du monde, notre héros « neutre », Thomas. Ce jeune trader arrive dans le quartier à la recherche de sa sœur, Emma, depuis devenue strip-teaseuse.

Pigalle, le quartier le plus « chaud » de Paris, est aussi l’un des plus méconnus. Confinés aux stéréotypes, les scénaristes voulaient lever le voile sur cette « ville dans la ville » en s’attachant plus à l’humanité de ses habitants qu’à son côté sulfureux. Il s’agit aussi d’un personnage à part entière, possédant une polysémie unique.

Les auteurs ont également essayé de conserver un parti pris au niveau du réalisme de la série. Cette scène tournée à l’intérieur du Bobino est en fait « l’exception qui confirme la règle », la majorité du programme ayant été fait au cœur même du quartier, dans les vrais décors. Véra Peltekina, chargée du programme pour Canal +, cite comme exemple le Sexodrome, soit le plus grand sex-shop d’Europe. Pour les scènes de rues, les caméras sont mises à l’écart pour laisser place aux acteurs, noyés au milieu des passants. Le réel se confronte alors avec la fiction.

Avec son mélange d’onirisme et de rude réalité, Pigalle, la nuit veut également volontairement faire écho à des séries américaines comme Twin Peaks. On notera par exemple la présence au casting du célèbre jazzman Archie Shepp, ayant ici le rôle d’un ancien soldat américain hanté par ses visions du passé.

Après plus de quatre mois de tournage et huit épisodes, Pigalle, la nuit offrira à ses téléspectateurs une riche gamme de personnages et un casting hors pair accompagnant un scénario à priori pensé.


Rencontre avec Hervé Hadmar, réalisateur de Pigalle, la nuit

Comment voyez-vous le problème de crédibilité dans les séries françaises ?

Hervé Hadmar : C’est la première question que l’on se pose avec Marc. Souvent, en France, on entend dire qu’elles ne sont pas crédibles. Celles que l’on croit, comme Reporters de Canal+, contiennent des univers que les auteurs arrivent à traduire. R.I.S. ça ne marche pas car ce n’est pas comme cela que la vie se passe. Ce n’est pas dans notre culture de sortir un pistolet. Nous sommes d’origine latine, pas anglo-saxonne, nous ne vivons pas dans le mythe du Western. Cela nous mène donc à réfléchir sur comment nous pouvons rendre ces histoires un peu extrêmes tout en les inscrivant dans une réalité plausible.

Comment avez-vous abordé l’aspect graphique de Pigalle, la nuit ?

Hervé Hadmar : Cela s’est construit au fur et à mesure, mais il y avait tout de même des bases. Lorsqu’on traite de Pigalle, c’est évident que l’on va filmer des néons et des personnes qui vont se déshabiller, mais il ne faut pas en avoir peur. Ce ne sont pas des clichés, mais des codes. Pigalle, c’est presque un genre à part entière, et il faut donc se servir des codes du genre. Il faut le faire au service d’une dramaturgie qui ne soit ni gratuite ni vulgaire.

En quoi la série Pigalle, la nuit se différencie-t-elle des Oubliées ?

Hervé Hadmar : Contrairement aux Oubliées, c’est une série assez rapide et très chorale. Il y a également des choses humoristiques, des personnages hauts en couleurs, des situations décalées. Nous ne sommes pas que dans le grave. Les Oubliées était volontairement assez lent, très cérébrale, dans la tête du personnage principal instable. Ici, nous sommes plus posés, mêlant à la fois la caméra à l’épaule et le steady-cam. Il ne fallait pas filmer les scènes de comédies comme Jacques Gamblin perdant la raison. De ce côté-là, c’est plus ouvert au grand public. En utilisant une analogie, dans la Foire du Trône, les Oubliées serait le train fantôme et Pigalle le grand huit. C’est très varié en termes de rythme et de genre.