Toutelatele

Bruno Wolkowitch (Les Hommes de l’ombre) : « C’est toujours plus jouissif de jouer le salaud de l’histoire »

Marion Olité
Publié le 08/10/2014 à 18:47 Mis à jour le 23/10/2014 à 13:44

Près de trois ans après la diffusion de la première saison, Bruno Wolkowitch a renfilé le costume du roi de la communication politique, Simon Kapita, pour la saison 2 des Hommes de l’ombre. L’occasion de rencontrer un acteur entier, qui, surprise, n’aime pas les séries.

Marion Olité : Comment avez-vous vécu cette attente entre la première et la deuxième saison des Hommes de l’ombre ?

Bruno Wolkowitch : Bien, car je ne suis pas quelqu’un qui aime les séries. Je n’aime pas les faire et je n’en regarde jamais. Je ne regarde pas la télé de toute façon. PJ a été un accident. Je l’ai fait par affect avec son metteur en scène, Gérard Vergez. Je m’étais dit : « C’est tellement bien que ça ne marchera pas. » En France, quand c’est osé politiquement et au niveau du style, on fait une saison et c’est mort. Et puis ça a été un triomphe, et j’ai posé très vite ma démission, mais j’avais quand même des clauses. Puis, les dirigeants de France Télévisions ont changé 173 fois depuis (rires). Je ne suis pas du tout un adepte d’aller au bureau. Rejouer le même rôle, ça ne m’intéresse pas. Pour Kapita, on était parti sur l’idée d’un triptyque si ça marchait. Il y a de fortes chances que ça se fasse. La saison 2 est aussi bonne que la première, voire meilleure. Et le pitch de la saison 3 est formidable. Mais je ne suis pas en train de faire une série.

Pourquoi refuser ce terme de série ?

Parce que les séries me font chier ! Je ne veux pas voir ou être un personnage qui fait la même chose du premier au huitième épisode. Il a déjà interrogé une prostituée et il doit le refaire trois épisodes plus tard. J’ai vu une seule série depuis huit ans parce qu’un ami m’a juré que c’était du cinéma. Ca s’appelle True Detective, et là ok, mais s’il faisait ça sur 40 épisodes, ce ne serait pas possible. L’autre, il ne va pas débiter des phrases philosophiques et ésotériques pendant 40 épisodes. La vraie qualité n’est pas déclinable pour moi. Je n’ai jamais réussi à tenir deux saisons de quoi que ce soit en tant que spectateur. Si, au Tchad où j’ai été enfermé dans des baraquements humanitaires pendant neuf semaines. J’ai regardé 24 heures chrono en entier ! Mais je devais poireauter derrière des barbelés 20 heures par jour sans la clim’ et sans wifi.

« Les séries me font chier ! »

Vous dites ne pas aimer les séries. Pourquoi avoir accepté Les Hommes de l’ombre dans ce cas ?

Car c’était un défi pour moi : est-ce que je vais être capable de me mettre à poil sur quelque chose ? Ce rôle est bien plus difficile que de se mettre à poil physiquement ou de jouer au clown, bref d’interpréter quelqu’un de très loin de moi. Ce qui m’excite dans un rôle, c’est de ne pas savoir si je vais y arriver. Le principe de la série, c’est d’avoir réussi et de continuer. C’est refaire le même truc à la même heure, en faisant semblant d’en avoir autant envie. Un peu comme le mariage en fait (rires) ! Je n’y crois pas.

Êtes-vous tout de même heureux de retrouver le personnage de Simon Kapita ?

Oui, mais ce n’est pas un personnage facile pour moi. Il me ressemble beaucoup. C’est la première fois que ça m’arrive dans ma vie. J’ai tellement de points communs avec Simon Kapita que c’est parfois très compliqué à gérer. La réalité se catapulte avec ce qu’on tourne. On a les mêmes défauts, déjà celui d’être des hommes (rires), qui n’assument pas toujours leur vie privée et ne savent pas la gérer, merdant avec les gosses, et ne comprenant pas toujours le sens de la vie. J’espère qu’on a les mêmes qualités : une déontologie et une rigueur de travail absolue.

N’avez-vous pas l’impression d’avoir le beau rôle face à Grégory Fitoussi qui incarne votre concurrent en communication, prêt à toutes les fourberies pour y arriver ?

Mais ce n’est pas ça avoir le beau rôle pour un acteur ! C’est toujours plus jouissif de jouer le salaud de l’histoire. Faire celui qui est le plus probe n’est vraiment pas le plus sympa. Plus de ce que j’ai à jouer est loin de moi et plus ça m’amuse. Ce que j’aime chez Kapita, c’est que c’est un personnage paradoxal.

Partie 2 > Ses projets et sa vision de son métier d’acteur


Vous avez retrouvé cette saison Emmanuelle Bach, votre partenaire de PJ, qui incarne votre femme dans Les Hommes de l’ombre. Quelle a été votre réaction ?

Entre temps, on avait joué des amants dans Coup de chaleur. C’est comme Florence Pernel, avec qui j’ai tourné cinq ou six films. Ce sont deux vieilles copines de travail. Nos relations sont fraternelles. On se connait pas cœur et on n’a pas peur de se critiquer. Comme dans les familles, on s’autorise à se dire les choses. Emmanuelle est capable de me dire : « Attends, tu vas pas jouer comme ça ! Tu me l’as déjà fait il y a huit ans dans tel truc... » (rires).

Quelle est votre part de liberté sur Les Hommes de l’ombre ?

Déjà, je détesterais qu’un réalisateur me laisse carte blanche. Dans mon esprit, ce métier se fait ensemble. C’est comme faire un enfant, mais en étant une quarantaine à l’enfanter, dont une poignée de « gestateurs ». Je peux proposer des choses au moment du tournage, mais je suis interprète. Je ne vais pas donner mon avis sur le scénario. On ne demande pas à un violoniste dans un orchestre symphonique de créer une partition. Il faut la jouer suivant la direction du chef d’orchestre. Mon travail, c’est d’être à l’heure, de savoir mon texte et de jouer le mieux possible. Si je suis co-scénariste ou co-producteur, c’est une chose en plus. Là, je ne le suis pas et j’ai toute confiance dans le travail de Jean-Marc Brondolo. Si j’ai une idée, je lui propose. S’il accepte, très bien, s’il la refuse, tant pis. Je n’ai aucun orgueil ou amour-propre par rapport à ça. Moins il y a d’ego, plus il y a d’harmonie.

Vous considérez-vous comme un acteur intransigeant ?

J’espère, je le suis peut-être plus que dans ma jeunesse d’ailleurs. Après, tout dépend où vous situez l’intransigeance. Dans le choix des rôles, il faut pas déconner : il y a des moments où on accepte des trucs parce qu’il y a des impôts à payer, des contingences, et que je ne suis pas Daniel Auteuil. On ne me propose pas tous les scénarios de la Terre ! Après, l’intransigeance se manifeste dans le fait que si j’ai l’impression qu’on triche avec moi ou avec mon personnage ou que l’on se comporte mal humainement sur le plateau avec des gens, je peux vraiment me fâcher. Je suis arrivé à un âge et à un nombre de tournages où je ne vois pas pourquoi on doit faire du mal à qui que ce soit pour réussir un film. Le besoin de souffrance en tant qu’artiste est amplement suffisant, il n’y a pas besoin d’en rajouter ! Il y a des trucs sur lesquels je ne bougerai plus. Je suis trop vieux.

« Simon Kapita me ressemble trop, c’est compliqué à gérer »

Avez-vous eu des altercations de ce genre sur un plateau de tournage ?

J’ai vu des metteurs en scène insulter des comédiennes et me traiter bien au même moment. Il pourrit l’actrice devant moi et me parle comme si j’étais De Niro. Ça me rend fou. J’ai quitté un plateau deux fois pour ce genre de raisons. J’ai déjà dit à un metteur en scène : « Tu parles encore comme ça à cette comédienne, on se voit à 17h à la fin de la journée de tournage, et on va régler ça tous les deux. » Et pourtant, je n’ai jamais frappé quelqu’un. Il y a des comportements, notamment par rapport aux femmes, que je trouve intolérables. Ce serait pareil pour des hommes d’ailleurs, seulement ça ne m’est jamais arrivé.

Quels sont vos projets à venir à la télévision ?

J’ai tourné un film sublissime pour France 2, réalisé par Olivier Marchal (Borderline, ndlr). Je trouve que c’est son plus beau film, cinéma et télé confondus. Il n’y a pas de graisse, c’est ciselé, ça dit des choses sur la police qui entraîneront sans doute un débat. J’ai eu l’idée du film, à partir de laquelle Christophe Gavat a écrit son livre (sur l’Affaire Neyret, ndlr) et Olivier Marchal a fini à la réalisation. Ça devait être mon premier film en tant que réalisateur, et lui devait jouer dedans, mais je ne voulais pas commencer par un polar. C’est vraiment un projet entre potes. Depuis, j’ai participé à Accusé pour France 2 et je viens de tourner un très joli téléfilm pour France 3 de Caroline Huppert, sur un papa qui perd sa fille de 16 ans et se retrouve soupçonné de son meurtre (Un père coupable, ndlr). Je commence très bientôt une autre collection de France 3 qui s’appelle Meurtre à ... et qui sera tourné à Carcassonne dans les Templiers. Ma partenaire sera Rebecca Hampton (Céline Frémont dans Plus belle la vie, ndlr).

Peut-on dire que vous êtes devenu une figure incontournable de France Télévisions ?

Vu la différence de qualité des projets entre TF1 et ici, je gagne moins d’argent, mais je fais des meilleurs films !