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Carlton Cuse (Bates Motel) : « Le public américain a envie de voir Les Revenants »

Claire Varin
Publié le 25/10/2013 à 19:21 Mis à jour le 27/05/2022 à 00:43

Grâce à Alfred Hitchcock, Norman Bates est un des personnages les plus marquants de l’histoire du cinéma. En 2013, le tueur en série de Psychose est devenu un personnage de série télé. De passage à Paris, Carlton Cuse, showrunner de Bates Motel, nous a parlé de son travail.

Claire Varin : Les studios Universal vous ont proposé le projet Bates Motel. Qu’est-ce qui vous a fait accepter ?

Carlton Cuse : Mon processus créatif est souvent un mystère pour moi. J’ai simplement commencé à réfléchir à ce point de départ et les idées sont venues à moi. J’ai construit les choses autour d’une question : qui est Norma Bates ? Elle n’est pas dans le film, mais elle y est très présente. Nous ne la connaissons pas en dehors de l’image que son fils a d’elle. Alors la ramener à la vie était une chose très intéressante. Puis, j’ai pensé que Norman pourrait avoir un frère, comme n’importe qui. Et j’aimais cette idée d’avoir cette petite ville mystérieuse. Plus je réfléchissais et plus je me disais que ça pouvait fonctionner et devenir une bonne série. C’est toujours dangereux d’essayer des choses en traversant des territoires. Psychose est célèbre, une oeuvre presque parfaite et c’est un de mes films préférés, réalisé par un maître. Pour moi, la solution n’était pas de m’en moquer, mais plutôt de m’en inspirer. Mettre ces personnages dans un monde contemporain permettait de raconter une nouvelle histoire.

Mais vous jouez avec les deux époques...

Seuls la maison, Norman et sa mère sont hors du temps. Leur relation est intemporelle. Tous les deux, ils ont construit un univers à part. ils forment une écosphère. Et maintenant que Norman a grandi, il commence à se confronter aux autres et à ce monde moderne. Cette ouverture crée des conflits dans la relation avec sa mère. Cette collision avec le monde moderne m’apparaissait être une combinaison dramatique intéressante.

« Bates Motel raconte le combat de Norma et Norman pour rester accrochés l’un à l’autre »

Comment voyez-vous la série ?

Je crois que ça parle de leur vision bien à eux des choses. Ils sont comme un couple marié, mais au final, leur relation est transformée par des éléments bien plus forts qu’eux. Ces éléments incluent les troubles psychiatriques de Norman, la ville, le fait que Norman grandisse et se commence à se construire en tant qu’individu. La série raconte leur combat pour rester accrochés l’un à l’autre.

Vous dites qu’ils sont comme un couple marié. Avez-vous des limites dans votre représentation de cette relation quasi incestueuse ?

Je crois que l’inceste est au-delà de nos limites. Il y a un aspect romantique dans leur relation, mais pas de sexe. Ce serait aller trop loin. Et je ne crois pas que le public a envie de voir ça.

Dans le dernier épisode de la saison, il y a une scène intense et assez dérangeante dans laquelle Norma lui parle de son frère...

Oui ! En gros, elle lui dit « Mon frère me violait quasiment tous les soirs. Voilà, passe une bonne soirée ! » J’aime beaucoup cette scène. Elle lui confie le secret le plus intime qu’elle pouvait dire à quelqu’un. Cette étrangeté psychologique est très satisfaisante pour moi en tant que scénariste. J’aime ce genre de choses, mais les voir coucher ensemble ne me semble pas intéressant.

Vous avez déclaré avoir écrit le personnage de Norma en ayant Vera Farmiga à l’esprit. Qu’en était-il avec Freddie Highmore ?

Je ne connaissais pas Freddie avant les castings. Je savais qui il était, mais j’avais cette image de lui gamin dans Charlie et la chocolaterie et Neverland. Je ne connaissais pas son visage de jeune adulte. April Webster, ma directrice de casting, qui avait aussi travaillé sur Lost et qui est très brillante, a trouvé Freddie. Kerry Ehrin (co-showrunner) et moi lui avons parlé sur Skype. Nous avons tout de suite su qu’il était l’acteur parfait pour interpréter Norman Bates. Il est charmant et en même temps, on le sent capable d’être effrayant et bizarre. Vera et Freddie forment le casting parfait. Lorsqu’on fait une série, on espère toujours pouvoir réunir un bon casting. Et je crois qu’ici nous avons les meilleurs acteurs possible.

Partie 2 > Son implication dans l’adaptation des Revenants


Dans cette saison, la violence de Norman progresse de manière assez lente. Comment imaginez-vous la suite ?

Au début, il fallait que le public puisse s’attacher au personnage, que l’on puisse l’aimer et que l’on se mettent à espérer qu’il ne devienne pas le gars que l’on connait dans le film. Ceci dit, une des choses intéressantes dans Psychose est que l’on aime Norman Bates. Je crois que lorsque l’inspecteur arrive au Motel et commence à poser des questions, on n’a pas envie que Norman se fasse attraper. Hitchcock réussit à nous faire aimer le méchant de l’histoire. Et il tue l’héroïne dans le premier acte. C’était un vrai choc pour le spectateur de 1960. Cette manière dont Hitchcock détourne les attentes du public est une vraie inspiration pour moi.

Avez-vous une idée du nombre de saisons que vous voulez donner à la série ?

Dans mon esprit, Bates Motel a évidemment un début, un milieu et une fin. Pour l’instant, c’est difficile de dire combien de saisons aura la série. C’est une chose que l’on doit encore négocier avec Universal et A&E. Je pense qu’après la saison 2, nous aurons une idée plus claire sur ce qui nous reste à raconter.

« Cette manière dont Hitchcock détourne les attentes du public est une vraie inspiration »

Imaginez-vous finir la série au moment où Norman tue sa mère ?

Je ne pense pas que les choses iront en s’arrangeant pour Norma Bates. (Rires) Je ne veux pas en dire trop, mais je pense que la fin sera une version de ce que l’on voit dans le film, sans être tout à fait pareil.

Pensez-vous que Dexter a changé des choses dans la manière dont les séries représentent leurs héros ?

Il semble qu’il y ait beaucoup de tueurs en série à la télévision actuellement. Je crois que ce sont des coïncidences. Je ne réfléchis pas beaucoup à ce que les autres showrunners font. J’essaie juste de trouver de bonnes histoires à raconter. Je n’ai pas d’explication géniale à donner sur pourquoi de nombreuses séries télé explorent les mêmes thèmes en ce moment.

Mais cela doit bien vouloir dire quelque chose sur nous ?

Absolument. Je crois que le public aime voir des histoires différentes à différentes périodes. Quand j’écrivais Lost, tout pouvait arriver aux personnages et c’est une des raisons du succès de la série. Ils étaient coincés dans cette jungle d’où n’importe quoi pouvait surgir. C’était un monde post 11-septembre où les gens avaient beaucoup de peur concernant le terrorisme. Cet élément était très identifiant pour le public. Je ne sais pas quelle métaphore globale voir dans ces personnages de serial-killers, mais je pense qu’il y a quelque chose là, dehors, qui rend les gens si réceptifs à ce genre.

Vous êtes attaché au projet de remake de la série Les Revenants (Canal+). Pouvez-vous dire quelques mots à ce sujet ?

Il est possible que je le fasse. Pour le moment, nous ne sommes qu’au stade des discussions. Mais ce projet m’intéresse. J’ai regardé la série française et je l’ai trouvé très intéressante. Les Revenants est une belle série. C’est très bien écrit et très bien réalisé. C’est, à mon sens, quelque chose que le public américain aimerait voir.

Est-ce la première série française que vous avez vue ?

J’aimerais beaucoup voir davantage de productions françaises, mais je n’ai même pas le temps de regarder toutes les séries américaines que j’aimerais voir. Je suis tellement occupé à faire de la télévision, qu’il m’est souvent difficile d’avoir du temps pour la regarder. Ma liste est assez longue. Récemment, j’ai lu un article intéressant du New York Times à propos des fictions françaises que nous ratons tous. [Cet article publié le 29 août 2013 vantait les qualités d’Engrenages, Les Revenants, Maison Close et Un Village français, ndlr.] J’ai envie de toutes les voir.