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Carole Bouquet (Les hommes de l’ombre) : « Je ne souhaite à personne d’être Première dame ! »

Marion Olité
Publié le 01/10/2014 à 19:13 Mis à jour le 07/10/2014 à 12:59

2014 aura été placée sous le signe des séries pour Carole Bouquet. Alors qu’elle n’était plus apparue sur le petit écran depuis son guest dans Sex & the City en 2004, l’actrice était à l’affiche en mai dernier de la mini-série de prestige, Rosemary’s baby, diffusée sur la chaîne américaine NBC. Elle y donnait la réplique à Zoe Saldana et Jason Isaacs. Cet automne, la comédienne remonte sur les planches dans une pièce de Pinter (Ashes to Ashes), et sera aussi une Première dame perturbée dans la saison 2 des Hommes de l’ombre, qui débute le 1er octobre sur France 2. Rencontre avec une comédienne lumineuse et passionnée.

Comment avez-vous appréhendé ce personnage des Hommes de l’ombre, diagnostiqué comme bipolaire ?

Carole Bouquet : Cette femme est contrainte depuis des années à faire quelque chose qu’elle n’aime pas. Elle ne se sent pas à sa place. Et elle sait en même temps qu’elle a les moyens de faire autre chose, mais elle y a renoncé par amour, et pour respecter l’ambition d’un homme. Elle n’aime pas le pouvoir, et elle se retrouve à l’Élysée. Je ne sais pas si cette femme est vraiment bipolaire. Pour moi, elle est devenue dépressive, car elle évolue dans un endroit où elle ne veut pas être. Et depuis longtemps.

Par quoi avez-vous été séduit dans ce personnage de Élisabeth Marjorie ?

C’est un très beau rôle de femme à jouer. Quand la scénariste m’a contacté, elle m’a dit : « J’écris le rôle d’une femme alcoolique et maniaco-dépressive, et j’ai pensé à vous en l’écrivant » (rires). Je lui ai répondu que je le prenais comme un compliment (rires). Cela dit, elle a raison. Quand on dépasse les 50 ans, on a envie de jouer autre chose que les « ravies de la crèche ». On sait qu’il y a des hauts et des bas dans un vrai personnage. Le mien dans Les hommes de l’ombre s’est sacrifié pour son mari.

L’aspect politique de la série vous a-t-il attiré ?

Oui, j’avais vu la première saison que j’avais trouvé très pointue. J’ai lu les scripts des deux premiers épisodes, qui étaient extrêmement bien écrits. C’était tellement réaliste. Au point qu’on se demande en voyant certains épisodes si les scénaristes n’étaient pas dans les couloirs de l’Élysée, à assister aux scandales qui allaient arriver ! Il y aura peut-être encore plus de matière l’année prochaine. Depuis l’arrivée de ces machines (les smartphones, ndlr), c’est encore plus facile. Tout le monde parle, les discussions en conseil des ministres sont enregistrées...

« Dans certains épisodes, on se demande si les scénaristes n’étaient pas dans les couloirs de l’Élysée ! »

Que pensez-vous de la vie d’une Première dame dans ce contexte ?

Si vous êtes Première Dame, vous ne pouvez faire qu’une chose, c’est vous taire. Tout ce que vous direz sera interprété. Que vous reste-t-il ? Pas grand chose. Il faudrait exercer un métier à l’écart de tout pour prendre du recul. Prenez l’exemple de Cherie Blair. Elle a continué à être avocate pendant le mandat de son mari, mais qu’avait-elle le droit de plaider ? Ce sont des conflits d’intérêts en permanence. Carla Bruni a passé énormément de temps, et de façon très gracieuse, en représentation. Et en même temps, c’est la moindre des choses pour les gens quand vous êtes Première Dame, d’arriver et de ne pas faire la gueule.

Ce rôle d’ambassadrice de la France a-t-il trouvé un écho particulier en vous ?

Oui, j’ai travaillé pendant quinze ans pour Chanel. Je n’allais pas arriver en faisant la gueule sur les plateaux télé. J’ai beaucoup voyagé. À l’époque, la France à l’étranger c’était vraiment la baguette de pain, le saucisson et Chanel (rires) ! Quelque soit le souci, ou la pire chose qui vous soit arrivée dans la journée, il faut faire bonne figure et rester polie envers les gens. D’ailleurs, je trouve qu’on demande aux Premières dames beaucoup plus qu’aux hommes. Que je sache, Monsieur Merkel n’est pas en couverture des journaux en permanence. Il a un métier qui le protège.

Pensez-vous que les Premières dames ont plus de chances que les autres d’être atteintes de dépression ?

Le rôle de Première Dame - on dit un rôle d’ailleurs - est vraiment difficile. À moins de plonger totalement dans des projets caritatifs, qui font qu’on ne peut pas vous demander des comptes en permanence et qu’il n’y a pas de conflits d’intérêt, c’est à mon avis impossible de s’en sortir sans souffrir. Je ne le souhaite à personne !

Vous êtes-vous inspirée d’une Première dame en particulier ?

Non, pas vraiment. Il existe tellement d’exemples depuis des siècles sur les femmes de pouvoir, ou qui en sont proches... Et sur le fait de souffrir et de ne pas vouloir être là où vous êtes, ça se pioche au fond de soi-même. Pas besoin de copier une femme en particulier, ou de vouloir coller absolument à une réalité politique. C’est un sentiment que l’on peut comprendre.

« La politique est noyée dans la communication. Les hommes de l’ombre le montrent très bien »

Votre regard sur le monde politique a-t-il changé avec cette série ?

Non. J’ai travaillé avec des politiques pour « La voix de l’enfant » pendant vingt ans, et je continue. J’étais dans les ministères un jour sur deux. Ça me prenait autant de temps que mon métier d’actrice. J’ai travaillé avec tous les ministres de gauche comme de droite, certains très bien, d’autres beaucoup moins. Les rouages, je les connais. Je constate surtout que la communication a tout changé. Elle est devenue omniprésente. Les caméras sont partout. L’espace de liberté des politiques s’est restreint. À mon petit niveau, cela me gêne déjà d’être filmée quand je vais intervenir dans une radio par exemple. Une femme politique est filmée en permanence. Le moindre mouvement ou geste est interprété. J’ai la liberté de dire que je suis une saltimbanque. Ce n’est évidemment pas ce qu’on attend d’un politique. Leur marge de manœuvre est de plus en plus réduite.

Croyez-vous toujours en la politique aujourd’hui ?

Énormément, et je continuerai. J’ai trop de respect pour cette vocation. J’ai grandi avec Lucie Aubrac et Stéphane Hessel. Je n’ai pas intérêt à dire que ça ne m’intéresse pas. Je me suis fait engueuler par Lucie une fois parce que je n’avais pas été voter (rires) ! On oublie à quel point c’est important la politique, parce qu’elle est noyée dans la communication. Les hommes de l’ombre le montre très bien.

Vous n’étiez pas revenue sur le petit écran depuis Sex & the City. Cette année, vous êtes à l’affiche de deux séries, Rosemary’s baby aux États-Unis, et Les hommes de l’ombre. Est-ce un concours de circonstances ?

Oui, complètement ! C’est vrai que j’ai fait Sex & the city, et à l’époque c’est un de mes proches qui était fan, et voulait absolument que je tourne dedans (rires). Cette année, j’ai aussi tourné dans Rosemary’s baby. Je ne me préoccupe vraiment pas du format : télé, cinéma, théâtre. Je ne me sens pas cloisonnée. Si l’histoire est bonne, j’y vais.