Toutelatele

Daphné Roulier

Joseph Agostini
Publié le 06/05/2005 à 00:53 Mis à jour le 05/05/2011 à 16:45

Elle est la vestale grecque de Canal +, et ce ne sont pas seulement les
plans de Serge Khalfon dans + Clair qui la hissent parmi les muses du petit écran. Daphné Roulier ne se sent pas belle, a peur des autoroutes et défend un style exigeant, qui n’accepte pas les caprices de la hiérarchie.

Joseph Agostini : Vous vous trouvez
belle ?

Daphné Roulier : Pas du tout. J’ai une
image diaphane, lumineuse, pixélisée
mais je fume deux paquets de clopes par
jour et ai la peau abîmée... Il faut dire que
j’ai auprès de moi le meilleur réalisateur
de télé en la personne de Serge Khalfon.
Avec Renaud le Van Kim, il dépasse tous
les autres. Cette manière de sublimer,
de mettre en valeur, d’exploiter l’espace...
Serge aime ce qu’il filme. C’est lui qui me
rend belle !

Joseph Agostini : Si je vous dis que vous n’êtes pas fédératrice,
vous êtes d’accord ?

Daphné Roulier : Absolument. Mon physique n’est pas fédérateur
du tout ! Je n’en ai pas le désir
d’ailleurs. Correspondre à des critères
marketing n’est vraiment pas une fin. Je
ne veux pas travailler sur des projets
sans créativité avec un retour sur investissement
immédiat. Pour vous parler
franchement, je n’ai jamais rêvé de faire
de la télévision. Une fois le montage des
émissions terminé, je ferme la porte de
ce monde. Tenez, par exemple, je reviens
d’un week end à la campagne et ai assisté
à la naissance d’un faol ! Ce genre de choses
compte beaucoup plus pour moi que
les chiffres d’audience en tous genres.

Joseph Agostini : La passion pour le tube cathodique ne
vous a donc jamais dévorée ?

Daphné Roulier : Quand Canal + m’a proposé l’émission,
en 2001, je n’avais strictement aucune
culture télé. Dans ma famille, le petit
écran n’était pas un totem. A l’époque,
je ramenais des tonnes de K7 chez moi
pour savoir en détails ce que faisaient
mes invités dans la vie. Je crois que c’est
ce qui a plu à mes dirigeants et au public.
J’ai un regard neuf, neutre, candide sur
le PAF.

Joseph Agostini : Vous avez des amis à la télé ?

Daphné Roulier : Très peu. Nous enregistrons une quarantaine
d’émissions par an et je ne vois quasiment personne en dehors. La plupart de
mes amis ne sont pas du tout du métier.
Les rapports sont souvent biaisés entre
les gens d’antenne.

Joseph Agostini : Quelle est la différence de caractère la
plus profonde entre vous et Marc-Olivier
Fogiel, le producteur de l’émission ?

Daphné Roulier : Marco est insider, moi pas du tout. Mais
je ne suis pas du style à poser mon derrière
sur une chaise en attendant que
ça vienne ! Avec le rédacteur en chef de
+ Clair, Christian Desplaces, nous avons
immédiatement voulu créer une émission
de décryptage, assez irrévérencieuse. En
fait, la télévision est une matière vivante
comme une autre. C’est un support. L’important,
c’est de bien s’en servir.


Joseph Agostini : Endemol possède aujourd’hui 50% de
PAF Productions, la société de Marc-
Olivier Fogiel...

Daphné Roulier : En aucun cas, Endemol n’interfère sur nos
choix éditoriaux. Je n’accepterais jamais
un tel compromis.

Joseph Agostini : Le 6 mars, vous avez lancé une nouvelle
émission cinéma, intitulée Le Cercle sur
Canal +. Parler cinéma dans une totale
impartialité sur une chaîne qui est la
plus grosse coproductrice de films en
France, c’est un exploit !

Daphné Roulier : Je n’ai jamais été soumise à l’autorité
d’une hiérarchie, quelle qu’elle soit. Dans
Le Cercle, nous voulons créer un effet de
bande avec des spécialistes de cinéma
friands de débats polémiques. Aucun
d’entre eux n’accepterait une quelconque
pression de la production ! Vous imaginez Pascal Marijot, du Nouvel Obs’, se soumettre aux ordres de Canal ? Tous les critiques
ont un discours libre sur les films.
En plus des reportages qui jalonnent
l’émission, nous avons voulu avant tout
créer un lieu de confrontation d’idées et
de libre parole.

Joseph Agostini : Revenons au monde de la télé. Son extrême
violence vous fait-elle peur par
moments ?

Daphné Roulier : Je me sens à l’abri sur Canal +. J’entretiens
un véritable lien d’affection avec
cette chaîne. C’est d’ailleurs pour cela que
j’ai refusé de présenter le 13 heures, à
un moment donné. Oui, l’extrême violence
de ce métier me déconcerte souvent ! Ce
qui est arrivé à Christophe Hondelatte
en est le parfait reflet... Mais je crois que
l’aveu de faiblesse rend humain de toutes
manières. Hondelatte a dû gagner en
sympathie.

Joseph Agostini : Etes-vous une traqueuse ?

Daphné Roulier : Je le suis beaucoup moins
aujourd’hui. A mes débuts,
l’idée d’apparaître à l’antenne
me tordait les boyaux
 ! Cela explique sans doute la
froideur qui se dégageait de
moi. Depuis, ça va beaucoup
mieux.

Joseph Agostini : Vous faites toujours le cauchemar
dans lequel vous roulez sur une autoroute
en sens inverse ?

Daphné Roulier : Non, je ne fais plus ce cauchemar, mais
je ne peux pas concevoir ma vie comme
une autoroute. L’idée de me retrouver
sur une route déjà tracée et de devoir
rouler tout droit m’angoisse toujours
autant. Le mot « carrière » me hérisse !
Je ne fais aucun plan. Je n’en ai jamais
fait. Si une révolution copernicienne
a lieu dans ma vie, je suis prête à tout
changer, du jour au lendemain. J’adore
les chemins de traverse.


Joseph Agostini : A votre avis, si vous aviez été un homme,
les choses auraient-elles été plus
faciles dans votre métier d’image ?

Daphné Roulier : Personnellement, je n’ai jamais eu à
affronter une injustice criante parce
que j’étais une femme. On m’a souvent
dit que j’avais un tempérament de garçonne...
Mais la parité dans les médias,
et plus largement dans notre société,
est encore loin d’être respectée. Les
femmes ont eu le droit de vote en 1940,
le droit à l’avortement en 1974 ! A la
télévision, comme partout ailleurs, elles
doivent se battre encore plus que les
hommes.

Joseph Agostini : Vous vous imaginez craquer un jour ?

Daphné Roulier : Personne n’est à l’abri. Absolument
personne. Mais je pense détenir un
avantage sur certains : j’ai le sens de
l’humour. A partir du moment où on
s’expose, il faut tolérer la critique et la
caricature.

Joseph Agostini : Un billet de Stéphane Guillon pourrait-il vous anéantir ?

Daphné Roulier : Certainement pas. Je me délecte de
l’humour de Stéphane Guillon. Pour moi,
il représente le nouvel esprit Canal.
Honnêtement, je suis la première à rire
de mes défauts !

Joseph Agostini : L’esprit Canal, c’est comme Dieu : on
ne sait pas s’il existe vraiment...

Daphné Roulier : Je ne suis pas d’accord avec vous. Des
programmes comme Groland ou Les
Guignols ne se retrouvent pas ailleurs.
Un magazine comme Lundi Investigation,
par exemple, a une patte très particulière.
Pour ce qui est des animateurs et
des journalistes, il y a une idiosyncrasie
à Canal +.

Joseph Agostini : Vous êtes dotée d’un superbe vocabulaire... Avez-vous du mal à l’imposer à
l’antenne ?

Daphné Roulier : (Rires) J’aime les mots. C’est sans
doute un reliquat de mes études de lettres
 ! Je ne vois pas pourquoi, sous prétexte
de devoir se faire comprendre,
on restreindrait nos champs lexicaux !
A mon arrivée sur Canal +, Erik Gilbert,
le rédacteur en chef de la rédaction,
me reprochait de faire des JT trop
écrits, mais je n’ai jamais voulu supprimer
des verbes comme « fustiger » ou
« stigmatiser » de mon vocabulaire. Si je
pouvais apprendre un mot à quelqu’un
à chaque émission, ce serait déjà un
gigantesque pari de gagné !