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Elise Lucet (Cash investigation) : « Il ne faut pas se battre pour être toujours en prime time »

Alexandre Raveleau
Publié le 11/06/2013 à 19:37 Mis à jour le 09/10/2022 à 16:29

Créé au printemps 2012 en deuxième partie de soirée, Cash investigation a droit à son premier prime time. Ce mardi 11 juin sur France 2, Élise Lucet rouvrira le débat autour du scandale de l’évasion fiscale. Et bientôt, à la rentrée, le magazine d’investigation fera son retour pour une nouvelle série d’enquêtes. Par contre, ne comptez pas sur la journaliste pour en donner le moindre détail, même si le buzz autour du « vol de sujet » n’a rien à voir.

Alexandre Raveleau : Après une première série d’émissions en deuxième partie de soirée en 2012, pourquoi Cash investigation débarque aujourd’hui en prime time sur France 2 ?

Élise Lucet : Depuis le mois de janvier, nous avons des interviews et des documents exclusifs sur la fraude et les paradis fiscaux. En proposant le sujet à la chaîne, nous étions partis pour une programmation à la rentrée de septembre, dans la série des autres Cash investigation prévus en deuxième partie de soirée. Et puis, l’affaire Cahuzac a explosé, les dossiers d’Amazon, Apple et d’autres sociétés dont on s’est aperçu qu’elles réussissaient très bien à échapper à l’impôt, ont été au coeur de l’actualité... C’est un très beau pari de France 2. L’investigation peut être en prime time avec des dossiers aussi brûlants qui, contrairement à ce qu’on dit, sont très grand public. Les gens en ont marre de payer trop d’impôts. Ils en ont marre de voir que d’autres y échappent.

Quelles sont les révélations de l’émission ?

Nous avons notamment le témoignage exclusif d’Hervé Falciani, l’ex-directeur informatique de la HSBC Genève. Il est sorti avec un listing de 121 000 comptes, pour la plupart cachés aux autorités des différents pays. Son entretien a été réalisé sur plusieurs mois. Et puis, nous avons refait toute la contre-enquête sur la manière dont il avait été accueilli à l’époque, en France, par les services du Fisc. Éric Woerth était alors le ministre du Budget. Je suis reparti à sa rencontre, à l’instar de Michèle Alliot-Marie, ministre de la Justice. Les révélations de cet homme ont-elles été utilisées correctement ? Le listing a-t-il été vérifié ? Les redressements fiscaux ont-ils été réalisés ? Force est de constater que très peu de gens ont été concernés en France. Pendant ce temps-là, en Espagne, la collaboration entre Hervé Falciani et les services fiscaux a donné lieu à des redressements spectaculaires.

« La télévision est un média stressé et l‘investigation est une discipline qui a besoin de temps. »

En plateau, la présence de l’actuel ministre du Budget, Bernard Cazeneuve, est annoncée. A-t-il demandé à voir les images ?

En fait, il a décommandé pour des raisons d’agenda. Nous l’aurons donc en interview. Avec nous, Édouard Martin (syndicaliste CDFT de Florange, ndlr) abordera le dossier ArcelorMittal. Et on aura d’autres témoins et experts pour nous expliquer si les États peuvent ou non faire plier les sociétés et les paradis fiscaux. Nous avons des documents. Sur le dossier Amazon par exemple, il faut préciser que pour installer leur plate-forme en France, la société a reçu des subventions locales, régionales et nationales. De l’autre côté, il y a un contentieux entre les services de l’État et Amazon de 198 millions d’euros.

Prévue pour l’automne, la diffusion de ce numéro a donc été avancée. Le travail d’investigation était-il pour autant achevé ?

Ce dossier ne sera pas clos avant bien longtemps. Ce sont des sujets qui sont en mouvement permanent. En revanche, sur les questions que nous abordons précisément, dans l’état actuel des choses, nous avons fait tout ce qu’on pouvait. Sur un Cash investigation classique, il y a sept à huit mois d’enquête. Là, toute l’équipe a mis les bouchés doubles. On a bossé comme des dingues !

« Investigation » est un terme très largement répandu dans les magazines à la télévision. Un peu trop peut-être ?

Je balaie devant ma propre porte et je vous certifie qu’on en fait. Je ne veux pas dire du mal de mes petits camarades parce que ce n’est pas mon genre et que je n’en ai pas envie. Il y a des émissions de flux qu’il faut mettre à l’antenne en gardant un rythme de diffusion. Ce n’est pas évident. Nous avons la chance d’être diffusés en série et donc d’avoir le temps de nous préparer. Je ne suis pas sûr que nous ferions aussi bien, ou mieux, que les émissions qui sont proposées toute l’année. Le principal allié de l’investigation, c’est le temps. La télévision est un média stressé et l‘investigation est une discipline qui a besoin de temps.

Le fait de passer en prime time change-t-il la mécanique ou le ton même de l’émission ?

Ce Cash investigation est quasiment aussi direct que ce que vous avez vu l’an passé. Il y a de petites évolutions, mais à la marge. Seul gros changement, le plateau à la suite de l’enquête, avec des invités et un débat. Franchement, dans le ton, nous avons le même côté incisif et malicieux.

Partie 2 > Sujets volés, 13 heures et restrictions budgétaires


Plus généralement, vous ne souhaiteriez visiblement plus parler des prochains numéros de l’émission. Il y aurait eu du vol...

Je n’ai rien compris à cette espèce de buzz. Tout cela date de Pièces à conviction. J’avais alors dit à des journalistes, peut-être 25 ou 35, que je ne voulais plus donner les sujets de l’émission puisqu’on s’en était fait voler deux. Rien à voir avec Cash investigation. Pour répondre à votre question, il est évident que dans nos métiers, il faut faire attention, en veillant de ne pas être bavards.

Comment déterminez-vous un sujet pour Cash investigation ?

Nous commençons toujours en disant « Bienvenue dans le monde merveilleux des affaires ». Par conséquent, nous sommes souvent dans le monde de l’argent, public ou privé. Quand nous sommes persuadés qu’il est possible d’apporter des documents et des révélations sur un sujet, on fonce.

L’année prochaine, d’autres numéros de Cash investigation sont prévus. Est-ce un retour automatique à la case deuxième partie de soirée ?

A priori, oui. Ce numéro est évidemment une expérience. Nous allons voir comment ça se passe. Moi, je ne suis pas toujours preneuse du prime. Il y a des émissions qui valent la diffusion à 20h45 et d’autres pas. Il ne faut pas se battre pour être toujours en prime time. L’exposition de première partie de soirée, elle est dure. Il faut faire attention. Ce n’est pas la place de toutes les émissions d’investigation. Le mieux est de conserver une souplesse par rapport à ça.

« Il ne faut pas se battre pour être toujours en prime time. L’exposition de première partie de soirée, elle est dure. »

En 2005, le 13 heures de France 2 faisait sa révolution en sortant du traditionnel plateau. Depuis, la TNT et les chaînes d’info ont changé le rythme et la consommation de l’info, M6 est entrée dans le mouvement. Y aura-t-il de nouveaux aménagements dans les prochains mois pour le 13 heures de France 2 ?

Nous sommes plutôt favorables à des améliorations constantes. Si vous me demandez si nous allons changer de studio, je ne crois pas. Ce n’est pas dans l’ordre des choses. On est bien dans ce studio. En revanche, un JT doit toujours évoluer, écouter la société. Nous ne devons jamais camper sur des certitudes.

Pensez-vous avoir encore une marge de progression face à Jean-Pierre Pernaut sur TF1 ?

Je suis quand même très fière d’être passée de 15% de pat de marché, quand je suis arrivée en 2005, à environ 20% aujourd’hui. Et pourtant, il y a effectivement eu un bouleversement complet du paysage. Il faut quand même rappeler qu’entre le premier 13 heures de Jean-Pierre Pernaut et le mien, il y a eu dix-neuf présentateurs différents sur France 2. Ça n’a pas arrêté. Personne n’a eu le temps de s’installer. C’est toujours très mauvais en télé. Le rendez-vous était un peu devenu un Triangle des Bermudes... Pendant ce temps-là, Jean-Pierre Pernaut s’est complètement installé, avec sa personnalité et sa formule. Je suis une optimiste de nature. Il y a une marge de progression. Nous n’allons pas passer de 20% à 25%, mais on peut encore grappiller.

Les restrictions budgétaires sont importantes à tous les niveaux chez France Télévisions. L’information est-elle un domaine privilégié ?

Globalement, je pense que l’information reste un axe très fort de France Télévisions, et de France 2 plus particulièrement. Il y a une qualité d’information et elle n’est pas remise en cause par les restrictions budgétaires. Que nous devions faire des efforts nous aussi à l’info, oui c’est sûr. Quand on commence à faire de l’info à bas coût, ça se voit très vite et ce n’est pas l’image de France Télévisions. Franchement, moi qui suis à la rédaction, je peux vous dire que ça bosse vraiment.

N’est-ce pas handicapant au quotidien ?

On fait attention à tout. Avant de déclencher des équipes, on fait attention. Avant de commander un faisceau, on fait attention. C’est un peu normal. Tout le monde fait des efforts dans le groupe, on en fait aussi. Ce n’est pas handicapant.