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Emilie Aubry (Le dessous des cartes) : « Il n’y avait pas d’évidence à remplacer quelqu’un comme Jean-Christophe Victor »

Paul Gratian
Publié le 02/09/2017 à 15:28

Journaliste et présentatrice pour LCP et Arte, Emilie Aubry reprend la présentation du dessous des cartes après la disparition de Jean-Christophe Victor en décembre 2016. Pour Toutelatele, elle s’est confiée sur son arrivée dans ce programme et sur le succès des soirées Thema d’Arte qu’elle anime le mardi.

Paul Gratian : Avez-vous hésité lorsque la chaîne Arte vous a proposé de reprendre Le dessous des cartes ?
Emilie Aubry : En tout cas, je n’ai pas dit oui tout de suite parce qu’il n’y avait pas d’évidence à remplacer quelqu’un comme Jean-Christophe Victor. Il était à la fois un immense chercheur, un géographe, un voyageur, un formidable professeur très pédagogue… Par définition, c’était un profil que l’on ne pouvait pas retrouver. Arte est alors partie chercher quelqu’un avec un autre profil, plus journalistique. Ils ont pensé à moi, car je présente les soirées Thema depuis 2012 où il y a une forte identité géopolitique. J’ai aussi présenté Global Mag entre 2009 et 2012, une quotidienne de voyage qui parlait de géopolitique et d’environnement. J’ai pu avoir une certaine timidité et m’être dit que je n’étais pas légitime, mais on m’a dit de ne pas essayer d’être lui et d’être journaliste.

Que va apporter de nouveau à l’émission votre profil de journaliste ?
D’abord, il faut savoir qu’il y a une certaine permanence du programme. Le LEPAC, le laboratoire fondé par Jean-Christophe et sa femme, reste notre base scientifique. Les réalisateurs restent aussi. Mon apport sera celui d’être journaliste. Cela ne veut pas dire que je transformerai cette émission en programme d’actualité, mais cela m’obligera à être vigilante pour savoir ce qui se comprend immédiatement et ce qui ne passe pas. Ce souci de lisibilité et de compréhension par le plus grand monde est quelque chose qui me tient vraiment à cœur. Le dessous des cartes a déjà un public très large et j’aimerais qu’elle soit regardée aussi bien par des collégiens que par des étudiants en géographie.

Alors que l’émission est très appréciée des téléspectateurs, comment expliquez-vous son succès ?
Je pense que c’était très lié à la personnalité de Jean-Christophe qui était un professeur génial. Tout le monde dit que ce programme est un OVNI, mais je pense qu’elle est assez ludique. Le succès repose sur la fascination du public pour le voyage, sur une curiosité à regarder le monde de son fauteuil en un temps assez limité. C’est rare en onze minutes d’avoir le sentiment d’avoir fait le tour d’un pays d’un point de vue géographique. Au-delà de ce que je viens de dire, il y a aussi un appétit de géopolitique qui est croissant depuis les attentats. Depuis le 11 septembre, on a pris conscience que l’on vivait dans un village global. Ainsi, ce qui se passe en Israël peut avoir des conséquences dans nos banlieues et ce qui se passe en Syrie peut ressurgir au Bataclan.

Le dessous des cartes cherche-t-il à aborder l’actualité différemment ou à s’en détacher selon vous ?
Ni l’un ni l’autre. L’émission a vocation à durer puisqu’elle est rediffusée longtemps après. On veut être lucide sur les tendances lourdes. On ne va pas tout de suite faire un sujet sur la Corée du Nord parce qu’il y a eu des événements cet été par exemple. On avait déjà prévu d’y consacrer un numéro de toute façon. On va beaucoup travailler sur le Moyen et le Proche-Orient puisque de nouvelles questions vont se poser (sur les frontières kurdes, sur la cohabitation entre sunnites et chiites dans l’Irak de l’après-Daech, sur le bras de fer entre l’Iran et l’Arabie Saoudite…).

« Désormais, dans chaque numéro, nous partirons toujours d’une photo du réel pour attraper le téléspectateur à partir de ce qu’il connait vers ce qu’il ne connaît pas »

Comment préparez-vous un numéro du Dessous des cartes ?
Intellectuellement, c’est génial de participer à ce programme, car cela demande un travail avec une équipe qui ne participe pas beaucoup à la télévision : les chercheurs. On travaille également avec des cartographes qui sont aussi des graphistes, des personnes absolument passionnantes intellectuellement, ainsi qu’avec des réalisateurs souvent auteurs de documentaires (Pierre Olivier François par exemple). On collabore tous en synergie et j’apprends d’eux en essayant de valoriser leur travail et de le rendre le plus compréhensible et lisible pour le plus grand nombre.

Le samedi 2 septembre, votre premier numéro sera consacré à la Chine et la Russie. Pourquoi avez-vous choisi de vous intéresser à ces deux pays ?
Généralement, on parle de ces deux mastodontes géopolitiques de façon séparée en oubliant qu’ils partagent 4 200 kilomètres de frontière commune. Sur plusieurs siècles d’histoire, on voit une alternance d’alliances avec des intérêts communs bien compris et des moments de bras de fer et de rivalités. Désormais, dans chaque numéro, nous partirons toujours d’une photo du réel pour attraper le téléspectateur à partir de ce qu’il connait vers ce qu’il ne connaît pas. Là, par exemple, la photo portera sur un modèle de porteur d’avion mis en place par la Chine et la Russie pour concurrencer Airbus et Boeing. Cela permet d’imaginer ce que font ces deux pays quand ils se mettent ensemble pour ensuite parler de la question des frontières.

« C’est un luxe inouï de présenter les soirées Thema. Cela permet de regarder ce que la télévision européenne produit de meilleur en termes de documentaires »

En plus du Dessous des cartes, continuerez-vous l’animation des soirées Thema ?
Bien sûr, je présenterai par exemple la grande soirée sur le Vietnam le 19 septembre ainsi qu’une édition sur Mosanto après le documentaire de Marie-Monique Robin. Ma première soirée aura lieu le mardi 5 septembre et elle sera consacrée aux réseaux de la viande et de la malbouffe. C’est une enquête un peu effrayante qui fait écho au scandale récent sur les œufs.

Les soirées Thema enregistrent des succès d’audience pour Arte. Est-ce une fierté pour vous ?
Oui, c’est un luxe inouï de présenter ces soirées Thema. Chaque semaine, cela permet de regarder ce que la télévision européenne produit de meilleur en termes de documentaires. Je trouve cela passionnant ! Cela me permet d’avoir l’impression d’être en prise avec le monde et avec mon époque. Cette année, il y a aura une très grande synergie entre la présentation de Thema, du Dessous des cartes et de mon émission sur France Culture dès le dimanche 10 septembre, L’Esprit public.