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Eric McCormack : « On ne peut pas accuser Perception de proposer un personnage idiot de plus à la télé »

Marion Olité
Publié le 10/04/2014 à 18:18 Mis à jour le 20/04/2014 à 12:06

On avait un peu perdu de vue Eric McCormack, inoubliable moitié de la sitcom culte Will & Grace (1998-2006). Après un rôle récurrent dans la comédie Old Christine aux côtés de Julia Louis-Dreyfus, l’acteur revient au sommet de sa forme dans un nouveau registre : la série policière. Dans Perception, il interprète Daniel Pierce, un professeur spécialisé en comportement humain, qui aide la police dans ses enquêtes tout en tentant de garder sous contrôle sa maladie. Eric McCormack s’est confié à Toutelatele sur ce nouveau challenge.

Marion Olité : Par quoi avez-vous été attiré dans le personnage de Daniel Pierce ?

Eric McCormack : J’ai adoré son côté peu académique et son esprit brillant, tout comme le fait qu’il soit professeur. Je savais qu’il devait au final résoudre des crimes, mais ce n’est ni un flic, ni un avocat. C’est quelqu’un qui a une vraie passion pour la connaissance. Il a cet énorme cerveau, dû en partie à sa maladie. J’ai beaucoup aimé la personnalité de ce gars qui lutte constamment avec lui-même. Il ne se sent jamais confortable. Il est toujours à la limite mentalement et physiquement, et peut se montrer imprévisible.

Avez-vous rencontré des personnes atteintes de schizophrénie paranoïde pour mieux cerner votre personnage ?

Oui, et ce que décrit Elyn Saks (professeur et experte en maladie mentale, elle-même atteinte de schizophrénie, qui a inspiré le personnage de Daniel Pierce) dans ses livres a été d’une grande aide, en particulier au moment de tourner le pilote. Il faut passer de 0 à 60 degrés sur l’échelle de la folie, en très peu de temps. Je devais comprendre comment Daniel fonctionnait, et qui il était. On doit toujours exposer le personnage dans le pilote. Je ne voulais pas me rater. Dans un pilote de comédie par exemple, c’est plus excusable de ne pas trouver tout de suite. Avec Daniel Pierce, j’ai ressenti le besoin de bien le connaître dès le premier épisode, pour le rendre crédible aux yeux du public.

Comment éviter de tomber dans une forme de caricature ?
Elyn Saks est un professeur très respecté, qui doit par ailleurs gérer sa maladie. De ce point de vue, on ne peut pas accuser la série de proposer un personnage idiot de plus à la télé. Il existe dans la vraie vie, et brocarde l’image des personnes malades qui perdent la boule, et apparaissent comme non-fonctionnelles aux yeux de la société. Ce n’est pas toujours le cas. 25% des personnes souffrant de ce genre de maladies mentales sont ultra-performantes, vivent dans la société, conservent leur emploi... Ça peut donc être fait dans la réalité, mais on les voit rarement montrées ainsi à la télévision.

Pensez-vous avoir des points communs avec Daniel Pierce ?

On se ressemble énormément au niveau physique (rires). J’ai apporté pas mal de ma personnalité en effet. Je n’ai jamais vu ce personnage comme un Elephant Man. Je pense que j’ai plus de points communs avec lui que les apparences le laissent croire. J’ai de l’empathie pour ce type de personnage. J’ai essayé de comprendre comment il voyait le monde, à quel point cela devait être terrifiant pour lui. Je le trouve très courageux de tenter de prendre du recul, et d’essayer de comprendre pourquoi il voit ou entend certaines choses, puis de s’en servir pour le bien de tous, mais aussi pour ne pas tomber lui-même dans la dépression. Je pense avoir apporté au personnage ma propre énergie, ma droiture, et je passe de toute façon mon temps sur les tournages à me parler tout seul (rires).

« Daniel est toujours à la limite mentalement et physiquement »

Êtes-vous un peu excentrique ?

J’aimerais bien, car je trouverais ça cool d’être excentrique (rires) ! Je vivais beaucoup dans mon imagination étant enfant, bien plus que les autres. Ce n’est pas si éloigné du problème de Daniel Pierce, comme si j’avais laissé mon imagination vagabonder et que je n’avais pu la contrôler. Je comprends donc plutôt bien ce personnage.

D’où vient ce gimmick, dans sa façon d’écouter de la musique classique en jouant les chefs d’orchestre pour se concentrer ?

C’était dans le script le fait qu’il se comporte ainsi, et qu’il écoute son walkman. Ça ressemble à un détail ajouté pour le fun mais en réalité, les gens qui vivent avec cette maladie et qui ne prennent pas de médicaments ont besoin d’une routine. Ce passage avec le walkman, qu’il ne veut surtout pas changer en quelque chose de plus moderne, permet de montrer cela. Ça passe aussi par ses vêtements. Daniel n’est pas un compulsif, il n’a pas d’obsession, mais il a besoin de rester dans un quotidien inchangé. Quand il voit le personnage de Kate arriver sur le campus, il est excité, car il sait que ce sera pour résoudre un crime. Il adore ça, tout en sachant que ce n’est pas la meilleure des idées avec sa maladie.

Comment définiriez-vous la relation de Daniel Pierce avec Kate (Rachael Leigh Cook), sa partenaire ?

Vous vous souvenez de la chanson de Police, « Don’t stand so close to me » ? Je pense que c’est un peu ça. Il y a une relation secrète de professeur à élève qui n’a jamais éclaté au grand jour. Quand elle était dans sa vingtaine, et qu’il était un brillant professeur, elle devait sans doute estimer qu’elle n’était pas digne de lui. Les rôles se sont probablement inversés au fil du temps. Maintenant, c’est Daniel qui ne pense pas mériter cette magnifique jeune femme, à cause de sa maladie qui va forcément poser problème. On apprend dans la première saison qu’avant sa première rupture avec la réalité, survenue entre 18 et 22 ans pendant la Fac, il était un type plein d’avenir, un homme séduisant aimé des femmes, qui faisait de la musique. Le monde n’était pas un lieu effrayant pour lui. Quand cela a changé, l’idée de s’impliquer émotionnellement est devenue quelque chose de très compliqué pour lui. Avec quelqu’un comme Kate, il aimerait pouvoir s’exprimer pleinement et tout lui confier.

Partie 2 > Ses souvenirs de Will & Grace


Que sait-on des origines de la maladie de Daniel Pierce ?

On ne sait pas vraiment pourquoi c’est arrivé, seulement que ça a du se produire lors d’un moment particulièrement stressant de sa vie, entre 18 et 20 ans. Ce n’est pas un moment particulier de sa vie, qui aurait déclenché cela. L’origine de la maladie est génétique, plus à rechercher du côté de la famille.

Quel est votre épisode favori de Perception ?

Le plus excitant à tourner, je pense que ça a été un de la fin de la saison 1, qui s’appelle Shadow. Pierce va vraiment au-delà de ses limites, et perd complètement la boule. C’était vraiment un super épisode à faire dans le sens où il pose vraiment la question centrale de la série, en jouant la perception du public. On pense savoir ce qui est réel et ce qui ne l’est pas, mais tout est remis en question.

Avez-vous gagné vous-même en « perception » depuis que vous tournez dans le show ?

J’ai l’impression d’être peut-être plus dans l’empathie qu’avant. Mais vous savez, je me suis toujours senti dans la peau d’un étranger qui observe tout autour de lui. Dans une soirée, j’ai tendance à analyser les rapports entre les personnes présentes. Si je vois un gars parler à une fille par exemple, je vais me dire « Ca ne va pas fonctionner, elle ne va rien comprendre à ta blague » (rires). Et j’ai souvent raison !

Vous restez dans les mémoires des fans avec la sitcom Will & Grace. A-t-il été difficile pour vous de changer de registre ?

C’est génial au contraire. C’est ce qui m’attirait dans le métier d’acteur. Quand j’étais jeune, les enfants voulaient toujours jouer le rôle du pirate dans les pièces de théâtre et moi je cherchais vraiment à jouer autre chose. De toute façon, c’est le but du métier d’acteur : jouer des personnages très différents. Quand vous arrivez dans le milieu du show-biz, vous réalisez que les gens vous rangent dans des cases, et donc vous êtes un peu obligé de vous stéréotyper vous même pour être visible. À moins d’être assez chanceux pour être Daniel Day Lewis, on ne vous laisse pas vraiment sortir d’une case, en particulier si vous êtes dans une série à succès. Ça a été difficile de passer à autre chose, mais pas de jouer un personnage différent. Il a surtout été compliqué de convaincre les gens que je pouvais le faire, après sept ans dans une comédie. Will & Grace me définissait.

Quel souvenir gardez-vous des années Will & Grace avec le recul ?

C’était génial ! Cela n’arrive pas toujours à la télévision américaine même si tout le monde le dit, mais on prenait beaucoup de plaisir à tourner les épisodes, et l’audience suivait. J’ai le souvenir d’une sorte de petite pièce de théâtre qui revenait chaque semaine. Je me souviens du public, des soirées, de la venue de certaines guest-stars. C’était aussi commun que de respirer pour moi à l’époque. On bossait 25 heures par semaine. On en voulait toujours plus ! C’était juste un super moment.

« Will & Grace me définissait. »

Rétrospectivement, avez-vous des regrets sur la façon dont vous avez géré votre carrière après la fin de Will & Grace ?

Si c’était à refaire, je pense que j’aurais accepté certaines opportunités proposées à l’époque, comme réalisateur et scénariste, pour lesquelles je n’ai pas osé tenter l’aventure. Une partie de moi s’était dit à l’époque : « Je vais attendre un peu et voir ce que je peux faire... » J’ai appris qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud.

Quels sont vos projets à côté de Perception ?

J’ai tourné récemment dans un film de Jonathan Parker avec Parker Posey, qui s’appelle The Architect. Je voulais aussi faire du one man show depuis longtemps, en plaçant des chansons que j’avais l’habitude d’interpréter plus jeune dans ma chambre, quand je faisais semblant d’être célèbre (rires). Le but était de raconter la trajectoire de ce jeune homme. Je me suis finalement lancé à Los Angeles en octobre dernier lors d’un événement caritatif. C’était très excitant, j’aimerais beaucoup recommencer.