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Eurovision 2012 : rencontre avec Anggun, une représentante ultramotivée

Sébastien Barké
Publié le 23/05/2012 à 13:50

Française d’origine indonésienne, Anggun bénéficie d’une importante notoriété internationale : à ce jour, l’interprète de « La Neige au Sahara » a écoulé plus de deux millions d’albums en Europe ! Raison de plus pour lui accorder le privilège de représenter la France au Concours Eurovision de la chanson 2012. Un événement organisé cette année pour la première fois à Bakou en Azerbaïdjan, au cours duquel elle défendra nos couleurs avec le titre « Echo (you and I) ». Rencontre.

Sébastien Barké : Que représente pour vous la tournée que vous avez entamée travers l’Europe pour promouvoir Echo (you and I) ?

Anggun : Je veux simplement mettre toutes les chances de mon côté. Je suis ultramotivée, en ce qui concerne ce concours. En plus de cette importante promotion, je travaille actuellement sur une mise en scène que j’espère très originale. Cerise sur le gâteau : on a la chance de pouvoir compter sur Jean-Paul Gaultier qui prépare ma tenue pour l’événement. On ne veut pas jouer petits-bras !

Comment en êtes-vous arrivée à travailler avec Jean-Paul Gaultier ?

J’ai donné une interview dans laquelle on me demandait avec qui je souhaiterai travailler. C’est là que j’ai évoqué Jean-Paul Gaultier pour la première fois. Il m’a contacté pas plus tard que le lendemain,. La tenue sera inspirée par ma couleur de peau, et par celle de mes cheveux. Ça reste très vague, mais c’est tout ce que je peux vous révéler pour l’instant !

L’Eurovision ne représente-t-il pas un risque pour vous ?

Je ne pense pas. Regardez : Sébastien Tellier, Patricia Kaas, ou encore Amaury Vassili continuent de faire une très belle carrière ! Il ne faut pas oublier que, dans cet événement, c’est avant tout la chanson qui est jugée. Ce n’est donc pas vraiment un concours de chanteurs. À partir de là, nous, les artistes, ne sommes que les messagers. Bien sûr, la partie visuelle et sonore que nous proposons est primordiale. C’est pour ça que j’y travaille d’arrache-pied. Tout ce qui se passera sur scène sera de ma responsabilité.

La chanson passe t-elle toujours avant la mise en scène aujourd’hui ?

Il y avait eu Lordi, les Finlandais que j’avais adoré, et qui avaient véritablement marqué les esprits. Mais c’était il y a huit ans de ça ! Je ne sais pas si vous vous souvenez de la chanson qui a remporté le concours l’an passé (Running scared, NDLR). Mais leur mise en scène n’avait rien d’incroyable. Il y a deux ans, c’est Lena, la compétitrice allemande, qui avait gagné l’édition d’Oslo. Sa chanson était forte, alors que côté spectacle, c’était assez plat. La question se pose : est-ce qu’il y a véritablement une formule pour remporter l’Eurovision ?

Cette année, la France a vraiment fait le choix d’une chanson qui peut marquer les esprits...

Avant qu’on ne me propose différents titres, j’avais établi un cahier des charges précis. Je voulais absolument un titre rapide. Puisque, jusque-là, la France a toujours présenté des chansons plutôt lentes. Je voulais donc innover. Et puis, il était important pour moi de chanter en Français. Ça fait partie de mes atouts. Aujourd’hui, tout le monde chante en anglais afin de capter un plus large public. Du coup, j’ai pris le parti d’inclure quatre phrases dans la langue de Shakespeare. J’espère démontrer ainsi mon amour pour le Français, et prouver que je suis également une citoyenne du monde. Quand on me voit, on se doute bien que je ne suis pas Française de naissance. Ainsi, je souligne qui je suis. J’espère que les gens comprendront mon message.

Par quels concurrents vous sentez-vous menacée ?

Les Sinplus, de la Suisse, sont assez redoutables. Ce sont deux frangins qui chantent bien, en plus d’être beaux. Ils me font penser à U2. Je pense qu’on sera également surpris par le chanteur Malte qui, en live, peut s’avérer dangereux. Il faudra aussi compter sur la Suède et la Norvège - qui ont des chansons particulièrement efficaces -, et l’Allemand Roman Lob. Son titre est en effet écrit par Jamie Cullum. Et puis, il faudra se méfier des mamies russes. On verra bien !

Tout le monde peut-il se présenter à l’Eurovision ?

Oui, il suffit de regarder les mamies qui vont représenter la Russie cette année, ou encore Engelbert Humperdinck, le chanteur qui concoure pour le Royaume-Uni. Il a 75 ans, et c’est l’un des chanteurs préférés de ma mère. C’est le rival direct de Tom Jones. La jeune fille qui représente la Slovénie n’a que 16 ans. Il y a donc de vraies différences d’âge. Et puis, côté style musical, on trouve de tout. Ce qui m’ennuie surtout, c’est que les artistes oublient leur langue d’origine pour présenter des titres en anglais. C’est vraiment dommage.


Pourquoi les Français sont-ils toujours aussi moqueurs vis-à-vis du Concours ?

Quand j’ai accepté de représenter la France, je l’ai pris comme une mission. On m’a même félicité pour mon courage, c’est dire ! J’ai immédiatement compris que j’allais être la cible des critiques. Je pars du principe que la France n’est pas un pays musical. Nous sommes plus littéraires. Il suffit de regarder ce qui passe à la télé : les variétés se font rares ! Même Monsieur Gainsbourg considérait la musique comme un art mineur. C’est triste, mais c’est comme ça. Il ne faut pas oublier qu’il avait fait gagner le Luxembourg ! C’est désolant de savoir que, par exemple en Suède, il y a un véritable engouement avant l’Eurovision. Leur sélection nationale, le « Melodifestivalen », est de très grande qualité, et on y croise les meilleurs auteurs-compositeurs. Et puis, là bas, l’Eurovision représente 80 % de part de marché à la télévision. C’est énorme ! Après, je ne souhaite pas faire d’amalgame entre les moqueries de la presse parisienne, et les Français qui regardent l’événement. J’ai énormément de respect pour ces millions de spectateurs qui le suivent chaque année.

N’enviez-vous pas cette ferveur ?

Je regrette que ça ne soit pas aussi festif chez nous. En France, on ne se détend pas assez. Il faut toujours que l’on intellectualise tout. Je reste persuadée que, avant tout, la musique doit s’apprécier, et être écoutée. Et peu m’importe que mon travail ne soit pas du goût de tout le monde. Ce n’est pas grave ! J’espérais juste un tout petit peu plus de soutien. Ça m’attristerait presque. En tout cas, ça ne m’empêchera pas d’aller de l’avant.

Avez-vous eu l’occasion d’évoquer cela avec d’anciens représentants ?

Vous savez, l’Eurovision, c’est un peu comme une grossesse. Lorsque j’étais enceinte, je n’ai jamais demandé aux autres mamans comment elles avaient vécu ces 9 mois. Parce que chacun vit ça de manière complètement différente. Je sais que Sébastien Tellier me conseille d’être alcoolisée lors de mon passage sur scène. Voire même « pétardisée ». Mais je ne vais pas le faire (rires) ! Parce que l’alcool va m’endormir ! Je veux rester vierge de tout a priori. En tout cas, j’ai bien compris que c’était un truc à vivre. C’est une expérience très intense. Il y a même des artistes qui ont fait l’Eurovision, et qui tentent de se représenter. Comme Dana International, qui avait gagné pour l’Israël en 1998. Bon, elle s’est plantée. Lena, la gagnante de 2010, a aussi réessayé l’année suivante. Cette année, les Jedward, les jumeaux irlandais insupportables de l’an passé, reviennent aussi. Ils sont adorables, mais pompent toute votre énergie ! Mais je pense que ça doit rester unique comme expérience.

L’Azerbaïdjan n’est pas réputé pour être un pays ouvert...

C’est une question qui me touche particulièrement, parce que je travaille avec l’ONU depuis six ans. Je suis très impliquée dans cette mission. J’y défends les droits de l’homme. C’est quelque chose qui me tient à cœur. En même temps, il ne faut pas tomber dans les stéréotypes ou dans les raccourcis. J’ai lu récemment l’histoire de l’Azerbaïdjan. C’est quand même le premier pays musulman à avoir accordé le droit de vote aux femmes ! C’était en 1918. Bien avant la France. On ne le sait pas toujours. Il ne faut pas oublier non plus que la démocratie est assez récente là bas. La période soviétique n’étant pas si loin que ça. L’Azerbaïdjan va être sous les projecteurs de nombreux pays. Ça ne peut que les inciter à montrer le bon exemple. C’est une sacrée pression pour eux. Et c’est tant mieux.

Avez-vous un souvenir particulier de l’Eurovision ?

Ça fait cinq années que je le regarde vraiment. Parce que la qualité de production des shows est aujourd’hui phénoménale. Ce sont les jeux Olympiques de la musique. Les moyens sont incroyables. Cette année, une fois encore, le budget du concours a battu tous les records.