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François Busnel (La Grande librairie) : « Rien n’est fait pour durer à la télévision, tout est éphémère »

Alexandre Raveleau
Publié le 28/05/2015 à 18:55

Une nouvelle saison de La Grande librairie s’achève pour François Busnel et sa Grande librairie. Sur France 5, le journaliste a redonné ses lettres de noblesse aux livres, et permis à la chaîne publique de réunir jusqu’à 900 000 téléspectateurs. À l’heure du bilan, François Busnel ne cache pas son plaisir et évoque ses projets.

Alexandre Raveleau : La saison de La Grande librairie s’achève avec un bilan plus que positif. Qu’est-ce qui est le plus réjouissant pour vous : les audiences, vos invités ou les rencontres ?

François Busnel : Le plus réjouissant est de constater, par le courrier abondant que nous recevons des libraires et des éditeurs, que l’émission fait aujourd’hui vendre des livres. Pour moi, c’est la raison d’être d’un rendez-vous comme La Grande Librairie. Nous cherchons à faire une émission qui ait du sens, puisse aider le plus possible la création contemporaine et réconcilie les gens fâchés avec la lecture.

En lançant La Grande librairie en 2008, aviez-vous déjà ces objectifs en tête ?

Produire ou présenter une émission en soi ce n’est pas le plus important. Tout le monde peut la faire. Il est plus noble et plus capital de faire une émission qui donne envie de lire. La lecture est la meilleure alliée pour affronter la vie quotidienne. Plus nous lirons et mieux nous serons armés pour comprendre le monde qui nous entoure.

En décembre 2014, vous avez enregistré votre record historique avec l’émission spéciale « 20 livres qui ont changé votre vie », avec près de 900 000 téléspectateurs. Êtes-vous sensible aux audiences ?

Si nous parlons d’audience, ces chiffres-là n’étaient pas arrivés à France 5 depuis une quinzaine d’années, en gros depuis la création de la chaine, pour un programme de ce type. C’est extrêmement valorisant et ça montre qu’il n’y a pas de fatalité à ce que les émissions culturelles en général, et littéraire en particulier, ne fassent pas d’audience. Quand nous avons lancé La Grande librairie, j’ai beaucoup entendu que nous ne toucherions jamais un grand public... C’est un joli pied de nez et ça prouve que notre émission n’est pas élitiste. Et pour être complet sur les résultats de décembre, nous avons eu, en plus, 150 000 personnes qui nous regardaient en direct depuis leurs ordinateurs et tablettes.

Quelles seront les évolutions de La Grande librairie la saison prochaine ?

Je ne peux pas encore trop en dire puisque nous sommes en train de travailler avec la chaine. La Grande librairie est renouvelée dans les mêmes conditions.

« Un de mes rêves serait de reprendre et moderniser cette formidable collection qu’était Un Siècle d’écrivains »

En cours de saison, vous avez proposé d’autres spéciales, comme le documentaire sur Philip Roth. Avez-vous d’autres projets dans ce sens ?

Un de mes rêves serait de reprendre et moderniser cette formidable collection qu’était Un Siècle d’écrivains. Elle a déjà une vingtaine d’années. Les codes du documentaire ont tellement changé depuis. Tournier, Kundera, Le Clézio… Tous se prêteraient à des documentaires. Leurs vies épousent les soubresauts à la fois politiques, sociaux et culturels de ces cinquante dernières années. Nous pourrions tout aussi bien imaginer de raconter Proust, Baudelaire ou Chateaubriand, en en faisant des destins. Par ce biais, nous toucherions un public plus jeune, et transformerions encore plus de téléspectateurs en lecteurs. Il nous faut expliquer qu’un écrivain n’est pas un être supérieur qui vit dans une caste. Il est comme vous et moi. J’imagine ce projet sur une autre case de diffusion.

Le concept de La Grande librairie est-il indémodable ?

Rien n’est fait pour durer à la télévision, tout est éphémère, mais c’est un éphémère qui peut durer encore quelques années. J’ai le sentiment que La Grande librairie a des choses à dire. Je sais qu’un jour elle s’arrêtera. Je ne crois pas que ce jour soit encore venu. Ce n’est toutefois pas à moi d’en décider.

L’émission est souvent comparée à Apostrophes de Bernard Pivot. Elle a duré quinze ans. Espérez-vous autant ?

Très honnêtement, je ne me projette pas dans l’avenir. J’essaie d’être le plus possible dans l’hédonisme, dans le plaisir du présent. L’émission dure depuis sept ans et je trouve cela déjà faramineux. Alors, je goûte chaque moment comme si ça devait être le dernier. Dans ma vie en général, j’essaie aussi de ne pas me projeter dans quinze ans, car c’est le meilleur moyen de céder au vertige. Je cherche à être fidèle à l’esprit de la lecture, de tout donner à l’instant. On en tire une jouissance et un plaisir fou.

« Je sais qu’un jour La Grande librairie s’arrêtera. Je ne crois pas que ce jour soit encore venu »

En 1990, Bernard Pivot encore expliquait dans Télé 7 jours l’une des raisons le poussant à stopper Apostrophes : "J’aime toujours lire, mais il y a un genre face auquel j’accuse une fatigue réelle, c’est le roman (...) Cela ne veut pas dire que je sois brouillé définitivement avec le roman, mais, pour le moment, ça m’ennuie ». Ressentez-vous parfois de l’ennui dans la lecture ?

Franchement, pas du tout. Quand je reste trois jours sans lire, je commence à être malade et fébrile. La lecture est ma compagne indispensable. Je ne ressens pas la moindre lassitude. Je pense d’ailleurs n’avoir aucun mérite, puisque je suis boutiqué comme ça. Beaucoup de choses m’intéressent. Nous sommes dans une telle période de création, c’est stupéfiant.

À l’heure de son bilan, Bernard Pivot disait qu’il avait lu 5 000 livres en quinze ans, soit environ 330 par an. Ou en êtes-vous où ?

Je suis très impressionné ! Je suis très loin de son record. Je lis plutôt quatre à six livres par semaine, suivant la taille des ouvrages et leur puissance. Je suis un lecteur assez lent, vous savez... J’ai besoin de temps pour lire. Et puisqu’il s’agit d’un plaisir, je le savoure. Bernard Pivot reste l’un de mes modèles, avec Jacques Chancel. Ils ont en commun le grand sens de l’enthousiasme et de l’admiration. Aujourd’hui, il est de bon ton de se moquer de tout le monde, de débiner, de convoquer l’artiste pour lui dire à quel point son livre est mal foutu. Tout cela est un peu vain. Ces deux hommes nous ont appris une grande leçon : l’enthousiasme et la curiosité.