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Gary Scott Thompson (Knight Rider - Taxi Brooklyn) : « Les chaînes ont le droit de faire ce qu’elles veulent avec leur argent »

Tony Cotte
Publié le 28/04/2014 à 20:20 Mis à jour le 09/05/2014 à 12:50

11 mars 2014. Rendez-vous est pris à l’Hôtel Lancaster avec l’équipe de la série Taxi Brooklyn. Malgré le temps maussade, Gary Scott Thompson a le sourire aux lèvres. Le showrunner est désormais habitué de la météo parisienne après avoir passé tout le mois de janvier en France pour la post-production. Le papa de Las Vegas et Knight Rider - le retour de K2000 est également ravi de revenir sur son oeuvre, une opportunité pour lui de travailler avec Luc Besson, homme qu’il admire depuis ‘La Femme Nikita’, son film, dit-il, préféré.

Tony Cotte : Votre expérience sur Knight Rider - Le retour de K2000 vous a-t-elle aidé à mener à bien Taxi Brooklyn ?

Gary Scott Thompson : J’ai envie de répondre oui et non. Sur Knight Rider, nous avions la possibilité de fermer les routes à Los Angeles pour les besoins du tournage, ce qui est impossible à New York. Vous êtes forcément beaucoup plus limité en matière de cascade. Ce qui était amusant, et très différent, c’est que les quidams se fichent qu’il y ait un tournage. Ils peuvent passer librement dans votre champ. C’est ce qui constitue la ville en tant que personnage à part entière. À Los Angeles, les habitants sont habitués. Personne ne fait une chose pareille. [Rires.]

Quelle est la principale difficulté pour le tournage des courses poursuites ?

Ce sont avant tout des difficultés liées à la logistique. Les réalisateurs français sont habitués à une liberté en tournant en France. Ce qui sert évidemment à la production. New York se dit une ville encline à favoriser les tournages, mais la réalité est différente. Les rues sont étroites, le territoire n’est pas si vaste et il y a des gens de partout. Vous avez des obligations de sécurité, avec la présence de policier et d’une équipe médicale. Toute cette organisation est sans doute l’aspect le plus difficile du tournage.

Quel challenge représente d’être à la tête d’une importante machine artistico-industrielle ?

L’ambition était, même si les équipes sont françaises, d’avoir, au rendu, une “vraie série américaine”. Je devais m’assurer que nous étions dans les mêmes conditions. La culture est différente. Par exemple, quand vous êtes officier de police, vous n’avez pas le droit de retirer votre arme, ni de la poser sur votre bureau aux États-Unis. Vous devez la garder sur vous obligatoirement en permanence, même quand vous n’êtes pas en service. J’ai dû veiller à genre de détails et m’assurer de la crédibilité que la série peut avoir à l’international, et notamment sur le sol américain.

« L’ambition était d’avoir, au rendu, une ’vraie série américaine’ »

Peut-on vous qualifier de perfectionniste ?

C’est ce que j’ai pu entendre... essentiellement par ma femme. [Rires.] J’essaye tout simplement de bien faire mon travail. Je viens du cinéma où l’approche est différente. Vous écrivez votre scénario et vous attendez ensuite qu’il soit réalisé. Quand vous assistez à l’avant-première, vous découvrez alors un rendu assez différent, car on aura effectué de nombreuses modifications en amont. À la télévision, le showrunner est la personne en charge et tout ce qui arrive de négatif est alors de sa faute. Je préfère être responsable de mes propres erreurs. Le scénariste est souvent critiqué pour les longs-métrages, alors que la majorité du temps c’est le réalisateur qui transforme le script à sa guise. Si le résultat est bon, on le félicitera. En revanche, les critiques négatives sont souvent destinées à l’auteur : « Le pauvre réalisateur n’a rien pu faire avec un tel matériau. » Je crois que c’est aussi une des raisons pour lesquelles de grands scénaristes travaillent de plus en plus pour la télévision.

Partie 2 > Les qualités du showrunner / Retour sur la série Las Vegas


Olivier Megaton est réputé pour maîtriser l’action et travailler à un rythme très soutenu. Qu’exige un tournage sous sa direction ?

C’est un très bon réalisateur de films d’action. Je connaissais son œuvre avant notre collaboration et je l’apprécie. Nous avons au préalable beaucoup discuté via Skype. J’aime notre façon de travailler ensemble, je pense qu’elle est efficace. Nous avions une vision commune : quand quelque chose ne rendait pas bien et n’était pas crédible, nous faisions en sorte d’y remédier.

Si Taxi Brooklyn emprunte des ressorts comiques, son environnement reste violent. Pour rester crédible, avez-vous songé à tuer l’un de vos personnages principaux comme on le voit de plus en plus dans la fiction américaine ?

C’est vrai que c’est à la mode aux États-Unis, mais l’exercice est périlleux : il faut instaurer une certaine crédibilité, mais faire attention à ne pas détourner les téléspectateurs mécontents de la mort de leur personnage préféré. De nombreuses personnes se plaignent de The Walking Dead. Pour le dernier épisode de la saison, nous avons d’ailleurs pris un peu ce risque....

Aviez-vous déjà en tête la dernière scène de la saison au moment du tournage du premier épisode ?

En grande partie. C’est la raison pour laquelle nous avons des showrunners aux États-Unis : pour superviser l’ensemble du travail. Les acteurs sont également dirigés de façon différente, ce qui peut être perturbant pour eux. Nous devons être là en permanence pour maintenir une certaine cohésion et ne pas hésiter à discuter avec les deux partis en cas d’incompréhension.

Quelle qualité fait, selon vous, un bon showrunner ?

Je dirais la capacité d’adaptation. Il faut savoir prendre en compte les imprévus dans son travail. Un bon showrunner doit avoir également être à l’écoute et se mettre dans la peau de son interlocuteur, comprendre son état d’esprit, qu’il soit acteur ou réalisateur. Il faut aussi être capable de rapporter tout ce qui se passe aux networks et répondre à leurs exigences. Après tout, leur argent sert à financer ce que vous produisez. Dans ma carrière, à chaque fois que je reçois des plaintes sur des éléments imposés ou supprimés, j’ai l’habitude de répondre : « C’est leur argent, ils décident de ce qu’ils veulent mettre sur leur propre chaîne ! »

« Avant, la télévision était un cimetière dans lequel vous alliez en fin de carrière »

Que retenez-vous de votre expérience sur Las Vegas, dont vous aviez la charge tout au long de ses 5 saisons ?

J’étais scénariste pour le cinéma et j’ai réalisé mon incursion sur le petit écran avec Las Vegas, que j’ai créée. Nous faisions 22 épisodes et je dois dire que j’en garde en héritage mes cheveux blancs. [Rires.] Un showrunner ne dort jamais de toute façon. Cette expérience m’a aussi permis de prendre conscience de la différence entre ces deux mondes. À la télévision, être scénariste a plus de considération et il y a un vrai échange avec le réalisateur. Avant, ce support était un peu un cimetière dans lequel vous alliez en fin de carrière. Aujourd’hui, auteur, acteur, réalisateur ou producteur : tout le monde alterne entre le petit et grand écran. Un créateur comme moi a beaucoup plus de possibilités dans ce milieu désormais. Les portes ne sont plus fermées.