Toutelatele

Gérard Krawczyk (Marseille !) : « Sans Luc Besson, je n’aurais pas réalisé la saga Taxi »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 04/09/2015 à 20:19

Ce vendredi 4 septembre, France 3 consacre sa soirée à la ville de Marseille. Plus belle la vie démarre à 20h20, Thalassa, plus belle la mer est proposé en prime time, et le reportage Marseille ! à 23h20. Toutelatele s’est ainsi entretenu avec le cinéaste Gérard Krawczyk, le réalisateur de la saga Taxi et de Marseille !, et un amoureux de la cité phocéenne.

Joshua Daguenet : Dans le documentaire Marseille !, on remarque que les habitants sont très fiers de leur port, leur poisson, leur club de foot. De toutes les composantes qui font Marseille, par quoi avez-vous été principalement séduit ?

Gérard Krawczyk : Les gens m’ont séduit. L’écrivain Albert Londres a dit « Le seul monument à Marseille, c’est le peuple » et il a raison. J’ai été propulsé à Marseille pour le premier Taxi, cela m’a fait un choc. Cette ville absorbe les personnes, un peu comme New-York. Même les étrangers qui débarquent dans la ville, deviennent très vite fiers d’être marseillais. On ne retrouve pas ce phénomène à Paris, les gens qui viennent dans la capitale, ne deviennent pas fiers d’être Parisiens.

Ce sont les habitants qui font Marseille, à l’inverse de Paris ?

Il y a quelque chose qui se passe Marseille, qui vient du fait que les gens ont fui une précarité, une insécurité, et ils se construisent une nouvelle identité à Marseille, ce qui n’est pas vraiment le cas à Paris. Dans la capitale, on ne se parle pas beaucoup, contrairement à Marseille. certains le disent dans le documentaire, ils parleraient à un mort.

Finalement, toutes les régions ont une forte identité : les Corses sont fiers d’être Corses, les Alsaciens, les Ch’tis, les Basques le sont aussi... Les Marseillais aiment-ils plus fort leur ville que les autres, ou l’aiment t-ils différemment ?

À la différence des exemples cités, eux ils aiment une ville et non une région. Ils sont fiers d’être marseillais, et il y a en même temps beaucoup de communautés. Je ne suis pas sociologue mais je pense que leur appartenance est particulière, ce n’est pas du nationalisme non plus. En dépit de leurs différentes origines, ils se retrouvent à travers Marseille.

Vous dénoncez les clichés sur Marseille notamment dans les quartiers nord, et à travers les paroles d’une dame qui critique sévèrement la ville, en s’appuyant sur les informations de TF1. Selon vous, la presse expose t-elle davantage les règlements de compte et crimes à Marseille que dans les autres villes de France ?

Surtout, la presse ne parle de Marseille qu’à travers ça. Quand on parle de Marseille dans le journal, c’est pour évoquer les règlements de compte, les braquages, le deal. Les habitants trouvent qu’on ne donne que ce côté-là de la ville, et je ne suis pas loin d’être d’accord avec eux, d’où ma volonté de faire ce film.

Marseille est-elle une ville qui dérange ?

Je pense que oui. L’écrivain René Frégni l’explique à la fin, il y a cette rivalité entre Paris, cette ville champagne et pétillante, et la ville rugueuse, insoumise et rebelle qu’est Marseille.

« Cette ville absorbe les gens, c’est un processus et une alchimie que je n’ai pas retrouvé ailleurs »

Chacun des témoins à travers leur propre vécu raconte une histoire ressemblante, la fierté de leur appartenance et de leur ville. Dans le fond, en quoi les témoignages se complètent dans ce documentaire ?

On se rend compte à travers les témoignages que ces personnes sont nées à Marseille mais leurs parents, grands-parents pas forcément. Une boulangère parle d’étrangers en évoquant des parisiens, alors qu’elle-même est de sang portugais. Cette ville absorbe les gens, c’est un processus et une alchimie que je n’ai pas retrouvé ailleurs.

Le titre du documentaire c’est Marseille ! avec un point d’exclamation. Que représente cette ponctuation à vos yeux ?

Elle représente la manière de parler et de communiquer. C’est Marseille, on s’appelle, on s’invective. Apostropher quelqu’un me semble être dans l’ADN de la ville, et ce n’est pas primal. Faire cela à Paris serait mal vu.

Dans les 20 dernières minutes du reportage, il y a un contraste saisissant : un dentiste-photographe présente la baie des singes comme un paradis, avec une musique à bercer le téléspectateur, et dans la seconde, les sirènes de pompier cassent le moment. Ce choix d’enchaîner deux scènes si différentes, est-ce une façon d’illustrer le contraste de cette ville ?

C’est plus un problème cinématographique. Il y a toujours de la dramaturgie dans toute fiction, tout reportage ou tout documentaire. Il faut faire du story-telling pour être entendu. Moi, j’ai voulu faire un portrait de la ville, avec mon regard. Je n’ai pas voulu ajouter une scénarisation, cela fausse la perception de notre époque et d’où on vient. Aussi, j’ai souhaité éviter que les téléspectateurs s’ennuient, et ne pas leur expliquer ce qui était montré. J’espère que la complexité de la ville a été comprise.

L’ensemble du documentaire est globalement élogieux. Toutefois, l’écrivain René Frégni que vous avez évoqué, a eu le mot de la fin. Il craint une paupérisation de la ville, et parle de la prison des Beaumettes et la criminalité. Pourquoi avoir choisi de terminer ce film sur une note négative ?

C’est une note critique, mais elle est valable pour toutes les villes de France. À travers Marseille, j’ai fait le portrait d’un ami que je connais bien. Quelqu’un a dit [Hervé Lauwick, ndlr] « un ami c’est quelqu’un qu’on connait bien, et qu’on aime quand même ». Ce portrait est bienveillant, je ne vois pas la fin comme négative, mais plutôt comme un avertissement. Il faut être vigilent pour préserver les choses.

Outre votre passion pour la cité Phocéenne, vous avez aussi derrière la caméra, celle des taxis. Vous avez réalisé trois volets de la saga Taxi, dont le deuxième qui a réalisé plus de 10 millions d’entrées en France, soit le film le plus vu au cinéma en 2000, et la moitié du premier Taxi. Vous avez aussi signé deux épisodes de la série Taxi Brooklyn qui elle, a moins fonctionné puisque TF1 a annulé la deuxième saison. Comment expliquez-vous cette différence de succès entre la saga et la série télévisée ?

Elle a été écrite par des Américains. C’est donc différent des films que j’ai pu faire. TF1 a certes annulée la suite, mais les audiences n’ont pas été mauvaises, surtout sur NBC. La chaîne américaine souhaitait poursuivre, mais les épisodes étaient coûteux, il s’en est fallu de peu pour qu’une deuxième saison soit réalisée. Dans Taxi Brooklyn, on est cependant loin de l’univers de la série marseillaise.

« Aujourd’hui, il est plus facile de passer en prime time un film où il y a de la violence plutôt que de la sensualité »

Vous avez travaillé plusieurs suites et remakes, à l’instar de Fanfan la tulipe et L’auberge rouge. Quelle a été votre motivation à prendre la suite des œuvres cultes de Claude Autant-Lara et Christian Jacque ?

J’ai vu les deux films étant petit. Je me suis dit que c’est notre rôle de cinéaste de faire connaître à des jeunes générations, des films comme Fanfan la tulipe ou L’Auberge rouge. Ce ne sont pas des classiques comme des films de Renoir auxquels je n’aurais jamais touché. Pour moi il serait absurde de faire des remakes Des enfants du paradis ou de La grande illusion.

Dans votre filmographie, on remarque que vous mélangez beaucoup les registres, en y incluant la comédie. Dans les Taxi, on retrouve du policier, dans L’auberge rouge de l’horreur, de l’aventure dans Fanfan la tulipe, ou encore de l’action dans Wasabi. Pourquoi ce choix d’avoir plusieurs genres dans chacun de vos films ?

Pour moi, j’ai réalisé deux volets de films : les films de divertissement, et des œuvres plus intimistes. Je me suis retrouvé par hasard aux commandes du premier Taxi. Sans Luc Besson, je n’aurais pas pris l’initiative de réaliser cette saga, ce qui aurait été regrettable, car j’ai pris beaucoup de plaisir à la faire.

Au début de votre carrière, vous avez signé un drame, l’Été en pente douce. Un film qui parle du mariage, de l’homme prédateur, de la France profonde avec un village hostile à l’étranger sous toutes ses formes, et servi par une grande distribution, dont les regrettés Jacques Villeret, et Pauline Lafont. Trente ans plus tard, avec les mutations, l’évolution des mentalités et des tabous, serait-il possible de reproduire un tel film ?

Je pense qu’au contraire, avec tous les replis et la peur distillés partout, ce film serait toujours d’actualité, et il serait possible de le reproduire.

Le personnage de Pauline Lafont, très libertin dans ses actions, ne choquerait-il pas ?

C’est quelqu’un de très féministe. Je ne suis pas sûr que ni le film ni ce personnage ne dérangeraient plus aujourd’hui, qu’à l’époque. Lors de sa sortie [1987, ndlr], L’été en pente douce a failli être interdit aux moins de 16 ans car jugé sulfureux et érotique, et environ deux ans plus tard, il a été diffusé à la télévision. La fois d’après, il a été programmé à 20h30. Depuis, il n’est proposé que tard le soir. Aujourd’hui, il est plus facile de passer en prime time un film où il y a de la violence plutôt que de la sensualité.

Vous avez fait quelques apparitions devant la caméra, notamment dans Jeanne d’Arc, et dernièrement dans le film de Josiane Balasko, Cliente. Pourquoi ne pas avoir interprété un vrai rôle dans le septième art ?

Par manque de compétence, je suis un très mauvais acteur. Quand je passe à l’écran, c’est soit à la demande d’un ami, ou alors pour voir ce que l’on ressent quand on est devant la caméra, cela aide beaucoup pour la suite. J’ai une anectode avec Sylvie Testud dans La vie est à nous ! qui va voir sa rivale dans le café d’en face. La patronne, Catherine Hiegel, lui demande « Qu’est-ce que je vous sers ? » et l’autre ne répond pas. La patronne insiste et Sylvie lui répond « J’ai bien compris, mais de l’autre côté du comptoir, on ne m’entend pas pareil ». C’est la même chose pour un journaliste et un cinéaste, on ne communique pas de la même façon. Si nous échangions notre rôle, on réaliserait ce que l’autre ressent. Voilà pourquoi je me pose devant la caméra, cela aide à créer du lien, c’est aussi le but recherché dans le documentaire Marseille !