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Grégory Fitoussi (Les Hommes de l’ombre) : « Ludovic Demeuze a une revanche à prendre »

Marion Olité
Publié le 08/10/2014 à 14:06 Mis à jour le 14/10/2014 à 22:23

Grégory Fitoussi est un acteur passionné. Ce métier il en rêvait. À l’occasion de la saison 2 des « Hommes de l’ombre », celui qui incarne Ludovic Demeuze chaque mercredi sur France 2 revient sur son personnage avide de pouvoir et de réussite et ses expériences à l’étranger. Rencontre.

Marion Olité : Avez-vous effectué un travail particulier pour réintégrer le costume de Ludovic Demeuze ?

Grégory Fitoussi  : Pas vraiment. Ça a été assez facile de se replonger dedans, car j’avais beaucoup travaillé dessus en saison 1, notamment en rencontrant des consultants en communication. Les petits détails dans leur façon de se comporter m’avaient beaucoup aidé. Ça leur plaisait beaucoup ce pouvoir, cette façon de tirer les ficelles dans l’ombre. Ils se prenaient très au sérieux et étaient sûrs d’eux. Je n’ai pas ressenti le besoin de le faire à nouveau. Le personnage a une logique dans la continuité.

Comment avez-vous vécu l’attente entre les deux saisons des Hommes de l’ombre ?

En terme de planning, j’étais plutôt content en fait. Ce retard m’a permis de jouer dans un téléfilm avec Isabelle Carré, et de prendre des vacances (rires) ! Il y a quand même eu un moment de flottement où on ne savait pas si la série allait continuer, mais ça me concernait de loin. J’étais sur autre chose. On me tenait au courant de ce qui se passait. J’étais curieux de lire les nouveaux épisodes. Je suis un grand fan de Dan Franck, dont j’apprécie le travail. Ça m’a un peu inquiété ce changement de scénariste. J’ai rarement lu des scénarios aussi bons que ceux de Dan Franck, que ce soit au niveau des personnages ou de l’intelligence d’écriture. C’est vraiment très fin. Mes inquiétudes ont été balayées à la lecture des nouveaux scénarios de la saison 2, qui étaient dans la continuité de ceux de Dan Franck.

Votre personnage évolue-t-il dans cette saison 2 ?

Si vous vous demandez s’il va devenir gentil, la réponse est non (rires) ! J’ai tâché de le faire évoluer par les circonstances : il a perdu les élections. Il a une revanche à prendre. Il sera peut-être même encore plus énervé qu’avant (rires). Mon travail a été de construire un personnage avec cohérence. Le vrai support, c’est le scénario : ce qui lui arrive et comment je décide qu’il va réagir à tel ou tel événement. C’est souvent le passif d’un personnage qui motive ses réactions présentes.

« C’est un monde de requins dans lequel il faut mordre plus fort que les autres »

Quelles sont ses motivations ?

Il veut être Numéro 1 dans ce qu’il fait, et obtenir la com’ de l’Élysée. C’est le summum de ce qu’il peut atteindre. Pour cela, il doit détruire Simon Kapita, qui se pose comme son seul rival valable. C’est passionnant de voir deux grands concurrents s’affronter. Dans les Hommes de l’ombre, Kapita est en plus l’ancien mentor de Ludovic. Il y a quelque chose de l’ordre de « tuer le père » pour se libérer. Ça fait appel à des thèmes shakespeariens. À la différence de Simon Kapita, Ludovic n’a pas en tête de servir l’État. C’est un opportuniste qui saute sur les bonnes occasions pour se faire connaître, et se hisser au plus haut. Il est avide de réussite et de pouvoir, mais il l’assume très bien. Comme pas mal de gens qui se comportent mal, je pense qu’il est convaincu que ce qu’il fait est bien, et que les autres ont tort. Il n’est pas le seul dans ce métier à agir ainsi. C’est un monde de requins dans lequel il faut mordre plus fort que les autres.

Quelle liberté avez-vous sur votre personnage ?

En terme d’écriture, c’est très difficile d’intervenir. Quand vous recevez les scénarios, c’est déjà trop tard. Et de toute façon, je ne suis pas spécialiste en série politique. Sur le plateau, j’ai toujours tendance à proposer des choses qui vont dans le sens du personnage ou de la scène. J’ai pu me le permettre, car on se connait bien avec Jean-Marc Brondolo (le réalisateur de la saison 2, ndlr). On a travaillé ensemble sur Engrenages. Il est à l’écoute des propositions des acteurs.

Voyez-vous des points communs entre le personnage de Pierre Clément dans Engrenages et celui de Ludovic Demeuze ?

Pas vraiment. Pierre n’a aucune intention de devenir numéro 1 dans son domaine, et surtout d’écraser les autres pour ça. C’est quelqu’un qui tente de rester intègre et loyal envers les gens qu’il aime. Ludovic est à l’opposé de ça. Il n’a aucun scrupule. Il est prêt à presque tout pour atteindre son but. Mais en tant qu’acteur, mon principe de base est de ne pas juger celui que je joue.

Partie 2 > Ses expériences sur Mr. Selfridge et World War Z


Bruno Wolkowitch, votre partenaire dans Les Hommes de l’ombre a confié à Toutelatele qu’il n’aimait pas jouer le même personnage très longtemps. Vous qui avez incarné des personnages dans des séries sur la longueur, qu’en pensez-vous ?

L’exercice me plaît tant que je ne me lasse pas. J’ai, par exemple, décidé d’arrêter Mr. Selfridge après la saison 3, car j’ai l’impression d’avoir fait le tour de mon personnage. En tant qu’acteur, évidemment on aime par-dessus tout faire des choses différentes, se renouveler, se surprendre soi-même ou le public. Ça peut devenir laborieux de jouer un personnage sur des années. Par contre, je trouve passionnant de développer le caractère d’un personnage. Il peut devenir aussi complexe qu’on le décide. Dans Engrenages, j’ai pris un vrai plaisir à faire évoluer Pierre au fil des saisons. Face à des situations similaires, il ne se comporte plus de la même manière entre la saison 1 et la saison 5. Quand c’est bien écrit, c’est passionnant. C’est quand l’écriture commence à pêcher un peu, qu’on a l’impression de lire des scènes déjà jouées dans le passé, qu’il vaut mieux partir. La motivation se perd, vous n’êtes plus créatif... Après ça revient à cachetonner.

Est-ce ce qui vous est arrivé sur Mr. Selfridge ?

Non, parce que je suis parti avant d’en arriver là. J’ai pris un grand plaisir sur ce tournage. Ça fait des années que je voulais partir à l’étranger et apprendre une bonne fois pour toute à parler et jouer en anglais couramment. J’ai eu cette opportunité de travailler à Londres sur une série de qualité, avec un acteur que j’admirais, Jeremy Piven (Ari Gold dans Entourage, ndlr). Donc c’était vraiment le moment parfait et en même temps un sacré concours de circonstances : Engrenages était diffusée sur la BBC4. Un agent anglais est venu à Paris me rencontrer après avoir vu la série. Il a parlé de moi là-bas et j’ai eu Mr. Selfridge.

Comment s’est déroulée la collaboration avec Jeremy Piven ?

Incroyablement bien. Je joue son meilleur ami dans la série, et dans la vie, on est vraiment devenus amis. On part en vacances ensemble (rires). C’est un super acteur et un mec génial. On reste en contact.

« Être acteur est un rêve de gosse pour moi »

Votre parcours passe par le cinéma US et français, puis des séries anglaises et françaises. C’est assez atypique. Ne vous sentez-vous pas comme une exception en France ?

Il n’y a que des exceptions dans ce métier. Il n’y a pas de règles. De par mon passif à la télé, je sais qu’on compartimente les acteurs assez facilement en France. J’ai vite compris que j’allais être cantonné à quelque chose. J’ai eu envie de m’ouvrir mes perspectives. Autant essayer d’aller chercher ailleurs. Mais j’ai eu la chance de toujours travailler de façon régulière. Je n’ai pas connu de grandes périodes désertiques. Quand on ne me choisissait pas, je me disais toujours que je n’étais pas assez bon et qu’il fallait que je travaille plus.

Vous avez aussi tourné dans des blockbusters américains comme récemment World War Z, quitte à interpréter des rôles très secondaires...

Quand on m’a dit que j’allais tourner avec Brad Pitt, j’aurai pu faire un jour, ça ne m’aurait pas dérangé ! Je suis curieux et avide de nouvelles expériences, surtout quand elles sont un peu folles. C’est un rêve de gosse pour moi d’être acteur. Je ne pensais pas que ce serait possible. Donc, aujourd’hui, toutes les opportunités qui me paraissent un peu folles, je me jette dessus ! J’ai joué dans G.I. Joe et le film est très mauvais, mais je me suis tellement amusé à le faire (rires).

Vous travaillez dans le milieu des séries depuis quinze ans. Avez-vous vu cette industrie changer ?

Oui, clairement. On arrivait au terme de ses séries fleuve qui duraient pendant des décennies, type Navarro ou Julie Lescaut. Elles duraient depuis trop longtemps, il fallait un souffle nouveau. On a vu arriver ces séries de l’étranger qui mettaient la barre beaucoup plus haut. On a été obligés d’avancer, et encore aujourd’hui avec l’arrivée de Netflix. On a maintenant des choses d’une qualité incroyable. Engrenages a été très bien reçue en Angleterre. Elle était politiquement incorrecte. Avant, il fallait que les flics soient tous gentils, que les méchants soient très identifiés. Là, c’était des personnages moins manichéens et monolithiques, qui avaient aussi leur défaut. Des personnages ni tout blanc, ni tout noir, qui ressemblent à ce qu’on est dans la vraie vie.