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Guillaume Durand

Joseph Agostini
Publié le 28/02/2004 à 00:00 Mis à jour le 31/03/2011 à 16:24

Maître de cérémonie des XIXèmes Victoires de la musique aux côtés de Jean-Luc Delarue, Guillaume Durand met son image de show man au service d’une télévision alternative et éclairée avec Campus et Trafic.musique. Après avoir commis La Peur bleue, un livre où il racontait ses déboires à Canal +, l’homme, vidé de ses rancoeurs, donne à « vivre » la culture, pour le meilleur du service public. Le pari est si audacieux que l’audience compte presque pour du beurre. Insaisissable, Durand... Dandy mondain ou érudit nonchalant ? Tête pensante ou questionneur professionnel ? A quelques heures du direct des Victoires de la musique, la rencontre penche plutôt du côté de la sincérité et de la différence...

Joseph Agostini : Vous allez, dans quelques heures, coanimer Les Victoires de la musique. L’aspect commercial et consensuel que peut avoir cette cérémonie n’a rien à voir avec votre émission Trafic.musique...

Guillaume Durand : J’adore présenter les grandes cérémonies en direct. Il y a une magie, un trac, une part d’impondérable,qu’on ne retrouve pas dans des émissions enregistrées et entièrement préparées. Je serai là pour distribuer des prix, mais je ne vois pas dans cette soirée qu’un aspect commercial ! Chaque année, l’antenne est donnée à des groupes alternatifs et à des chanteurs à texte, qui ne font jamais de première partie de soirée. Parmi les nommés, on retrouve Delerm, Bruni, Mickey 3D ou encore Juliette Gréco. Je n’ai absolument pas honte d’animer ce type de soirées.

Joseph Agostini : Si je vous dis Chimène Badi ?

Guillaume Durand : Elle est presque la seule à appartenir à un genre formaté ! Au Grammy Awards, on retrouve, dans la même catégorie, un album de George Harrisson et un autre de Justin Timberlake ! Tous les genres doivent être représentés. Evidemment, Les Victoires ne sont pas animées par Chaplin et il n’y aura pas d’hommage à Charlie Parker...

Joseph Agostini : Entre le sourire dentifrice des stars et la situation alarmante des intermittents, le fossé ne vous semble-t-il pas trop grand ?

Guillaume Durand : La tension qui existe entre les intermittents du spectacle et le pouvoir politique devra apparaître dans l’émission. Il faut que les Victoires fassent office de tribune ! Cela dit, la cérémonie ne sera pas dédiée aux intermittents mais à la musique ! Il ne faut pas tout mélanger.

Joseph Agostini : Vous animez le magazine littéraire de France 2, Campus, depuis 2001. A votre avis, avez-vous un rôle politique à jouer, comme Michel Polac en son temps ?

Guillaume Durand : A son époque, Polac faisait une télé dans la télé. Il existait une tension chimérique entre les intellectuels de gauche et le pouvoir. Depuis la fin des années 80, beaucoup d’illusions n’ont plus lieu d’être. Toute une partie de la mythologie politique s’est envolée. A l’époque de Droit de réponse, il y avait des débats du type « Pour ou contre la publicité ? » Aujourd’hui, ces questions ne peuvent plus vraiment se poser. Je ne me considère pas comme un militant dans Campus.

Joseph Agostini : Peut-on questionner Christine Angot comme si c’était Simone de Beauvoir ?

Guillaume Durand : J’essaie de faire la part entre ce qui est important et ce qui l’est moins. Je consacre des émissions entières à Sagan, Lévi-Strauss, Robbe Grillet, et j’accueille le tout venant pour qu’il me parle aussi de son actualité. Campus a une vocation pédagogique en retraçant les grands courants et incite également à découvrir les nouveautés littéraires.


Joseph Agostini : Avec Trafic.musique, vous avez un peu repris le flambeau des Enfants du Rock. L’audience descend parfois sous la barre des 8%. Le désespoir vous guette-t-il ?

Guillaume Durand : Sur la scène de Trafic, il y a Franck Ferdinand, Darkness, des représentants de l’alternatif français et étranger. Cette musique est pointue et ne répond pas aux exigences des réalités commerciales. En cela, Trafic.musique, à raison de cinq numéros par an, est une véritable émission de service public. L’audience des programmes culturels est, de toutes manières, très faible. L’an dernier, Anne Sinclair peinait à séduire 3% des téléspectateurs !

Joseph Agostini : Du journal de La 5 aux shows populaires de TF1 en passant par le talk show politique de LCI et Nulle part ailleurs sur Canal +, vous vous êtes frotté à tous les genres... Aujourd’hui « Monsieur Culture » de France 2, votre image vous correspond-elle enfin ?

Guillaume Durand : Je ne regrette pas l’éclectisme de mon parcours. Cela dit, j’ai accepté de faire de longues traversées du désert, au nom d’une certaine exigence ! Je n’ai jamais voulu sacrifier à la facilité, comme certains animateurs trop lisses, à mon goût. Depuis mon arrivée à France 2, mon image me correspond vraiment. En télévision, je crois qu’il faut savoir trouver sa place. Regardez Ardisson ! Les téléspectateurs l’adorent le samedi dans la nuit et le rejettent à 20h30 dans la semaine ! Le succès se joue à peu de choses.

Joseph Agostini : A propos d’image aux abois, parlez-nous de Bernard Montiel...

Guillaume Durand : (Rires) J’ai redécouvert Montiel quand il a écrit son bouquin, l’an dernier. Moi qui ai écrit La Peur bleue, un livre dans lequel je racontais la violence de ce métier, j’ai trouvé ses réflexions sur la télé particulièrement décapantes. Montiel en avait marre de jouer les potiches et de présenter des vidéos avec des bébés qui tombaient de leurs chaises. Nous préparons ensemble un talk show d’actualité quotidien pour la case de 18 heures, capable de fédérer les quinquas et les jeunes.

Joseph Agostini : La rédaction de France 2 traverse aussi une sérieuse crise d’identité. Votre analyse ?

Guillaume Durand : La nomination d’Arlette Chabot devrait créer un électrochoc. Pour lutter contre Poivre et Pernaut, la rédaction de France 2 ne doit pas copier sa principale rivale. Aujourd’hui, TF1 est le modèle dominant. A l’inverse, ce n’est pas en faisant de grands dossiers sur la Moldavie qu’on redressera l’audience des JT ! Il ne faut pas que le 20 heures devienne le Monde diplomatique. Le journalisme politique devrait toutefois renouer avec un esprit critique, incisif, présent du temps de Mourousi. Le temps devrait être aux vraies audaces éditoriales et s’inscrire à contre-courant de la machine communicationnelle des cabinets et des ministères.