Toutelatele

Jean-Luc Delarue, l’interview vérité

Tony Cotte
Publié le 31/05/2010 à 11:23 Mis à jour le 24/08/2012 à 15:35

Jalousé par les uns, persona non grata pour d’autres, chouchous des ménagères pour les annonceurs, Jean-Luc Delarue est un personnage atypique dans le Paysage Audiovisuel Français. N’accordant que très rarement d’interviews, et se méfiant des « fausses informations » parues dans la presse, l’animateur a décidé de sortir de son silence. Fort du succès de son émission quotidienne Toute une histoire, Jean-Luc Delarue fait le point pour Toutelatele.com.

Tony Cotte : On vous a dit pendant des années « bunkerisé » et peu enclin à vous exprimer, peut-on parler aujourd’hui d’un besoin de communiquer ?

Jean-Luc Delarue : Je dirais que ça remonte à l’affaire des « animateurs-producteurs », en 1996. À l’époque, j’ai lu des choses qui étaient vraiment n’importe quoi, dans une presse type Nouvel Obs et Télérama. Bien sûr, le droit à la critique est fondamental, ça ne se discute pas, mais il s’agissait vraiment de fausses informations à mon propos. J’ai alors décidé de me taire, l’essentiel se faisant évidemment ailleurs, c’est-à-dire à l’antenne. Et puis, on évolue. J’ai ressenti le désir de mieux me faire connaître, ou plutôt qu’on connaisse mieux qui je suis. Entre-temps, il y a eu une presse people qui présentait un certain Jean-Luc Delarue comme quelqu’un à qui moi-même je n’aurais sans doute pas serré la main. Je ne lis jamais ces articles, mais on m’en parle. Il y a eu, m’a-t-on raconté, des attaques sur la façon dont je dirige mes équipes. Vous croyez qu’ils sont venus me voir travailler ? Non, bien sûr. Qu’ils ont pris la peine de rencontrer mes collaborateurs ? Non plus.

Au cours d’une interview accordée à Nice Matin, vous avez surpris en évoquant votre « érection mensuelle »...

C’était un mot drôle dans un contexte précis. On n’a retenu que le mot érection, l’un ou l’autre hebdo ou quotidien s’en est moqué, paraît-il. C’était juste quelque chose de rigolo, pas du tout une confidence. Mes amis me disent que c’est de la malveillance à mon égard, venant de gens que je n’ai jamais rencontrés. C’est moi qu’on met en cause, heureusement, et pas les admirables invités de mon émission dont le courage et l’intelligence me sidèrent. Les gens me racontent facilement leur vie. Et souvent, quelles vies ! Le moins que je puisse faire est d’évoquer la mienne en retour.

Comme vous avez pu le faire lors de vos confessions à Gala ?

J’ai eu la chance d’en être le rédacteur en chef invité pour un numéro. Ce furent des moments inoubliables avec une rédaction incroyablement professionnelle. J’ai parlé de ma grand-mère à qui je dois tant. J’ai accueilli dans ce numéro Alain Seban, le président du Centre Pompidou, un grand chef comme Régis Marcon, l’écrivain François Weyergans préparant sa réception à l’Académie française, ceux que j’appelais mes « camarades d’antenne » : Laurence Ferrari, Alessandra Sublet, Frédéric Taddéi, Nikos, Stéphane Plaza, sans oublier Isabelle Huppert qui triomphait à ce moment-là au théâtre à New York. Ce furent des journées (et des nuits) inoubliables. Je suis prêt à recommencer. Faites passer le message à Matthias Gürtler, le vrai rédacteur en chef !

Votre évolution s’accompagne d’un changement de style : on se souvient de Ça se discute emmené par un intervieweur impassible, mais d’une certaine pudeur, pour retrouver aujourd’hui l’animateur de Toute une histoire plus décontracté, et qui laisse plus souvent tomber la distance au profit de l’empathie...

C’est joliment dit, mais je crois que ça n’a rien à voir avec la pudeur. « Pudeur », c’est un mot lourd de plusieurs sens. L’évolution que vous observez chez moi est technique : c’est simplement la différence que l’on peut trouver entre une émission hebdomadaire et une émission quotidienne. Pour une quotidienne, on ne dit quasiment pas bonjour ni au revoir, on est en flux continu. Je l’avais déjà expérimenté à Europe 1 et à Canal+, c’est un système dans lequel je me sens bien. S’il s’agit d’une hebdomadaire ou d’une mensuelle, on doit, au contraire, donner l’impression de quelque chose d’exceptionnel et suggérer qu’on est en train de faire la meilleure émission du mois ou de l’année.


Avec votre passage d’un programme à l’autre, votre panoplie a, elle aussi, évolué. Peut-on dire que votre stylo, bloc-notes et autre oreillette sont passés, du moins quand ils sont encore utilisés, du rempart habile à de simples accessoires de contenance ?

Votre analyse est juste. Disons que les choses se simplifient. Quand même, j’ai acquis du métier ! Et on va vers la simplicité. Les accessoires restent techniques, pratiques. Si je montre une oreillette, c’est pour que l’on sache que je reste en contact avec la rédaction, avec celles et ceux qui ont construit l’émission avec moi.

Autre point important de cette image : votre réputation. Pendant des années, on a parlé d’un « homme d’affaires insatiable », d’un « golden boss », parfois même d’un être « avide », tout en étant surnommé de « gendre idéal du PAF ». Avez-vous, à un moment donné, joué de ces étiquettes ?

Je manque vraiment de recul par rapport à ça. En fait, je tombe des nues quand j’entends ce genre de choses. Ça n’a rien à voir avec moi. Je me vois comme quelqu’un qui prépare et anime ses émissions avec une concentration maximale. Je suis aussi chef d’entreprise, j’ai de nombreux salariés, je m’occupe d’eux.

Comment expliquez-vous que l’on se soit autant intéressé à vous avec, parfois, des réactions plutôt exacerbées ?

On s’occupe beaucoup de moi, dirait-on. Peut-être parce qu’on m’aime bien, allez savoir ! Je ne pense qu’à une chose : faire de mon mieux les meilleures émissions possibles. Et le public est là. Nous obtenons des records d’audience, rien ne me satisfait davantage.

Malgré les critiques, personne n’a jamais remis en question votre qualité d’écoute. La considérez-vous comme votre point fort ?

Je crois que c’est inné. Je ne l’ai pas acquis, c’était là. Jean Cocteau disait qu’il faut chanter dans son arbre généalogique. L’écoute et l’échange font partie de moi et c’est la moindre des choses quand on anime une émission comme la mienne ! Quand je vois des animateurs qui n’écoutent pas, qui coupent la parole au mauvais moment, ça me rend malade. Malade pour eux, malade pour le spectateur, malade pour moi : ils bafouent mon métier.

Toute une histoire enregistre des audiences croissantes cette saison, notamment auprès des ménagères. Que vous inspire ce succès ?

Tout ce travail, parfois jusqu’à l’angoisse, se trouve justifié. C’est comme une récompense. Je suis touché à la fois par la réaction du public et celle de mes invités.


Quel genre de réactions peut toucher la sensibilité de Jean-Luc Delarue ?

Récemment, dans l’émission « Nos enfants ne sont pas forcément ceux que l’on croit », une jeune fille sri-lankaise, très courageuse, témoignait. Ses parents pensaient qu’elle était en cinquième année à la fac alors qu’elle sort toutes les nuits et qu’elle est à la limite de la délinquance. Elle m’a dit : « N’arrêtez pas, vous faites du bien aux gens ». J’en ai eu les larmes aux yeux. Elle m’a dit ça ! En général, ça ne se dit pas. Je vois dans le regard des invités que j’ai leur confiance. Une confiance que je ne trahis pas.

Cet espace de dialogue, vous l’avez également pratiqué dans l’émission Ça se discute. Son arrêt vous affecte-t-il toujours aujourd’hui ?

On ne passe jamais deux fois par le même ruisseau. Peu d’animateurs et producteurs peuvent dire qu’ils ont fait la même émission pendant 15 ans. L’arrêt de l’émission, ce n’était pas forcément ma décision, mais c’est ainsi. Aujourd’hui, on me parle de Toute une histoire .

Qu’en est-il du cas de votre C’est mon choix , émission à succès que vous avez produit pour France 3 ?

C’était adapté au style d’Évelyne Thomas : spectacle et confrontation. Je me souviens, et je tiens à me souvenir, d’un beau travail en commun avec l’animatrice.

En pleine période de mercato, les rumeurs vont bon train. Comme chaque année, les noms de TF1 et Jean-Luc Delarue se retrouvent associés. Entre cette chaîne et l’animateur que vous êtes, peut-on parler d’une histoire d’amour impossible ?

Ah la la, la presse reprend la presse ! On répète des approximations. Réservoir Prod (sa société de production, ndlr) a la chance d’avoir un magazine en cours de production avec TF1. Nous le peaufinons. Je ne l’animerai pas. Tout se passe très bien avec France 2, je n’ai aucune raison d’aller voir ailleurs.

Michel Field dit que votre plus « grande intelligence » a été de « refuser les sirènes de TF1 » au fil des années...

(Il coupe) C’est amusant que Michel Field, actuellement sur TF1, dise un truc comme ça. Je ne crois pas qu’il me connaisse vraiment.


En tant que producteur, vous avez concocté de nombreux programmes dont Stars à domicile dont vous aviez annoncé le retour avant cet été 2010. Celui-ci n’aura finalement pas lieu. Peut-on parler de crise du divertissement ?

Répondre à cette question, ce serait engager le diffuseur avec qui nous travaillons. Je ne trahis jamais les secrets d’alcôves.

Autre émission pour TF1 et qui a fait particulièrement du bruit : Scrupules . Quels souvenirs en gardez-vous ?

C’était sans doute un mauvais titre, « Scrupules », mais ça a rencontré son public. Au moment de l’arrêt, décidé d’un commun accord avec Etienne Mougeotte, l’émission faisait 35% de part de marché. Un programme né sous une mauvaise lune ? Réussir une émission est plus compliqué que la rater, vous dirait Monsieur de La Palice. Mais attention, les émissions de TF1 qui ont vraiment fait du bruit étaient Vis ma vie et Stars à domicile .

Regrettez-vous d’avoir produit certaines émissions dans votre carrière ?

(Il réfléchit) Aucune.

La dernière nouveauté de Réservoir Prod est « Vies croisées » sur la TNT. Qu’apporte de plus cette émission par rapport aux nombreux magazines déjà présents dans le PAF ?

L’émission apporte du « lien social », ce que je considère comme l’ADN de Réservoir Prod. Ce qui intéresse les gens, ce sont les gens. C’est mon crédo et je n’en démordrai pas.

Aujourd’hui on parle d’un projet de programme culturel avec votre ami François Weyergans...

C’est, pour moi, le plus grand écrivain français vivant. Nous sommes au printemps de la maturité du projet. Ce sera une émission qui refusera de tomber dans le talk-show agressif comme c’est souvent le cas. Nous respecterons à la fois les lecteurs et les écrivains. François fut l’invité de pratiquement toutes les émissions littéraires depuis 40 ans, il en a perçu les manques du point de vue de l’écrivain. Notre projet est capable, à mon avis, de rassembler deux ou trois fois plus de spectateurs que la moyenne des émissions littéraires actuelles qui, hélas, n’ont pas de bons scores.

Que peut-on souhaiter à Jean-Luc Delarue aujourd’hui ?

Que mes équipes travaillent avec toujours autant de passion et que les spectateurs prennent du plaisir à suivre nos émissions. Voilà mon vœu le plus fort.