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Joël Dicker (La Vérité sur l’affaire Harry Québert, TF1) : « Le romancier ne doit pas se mêler de la partie créative d’une adaptation »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 21/11/2018 à 20:05 Mis à jour le 21/11/2018 à 23:49

Ce mercredi 21 novembre, TF1 lance sa mini-série « La Vérité sur l’affaire Harry Québert », tirée du best-seller de Joël Dicker, publié en 2012. En marge de cette première soirée - sur cinq -, l’écrivain Suisse est revenu pour Toutelatele sur l’adaptation signée Jean-Jacques Annaud et jugé le résultat final. L’occasion pour lui, de retrouver des personnages et un univers qui lui ont beaucoup manqué.

Joshua Daguenet : Après la tristesse d’avoir quitté vos personnages, les voilà réunis à l’écran six ans après. Comment accueilliez-vous ces retrouvailles ?

Joël Dicker : Je suis très heureux de ce projet et pour répondre à votre question, je me suis replongé dans ce roman pour la première fois depuis sa parution. J’ai voulu le faire pour savoir si je reverrais les personnages et les lieux comme ils le sont dans la série. Si je voyais Patrick Dempsey à travers Harry Québert. En le lisant, j’ai retrouvé les sentiments de lecteur et l’univers de la série est différent du roman sentimentalement, même si l’adaptation est très fidèle. L’expérience littéraire m’appartient tandis que l’expérience cinématographique n’est pas similaire.

Avez-vous eu un droit de regard sur le casting, les lieux de tournage et l’écriture de la fiction ?

Je ne voulais pas avoir un droit de regard car cela aurait signifié que je n’étais pas sûr de la personne en charge du projet et donc, qu’il n’aurait pas fallu faire ce projet. J’étais tellement certain de la qualité de Jean-Jacques Annaud que je ne me suis fait aucun souci. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, je me suis dit que ça allait être génial car j’ai bien ressenti dans sa façon de parler qu’il avait tout compris au livre.

Le résultat final a-t-il comblé vos attentes ?

Absolument et j’irai même plus loin. J’avais grande confiance en Jean-Jacques Annaud et j’étais curieux de rentrer, pour la première fois, dans la tête d’un lecteur. Je n’avais pas vraiment d’attente mais j’ai été comblé car j’ai retrouvé un tas de correspondances entre nos deux imaginaires. Et les lecteurs vont retrouver cet univers pour mon plus grand plaisir.

Les lecteurs du roman doivent-ils s’attendre à des surprises dans le scénario ?

Non, le scénario et l’histoire sont très fidèles. La fiction a été tournée en anglais et vous pouvez retrouver le scripte mot pour mot dans l’œuvre anglophone. Pour la version française, il a fallu procéder à quelques changements dans les mots pour que cela corresponde avec les mouvements des lèvres.

« Jean-Jacques Annaud a fait un travail cinématographique extraordinaire »

Jean-Jacques Annaud est un réalisateur affilié au cinéma. Pourquoi vous et lui avez privilégié la télévision ?

Au début, mon éditeur et moi pensions à un film en rencontrant Jean-Jacques Annaud et nous avons été surpris quand il nous a confié songer à une série télévisée. Il a tout de suite été convaincant car il nous a dit - et je m’en doutais un peu - « Je ne pourrai pas faire tenir en un film de deux heures ou deux heures trente, tous les personnages, intrigues et sous-intrigues qui ont toutes un rôle à jouer ». Lorsque le cinéaste lui-même nous indique qu’il faut oublier un film, nous l’avons suivi sans hésiter. Jean-Jacques Annaud a fait un travail cinématographique extraordinaire et quand mon éditeur a regardé les premières images, il m’a dit : « Joël, ce n’est pas une série. C’est un film ! » De plus, dans leur construction, les dix épisodes permettent d’avoir, à chaque fois, un personnage se détachant des autres.

Les nombreux flash-back présents dans le roman n’ont-ils pas engendré des contraintes narratives ou de tournage ?

Il faudrait demander à Jean-Jacques. Il n’a pas tourné épisode par épisode mais par lieu. Dans un premier temps ont été filmées toutes les scènes autour de la maison de Harry Québert que le récit soit en 1975 ou en 2008. La difficulté était avant tout pour les acteurs qui devaient changer complètement d’état d’esprit d’une séquence à l’autre. Ensuite, le montage réalisé par Jean-Jacques a, lui aussi, été titanesque.

Vous avez pris des cours Florent mais avez rapidement quitté le milieu de la comédie. Quel personnage de La vérité sur l’affaire Harry Québert auriez-vous aimé incarner ?

Je suis un mauvais acteur (rires) mais si j’avais les compétences, j’aurais peut-être été le bibliothécaire Ernie Pinkas. Il suit tout le déroulé de l’histoire et c’est un observateur extérieur qui ressent bien la température et me touche beaucoup.

C’est probablement celui qui se rapproche le plus de l’écrivain et de sa vue d’ensemble sur le roman et les personnages…

C’est une bonne remarque, c’est vrai qu’il a un côté omniscient, présent partout et à toutes les époques.

À défaut d’être Ernie Pinkas, vous faites plusieurs brèves apparitions au cours de la fiction. Un clin d’œil à Hitchcock ?

Oui et non. Quand on imagine un caméo, on pense à lui et il y a évidemment un lien mais surtout une référence à mon éditeur Bernard de Fallois [décédé le 2 janvier 2018, ndlr] qui aimait le cinéma et Hitchcock. C’est aussi un clin d’œil à Jean-Jacques Annaud car cela l’amusait d’avoir ce caméo et c’est pour nous la marque de la belle entente et l’amitié que nous avons tissée tous les deux.

Entre Nola, la victime omniprésente dans le récit, Harry Québert, le personnage éponyme, et l’investigateur Marcus Goldman, qui est le protagoniste principal de l’univers ?

Si on enlevait un des personnages de cette histoire, on réaliserait qu’ils ont tous un rôle indispensable au fonctionnement de l’intrigue. C’est néanmoins par le biais de Marcus que l’histoire nous est racontée et que l’on découvre tous ces événements.

« Le choix d’une actrice majeure pour Nola répond à des considérations légales »

Il est cependant présent qu’à une seule grosse période de l’histoire…

Vous avez raison mais c’est par Marcus que nous, téléspectateurs ou lecteurs, sommes au courant de tout ce qui se passe. Ce journaliste est celui qui reconstitue tout le film mais il est effectivement absent de l’intrigue en 1975 car il n’était pas né. Pourtant, je reste sur mon choix de Marcus et c’est mon dernier mot Jean-Pierre ! (rires)

La sulfureuse Nola, 15 ans au moment des faits, est incarnée par une actrice plus âgée et majeure. Le rapport de l’adolescente au sexe dans le roman en est-il la raison ?

Jean-Jacques a d’abord cherché une personne pouvant incarner ce visage. Et je crois que le choix d’une actrice majeure répond à des considérations légales et c’est plus facile, aux États-Unis, de travailler avec une comédienne ayant atteint sa majorité.

Kubrick avait vieilli de quatre ans la Lolita de Nabokov tout en l’assagissant à l’écran. Doit-on s’attendre à une Nola moins intrépide que dans votre œuvre ?

Non, je ne trouve pas. Je ne me compare pas avec Nabokov et Kubrick mais la grande différence est que dans cette histoire, l’intérêt réside à travers tout ce que cela suggère sur soi-même, lecteur ou téléspectateur. Beaucoup de choses ne sont pas dites, pas explicitées et beaucoup d’éléments dans la relation charnelle entre Harry et Nola sont laissés à la décision du lecteur et du téléspectateur. Pour moi, c’est très important car cela lui donne une partie de responsabilité et lui suggère quelque chose sur lui-même.

Outre l’histoire, votre longue expérience au Maine et votre jugement critique de la presse américaine seront-ils visibles à l’écran ?

Il y a ce qu’on perçoit et ce que l’on a envie de voir. Tant le livre que la série se déroulent aux États-Unis, mais les lieux ont une connotation universelle. On peut y voir une réflexion sur les États-Unis, mais si on le prend de manière plus globale, on peut le rapporter à la société occidentale. Je crois que la double lecture du roman est aussi possible dans la série télé.

« Les mercredis seront pour les téléspectateurs de TF1, un moment de plaisir, de suspense et de retrouvailles »

Si le succès est au rendez-vous, pourriez-vous retenter l’expérience de faire vivre une autre de vos aventures sur TF1 ?

Qu’est-ce que le succès ? J’entends que vous parlez de l’audience mais ce n’est pas cela qui peut déterminer mon envie. Le tournage et le travail avec Jean-Jacques Annaud ont été extraordinaires et le succès est la qualité du projet et le plaisir qui fut le mien en y participant. Je préfère mille fois une série télévisée dont je serai fière de la montrer à mes enfants avec une réelle expérience de vie mais un résultat d’audience moindre, plutôt qu’une expérience horrible, affligeante et un public présent.

Dans le roman, 31 conseils littéraires ont été prodigués par Harry à Marcus. Que préconiseriez-vous pour réussir une adaptation à la télévision ?

Je préconiserais que le romancier ne se mêle surtout pas de la partie créative, et se contente de trouver un réalisateur en qui il a pleinement confiance.

L’ultime conseil et qui introduit le chapitre final, stipule : « Un bon livre est un livre que l’on regrette d’avoir terminé ». Le téléspectateur aura-t-il cette même sensation à la fin du dixième épisode ?

Oui et je suis affirmatif. On regrette de terminer un livre car on quitte un univers dans lequel on était bien. Au-delà du suspense, on se dit que les moments passés avec ces personnages, dans cette ambiance, et les rendez-vous avec le livre sont terminés. Tous les mercredis sur TF1, ce sera pour les téléspectateurs un moment de plaisir, de suspense et de retrouvailles avec des personnages que l’on apprécie, qu’on aime et une envie de rester. Et le dernier mercredi sera triste car les téléspectateurs se diront que cette ville et ces personnages ne seront plus au rendez-vous la semaine suivante.

Pour l’adaptation événement sur TF1, le roman policier a été réédité avec, en illustration, l’acteur principal Patrick Dempsey. Des photos exclusives et un texte inédit de Jean-Jacques Annaud et Joël Dicker apportent un bonus à cette nouvelle version.