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Laurence Ferrari / David Pujadas : l’autre bataille présidentielle

Alexandre Raveleau
Publié le 08/03/2012 à 14:38

« Fiasco historique ». « Échec cuisant ». « Véritable trou d’air ». « Cinglant revers ». Au lendemain du 20 février dernier, les dirigeants de TF1 ont pu apprécier toute la richesse du vocabulaire français... En cause ? Le nouveau magazine politique en direct, Parole de candidat. Au programme ? Un panel de Français face aux présidentiables, des questions et des réponses. Cette mécanique éprouvée avait déjà fait ses preuves cinq années plus tôt, via J’ai une question à vous poser, animée alors par Patrick Poivre d’Arvor. Sur le papier, a priori, ce rendez-vous « citoyen » réunirait les Français par millions. Plus dure a donc été la chute, ou plutôt la dégringolade.

Avec 2.25 millions de téléspectateurs et 8.9% de part de marché, TF1 a pris une claque incontestable. Le coup de tonnerre médiatique a retenti d’une force considérable. Jamais, même dans le pire des cas, un tel score n’aurait pu être envisagé. Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer cette déroute. Était-ce la faute au casting du soir, à savoir François Bayrou et Eva Joly ? Une rupture consommée entre Laurence Ferrari et le public de la chaîne ? Une erreur de case de programmation ? Un trop-plein de politique ? Peu de jours plus tôt, l’officialisation de la candidature de Nicolas Sarkozy avait pourtant attiré 10.7 millions de curieux au 20 heures de la même Laurence Ferrrari. Mieux, en 2007, cette case de diffusion avait permis à TF1 de réaliser des records d’audience avec J’ai une question à vous poser... Le même François Bayrou (avec Dominique Voynet, José Bové et Arlette Laguiller), le 26 février 2007, avait ici convaincu 5.72 millions de Français et 26.7% de part de marché. Faute d’explication manifeste, l’heure n’était pas encore au dépôt des armes, d’autant qu’un total de trois autres émissions restaient prévues. Tous les yeux étaient déjà tournés vers le lundi suivant, avec François Hollande en guise d’espoir.

Rythme plus soutenu, habillage appuyé, dialogue allongé entre le candidat et les panélistes : pour son deuxième prime time présidentiel, TF1 a consolidé sa formule. Malgré tout, le lendemain matin, à un peu plus de 9 heures, confirmation : Parole de candidat demeurait encore largement devancée par France 2 (Cold case), M6 (Top chef) et n’attirait « que » 3.23 millions de téléspectateurs, correspondant à 12.7% du public. Et pourtant, François Hollande caracolait en tête des sondages depuis des semaines et avait même déjà offert à France 2 un record d’audience en prime time. Le jeudi 26 janvier 2012, 5.4 millions de téléspectateurs (avec un pic à 6.3 millions) avaient en effet suivi son premier Des Paroles et des actes en solo. La séance de rattrapage sur TF1 n’a pas connu de vrai regain d’intérêt.

Nouveau chapitre en troisième semaine. Lundi 5 mars, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon entraient dans l’arène de TF1. Sur le ring cathodique, chacun s’accorde à dire que la candidate frontiste rivalise avec le Chef de l’État en termes de pugnacité. Ses apparitions agitent la sphère médiatique. Invitée par exemple le 18 février dans le late-show de Laurent Ruquier, la Présidente du FN avait enflammé l’audience du rendez-vous. Ses 40 minutes de temps de parole ont offert à On n’est pas couché son record d’audience de la saison en cours. 2.3 millions de téléspectateurs, pour 28.7% du public, ont suivi sa confrontation avec Audrey Pulvar et Natacha Polony.


Et lorsque la « dédiabolique » d’extrême droite rencontre le « populiste » du Front de gauche, le public en redemande. Le face-à-face, ou plutôt le non-débat, Le Pen / Mélenchon, proposé sur France 2 le 23 février, toujours sur le plateau de David Pujadas, a lui aussi fait le plein. Refusant de répondre aux propos de son détracteur, Marine Le Pen a préféré lire le journal et trier ses notes... Jamais la télévision n’avait connu pareille situation, à la frontière de l’ubuesque. Dans le respect du temps de parole de Jean-Luc Mélenchon, David Pujadas n’a pas écourté la séquence. À 22h57 précises, le pic d’audience était atteint, en présence de 5.9 millions de Français. Et en moyenne, ce direct aura touché 5 millions de personnes, représentant 21.7% du public des 4 ans et plus. Par la voix de Laurence Ferrari, TF1 a alors crié à la « politique spectacle ». Un tacle en destination du service public, décidément champion toute catégorie de cette présidentielle, et ce depuis le coup d’éclat des Primaires socialistes de l’automne dernier (plus de 5 millions de curieux).

Quid donc du passage de l’ « effrontiste » sur le plateau de Parole de candidat ? Le dialogue, à plusieurs voix, s’est soldé par une semi-victoire pour la chaîne et un sacré pied-de-nez du FN à ses contradicteurs. 4.76 millions de téléspectateurs (19.8%) ont assisté au grand déballage de propositions, soit une poussée de plus d’1.5 million de Français en rapport au lundi précédent, et plus du double qu’au soir du démarrage. Si le parallèle entre audiences télévisées et résultats électoraux ne fait pas figure d’indicateur à prendre en réelle considération quant aux votes dans l’isoloir, Marine Le Pen confirme bien son statut de personnalité politique reine de l’audimat. Nul doute que ses scores sont sérieusement analysés au sein des équipes des états majors PS et UMP. Le spectre d’un 21 avril bis reste une empreinte tenace.

À la fin de ce direct, Laurence Ferrari était fière d’officialiser l’annonce de la prochaine venue du Chef de l’État sur son plateau. Nicolas Sarkozy face au Français : cet événement a déjà fait ses preuves au cours des mois, voire des années passées. À chacune des interventions du Chef de l’État durant son quinquennat, le public s’est massé devant la télévision. En 2007 déjà, le candidat UMP n’avait-il pas tout raflé sur son passage dans J’ai une question à vous poser ? 8.24 millions de Français l’avaient regardé (avec un pic à 9.7 millions), soit 33% du public.

Cependant, la venue du Président-candidat sur TF1 semble d’ores et déjà court-circuitée. En effet, France 2 a obtenu la primeur du premier débat d’idées de Nicolas Sarkozy depuis son élection. Ce numéro de Des Paroles et des actes, en présence de l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius, était programmé ce mardi 6 mars. Face à Dr House, poids lourd de l’audience, le magazine politique a plus que bien résisté. L’intransigeant diagnosticien de TF1 a retrouvé son leadership historique. De mea culpa en annonces, le Chef de l’État est parvenu a capté l’attention de 5.56 millions de téléspectateurs, correspondant à 23.7% du public, avec un pic à 6.3 millions (22h24) et 40.2% de part de marché (23h48). Record historique battu pour France 2. Jugée cruciale pour relancer sa campagne, cette émission a fait mieux que celle de Marine Le Pen (5 millions et 21.7%) ou la première de François Hollande (5.4 millions et 21.8%).


Reste donc à connaître le chiffre du dernier Parole de candidat pour confirmer ou infirmer la tendance actuelle. Quel candidat aura finalement attiré le plus de téléspectateurs ? Et si le succès de David Pujadas n’est plus à confirmer, TF1 peut-elle rattraper son retard en un seul et dernier coup d’éclat ? À noter que ce jeudi 8 mars, François Bayrou répondra de nouveau à son tour aux questions des experts dans le décor de France 2. Un mauvais score pourrait suffire à expliquer le cas Parole de candidat et son raté historique. Le « troisième homme » de 2007 aurait alors bien des difficultés à expliquer cette désaffection. François Hollande clôturera la séquence le jeudi 15.

Le combat des rendez-vous politique ne s’arrête toutefois pas au simple duel TF1 / France 2. Outre France 3 et ses éditions d’information, I>Télé, BFM TV ou France 5 et son C Politique, M6 a elle aussi accueilli les leaders de tous bords. Lors de la dernière élection présidentielle, Estelle Denis avait présenté 5 ans avec..., le dimanche soir à 17h40. Cette fois-ci, la chaîne privée a préféré distiller les programmes des candidats dans son 19.45. Plus original, les favoris ont rejoint le plateau de Capital. Il faut dire que le magazine, présenté par Thomas Sotto, a toujours donné une image attractive aux questions économiques, jugées si austères dans les débats. Dans les listes des invités, François Hollande est annoncé pour le 11 mars et Nicolas Sarkozy le 18. Sur Canal+, Michel Denisot et Yann Barthès vont voir défiler tous les politiciens au Grand et au Petit journal. Marine Le Pen sera la première invitée ce vendredi 9 mars. Partout, le rythme s’accélère. Dans peu de jours, des changements sont effectivement attendus.

D’ici le 20 mars, la liste définitive des candidats de l’élection présidentielle 2012 sera enfin connue. À la télévision, un nouveau chapitre de la campagne démarrera. Il sera alors temps d’appliquer à la seconde près les principes dits d’équité et d’égalité des temps de parole entre tous les postulants. Nul doute que le CSA n’hésitera pas à intervenir en cas d’occupation intempestive du champ des caméras. La campagne officielle, avec ses clips et son égalité parfaite de traitement, débutera, quant à elle, le 9 avril.

Jusque-là, l’ordre établi des études d’intentions de vote a suffi pour juger l’équité sur le petit écran. Pour cette raison, du 1er janvier au 24 février derniers, Nicolas Sarkozy (UMP) a pu afficher 165 heures de temps de parole tandis que Philippe Poutou devait dans un même temps se contenter de 4 heures. Parole de candidat (TF1), Des Paroles et des actes (France 2) ou Capital (M6) ont déroulé le tapis rouge pour les favoris. Aux autres les quinze minutes chrono de Parole directe (TF1), invitations et reportages dans les journaux. Les compteurs vont donc être remis à zéro. Et le 22 avril, au soir du premier tour, un autre round aura lieu aux quatre coins du PAF. Les soirées électorales confirmeront-elles la tendance faisant de France 2 la nouvelle locomotive politique ? Dans cette partie, même Canal+ compte entrer en piste, en compagnie de Michel Denisot et Anne-Sophie Lapix. Il est bien loin le temps où Les Guignols de l’info se chargeaient du décompte final...