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Laurent Sauvage (Directeur artistique de France 3) : « On doit balayer cette image de chaîne historique au sens péjoratif du terme »

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Directeur exécutif en charge des contenus
Publié le 14/07/2015 à 12:52

France 3 cherche depuis plusieurs années à moderniser son image, et notamment son identité visuelle. À l’occasion du nouvel habillage antenne estival, Laurent Sauvage, Directeur artistique de la chaîne, est revenu pour Toutelatele sur les enjeux de ces nouveaux idents, et plus globalement sur l’image de France 3.

Benjamin Lopes : Depuis le 21 juin dernier, France 3 a mis à l’antenne son nouvel habillage basé sur la proximité et l’humour. Pouvez-vous nous parler de sa conception et pourquoi il respecte le cahier des charges artistiques de France 3 ?

Laurent Sauvage :L’ADN artistique de France 3 date de 1992 où l’on voyait déjà des choses très oniriques et affirmées. Je souhaite perpétuer cette tradition en mettant des animaux à l’antenne. On peut résumer France 3 en quatre adjectifs. La créativité est mise en avant, et on est chaque année récompensés, l’onirisme, sous une forme poétique, la modernité, car on est une chaîne populaire, et la proximité, de par la genèse de la chaîne et son implantation dans les 24 régions, sont les quatre piliers.

Pourquoi avoir choisi cet univers-là ?

Les animaux évoluent dans des univers artistiques différents qui représentent la carte de France. On est au plus près des paysages, typiquement français. Ces marmottes sont en images de synthèse. On doit balayer cette image de chaîne historique au sens péjoratif du terme, avec un parti pris dans la création. France 3 reste moderne.

Pourquoi ancrez-vous depuis plusieurs années vos habillages d’antenne autour des animaux ?

Les animaux incarnent parfaitement les adjectifs qui qualifient France 3, car ils sont universels. On peut leur faire faire plein de choses et justement là où on peut partir dans l’onirisme. À l’inverse, on ne peut pas forcément tout faire avec des humains, ou alors ça serait beaucoup moins drôle. Les animaux offrent un terrain de jeu énorme. Et puis on aime être dans le décalage et encore une fois c’est un parti pris. Dans ces nouveaux idents, il semble tout à faire normal de voir des marmottes chanter, et un pompiste continue même à faire son travail dans l’un d’entre eux. And so what ?

« Ces spots passent entre 40 et 45 fois à l’antenne chaque jour »

Avez-vous été influencé par un habillage étranger pour cette nouvelle déclinaison ?

Il y a une véritable influence anglo-saxonne, par rapport à un habillage d’il y a une douzaine d’années sur Channel 4. Ce n’était pas des animaux, mais des êtres humains. C’était complètement déjanté et dans l’action de la vie, avec un côté décalé.

Quel est le coût d’un tel habillage pour France 3 ?

C’est très cher, au minimum six chiffres. On ne s’en rend pas forcément compte, mais on est dans l’image de synthèse et on a beaucoup de chance en France. Si on loue souvent la « French touch » à la scène musicale, il existe une véritable connaissance de l’animation. L’image de synthèse ultra poussée et réaliste dispose de studios en France de qualité internationale. Les marmottes du nouvel habillage de France 3 ont été fabriquées par Mikros, à qui l’on doit des collaborations fréquentes avec Pixar, et conçues par Dream On. Ces spots passent entre 40 et 45 fois à l’antenne chaque jour.

Dana Hastier (Directrice des programmes de France 3, ndlr) a annoncé vouloir encore moderniser l’image de France 3. Quels sont les chantiers artistiques en ce sens ?

Ils sont extrêmement variés, car on coiffe les bandes promo, mais aussi les décors, et les habillages. Je suis le premier à me réjouir de cette volonté. On essaye depuis longtemps de contrer cette image historique de France 3 avec les adjectifs péjoratifs qui lui collent à la peau. On doit donc appuyer deux fois plus fort sur les pédales. Aucune chaîne ne se permet par exemple de mettre des marmottes faisant du reggae sur une voiture. Moderniser est essentiel, car France 3 est une chaîne qui vit avec son temps.

« On s’attache à une image un peu plus léchée et en deux dimensions, toujours dans un souci de proximité »

Des évolutions en matière d’habillage sont-elles prévues pour les JT de France 3 à l’heure où TF1 prévoit des évolutions à la rentrée ?

On retravaille actuellement tous les plasmas des éditions nationales, c’est-à-dire le 12/13 et le 19/20.

Aujourd’hui, la case cinéma est en chute sur France 3. Quel rôle peut jouer l’habillage ?

Dana Hastier m’a demandé de réaliser un travail sur cette case avec tous les outils marketing dont on dispose. Ça peut être des incarnations, des thématiques, des campagnes de publicité, un programme court sur le cinéma ou encore des campagnes auto-promotionnelles. Le nerf de la guerre reste bien entendu la programmation. C’est une priorité pour France 3.

L’identité de France 3 est aujourd’hui clairement distincte de celle de France 2, France 5, France 4, France Ô et les premières. Cette volonté va-t-elle s’intensifier ?

L’identité visuelle de France 3 est distincte en termes de positionnement et d’un point de vue artistique, mais il y a des points communs que l’on peut trouver sur toutes les chaînes du groupe. Il n’y a pas, par exemple, de 3D sur les chaînes du groupe France Télévisions. On laisse ça aux chaînes privées. On s’attache à une image un peu plus léchée et en deux dimensions, toujours dans un souci de proximité.

Les prix gagnés lors des festivals dédiés à l’habillage sont-ils importants à vos yeux ?

Il est vrai qu’on n’a pas d’audience par rapport aux habillages. La seule façon de le savoir est de se confronter aux autres pays via des festivals internationaux. Je reviens de Los Angeles où France 3 a été largement récompensée, quinze jours avant c’était à Dubrovnik, Berlin, et encore avant à Londres. France 3 est la chaîne la plus récompensée artistiquement en Europe en 2015. On est super content et fier d’avoir battu la BBC et Discovery, qui a une grande tradition artistique aussi. On fait également des campagnes, pas forcément d’autopromotion, mais de publicité. On a cette chance d’avoir cette liberté

« Canal+ a encore une excellente image alors que c’est assez catastrophique depuis 10 ans »

Où trouvez-vous l’inspiration aujourd’hui en matière d’habillage ?

Chaque directeur artistique à ses méthodes. Je viens de la culture anglo-saxonne où j’ai travaillé pendant dix ans pour des grands networks américains, Universal et Discovery Channel. Mes sources d’inspiration ne viennent en général pas des autres chaînes, mais d’un passif personnel. Je suis un ancien publicitaire, créatif et concept, et donc beaucoup d’idées émanent de mon « petit » cerveau. L’art au sens noble du terme est important aussi

Plus globalement, comment mesurez-vous l’impact d’un habillage d’antenne comme celui de France 3 ?

Il n’y a pas de solution mathématique. Je reverrai d’avoir un chiffre chaque matin. Les festivals nous indiquent dans un premier temps qu’on est créatifs, mais pas qu’on est efficace. J’ai demandé à ma direction il y a déjà trois ans de faire des études en peu poussée où on interroge des panels de téléspectateurs représentatifs du paysage audiovisuel français, sur quatre ou cinq capitales régionales. Ce n’est pas aussi précis que les audiences, mais ça nous donne de très bons avis sur les habillages et ça peut nous permettre de corriger certaines choses parfois.

L’habillage semble être important pour France 3. Travaillez-vous main dans la main avec votre direction ?

J’ai exercé dans d’autres groupes, en France et à l’étranger. Sur France 3, on a un vrai soutien de la direction de l’antenne et des programmes qui nous fait totalement confiance. On ne fait pas n’importe quoi, on connait bien la chaîne et son ADN, et on répond de la manière la plus créative. Ça peut paraître un discours tout fait, mais ça ne l’est pas.

France 3 a longtemps pâti d’une image rurale. L’objectif de votre direction est de moderniser son image. Est-il atteint aujourd’hui ?

Non, je ne l’ai pas atteint. Lorsqu’on a une image de marque qui colle, elle reste longtemps, comme un tatouage. Canal+ a encore une excellente image alors que c’est assez catastrophique depuis dix ans. Ils sont dirigés par des gens qui viennent du marketing. TF1 n’a pas une superbe image alors qu’ils font un travail quotidien formidable en termes d’identité visuelle. On a tous des images qui sont justes, ou qui l’ont été, et dont on cherche à se détacher.