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Nathalie Drouaire (Numéro 23) : « Trouver de belles séries a été un vrai combat »

Robin Girard-Kromas
Publié le 25/11/2012 à 12:00 Mis à jour le 28/11/2012 à 17:00

L’histoire de Nathalie Drouaire est digne des meilleures séries télévisées. Engagée à seulement 24 ans, sans expérience mais avec du bagout, pour acheter les séries de la nouvelle chaîne M6, la jeune femme multiplie les succès. X-Files, Ally McBeal ou encore Sex and the City, c’est elle. Après avoir rejoint Canal + en 2004 (Desperate Housewives, c’est elle aussi), elle quitte le domaine des achats de séries pour créer sa propre société Zen Productions. En 2010, elle devient consultante pour Fremantle, avant de se lancer en 2012 dans l’aventure Numéro 23.

Robin Girard-Kromas : Après de nombreuses années à acquérir des séries pour le groupe M6 et le groupe Canal +, vous prenez les commandes de Numéro 23. Pourquoi avoir accepté ce défi ?

Nathalie Drouaire : J’ai trouvé que c’était un challenge intéressant, mettre en place une grille intégrant les problématiques liées à la diversité, c’était un peu comme mettre en place une chaîne associative. La diversité, quand on l’évoque, on pense souvent à quelque chose d’institutionnel et ennuyeux (rires). Le défi intéressant à relever était de mettre en place quelque chose de résolument positif et joyeux.

Ne s’est-on pas éloigné du principe de base de TVous, la télédiversité avec Numéro 23, chaîne très orientée sur les séries ?

Comme il y a de très belles séries, on a beaucoup ça en tête, mais on a absolument pas abandonné le côté production avec notre talk-show en prime time, qui est une vraie vitrine de Numéro 23 Hondelatte Dimanche, dont le nom est assez simple, comme celui de la chaîne ! (rires) Notre magazine Révélations va monter en puissance petite à petit en production fraiche. Et puis surtout, en 3e partie de soirée et la nuit, La 23e dimension et cette nuit des vidéastes avec du cinéma expérimental, donnant lieu à des images assez dingues. C’est de la production également. La promesse de la diversité et d’ouverture sur le monde est vraiment tenue avec les séries aussi, de Community et sa bande de tous âges et tous horizons à Shameless et sa famille dysfonctionnelle, où l’on est en plein dans la diversité sociale. Le tout dans de grands éclats de rire.

N’est-ce pas trop difficile pour un nouvel acteur sur le marché d’obtenir les droits de séries récentes avec tous les output deal et un nombre de chaînes toujours très important ?

On nous le demande souvent, mais il y a du bon et du mauvais. D’un côté, on n’est pas adossé à un grand groupe donc c’est parfois difficile. Mais en même temps, on a une vraie liberté d’action et aujourd’hui c’est un luxe. Beaucoup sont enfermés dans des « volume deal » (la chaîne s’engage auprès du producteur d’un minimum de séries acquises chaque année) et doivent aller piocher forcément dans le cabas de la centrale d’achat. Au contraire, nous, on a pu aller sur le marché et repérer des petits bijoux comme Les bracelets rouges. Ce n’est pas aisé et je pense que c’est aussi une des raisons pour lesquelles Pascal (Houzelot, PDG de la chaîne, ndlr) a fait appel à moi (Nathalie Drouaire a été directrice des acquisitions pendant de longues années, ndlr) et ça a été un vrai combat (rires) ! On est partis en opération commando, ça m’a vraiment rappelé les débuts de M6, et on a trouvé de très belles séries. On ne s’est pas laissé imposer des choses acquises comme c’est le cas avec les « volume deal » et ça nous a permis de construire une ligne éditoriale intelligente et véritablement choisie.

« Le défi intéressant à relever était de mettre en place quelque chose de résolument positif et joyeux »

Demain à la une, déjà sur NT1 en access en 2006, débarque sur Numéro 23 aux côtés de La Femme Nikita. Comment avez-vous sélectionné ces séries ?

La Femme Nikita est une série qui n’a pas eu tellement de succès à l’époque alors qu’elle est beaucoup plus fidèle au film de Besson que le remake qui a été fait récemment. C’est une série d’action sur une fille un peu en marge de la société qui est très intéressante. Demain à la une, je me suis sûrement laissé un peu aller à l’affect (rires) ! Je l’avais achetée à l’époque sur M6. On s’est dit qu’en access prime time, ce serait bien, car c’est une série familiale et sympa. Alors oui, on l’a déjà vu, mais on ne s’en lasse pas.

Des rumeurs ont fait état d’une possible acquisition des séries The L Word et Queer as Folk par la chaîne, afin de s’intéresser à la diversité sexuelle. Qu’en est-il vraiment ?

Je dois dire que ce sont des séries que j’adore. The L Word est la première acquisition que j’ai faite quand je suis arrivée sur Canal +. Il n’est pas exclu qu’elles arrivent un jour sur Numéro 23, mais pour l’instant, ce n’est pas en discussions. Pour ce qui est de la diversité sexuelle, nous avons Lost Girl qui est une série d’action et fantastique, mais aussi un peu plus. La superbe créature Bo, sosie de Demi Moore, a un pouvoir de séduction dévastateur qui fonctionne aussi bien sur les hommes que sur les femmes. Et cette série fait « buzzer » tous les sites lesbiens nord-américains. Donc la diversité n’est pas forcément affichée, elle peut être en filigrane.


Dans la nouvelle saison aux US, qu’aimeriez-vous dans le futur pouvoir programmer sur Numéro 23 ?

Les séries qui m’ont marqué récemment n’ont pas forcément leur place sur Numéro 23. Personnellement, j’adore Homeland. Mais pour l’instant dans la grille qu’on met en place pour le lancement de Numéro 23, on n’a eu les « must have » qu’on voulait avoir. Je suis contente des séries qu’on amène, qui traitent de problématiques liées à la diversité et qui sont vraiment des séries « premium ».

Vous allez proposer la série Community par salve de quatre épisodes. Il est toujours difficile pour les diffuseurs français de programmer des sitcoms au vu de la configuration de notre prime time. N’avez-vous tout de même pas envisagé la création d’un « carré sitcom » comme on peut le voir à l’étranger avec un enchainement de plusieurs comédies ?

On s’est posé la question et c’est vrai qu’on a eu envie d’oser, car personne n’a jamais enchainé des sitcoms en montant en puissance. Sachant que c’est quelque chose de très risqué, car il suffit que les téléspectateurs n’aiment pas une seule sitcom du bloc pour qu’ils zappent. Mais le problème dans notre cas est économique : en programmer plusieurs, cela signifie en acheter plusieurs, et on a des budgets qui sont à l’économie de la TNT pas encore initialisée nationalement. Après, pourquoi pas à terme. Mais Community est une série qu’on aime tellement, qui est formidable et qui a un tel potentiel qu’on s’est dit qu’avec quatre épisodes, les gens ne s’en lasseraient pas. Quand j’ai vu que mon fils de 10 ans était fan de la série, j’étais effarée ! Même si on ne doit pas rire aux mêmes répliques, ça montre bien que Community peut plaire à tout le monde. Et puis, cette série est en cours de diffusion de sa 4e saison, donc on a beaucoup d’épisodes en stock.

Aux États-Unis, Community a du mal à séduire un large public. Plus globalement, la diversité n’est-elle pas condamnée à ne pas faire d’audience ?

J’espère que non (rires) ! Pour Community, je ne pense pas que c’est son aspect « diversité » qui a provoqué ces audiences, mais plus l’adéquation avec la chaîne de diffusion, NBC, qui est un network traditionnel. Elle serait sur Showtime, elle aurait beaucoup plus de succès à mon sens. Elle est différente des autres, très intelligente et percutante, elle n’est pas conventionnelle. Et puis malgré ces audiences pas toujours formidables, elle reste à l’antenne, car elle est culte et emblématique pour beaucoup.

Côté séries, Numéro 23 débutera la diffusion de Community le 13 décembre prochain. Vous avez annoncé qu’aucune Version Multilingue n’était prévue, avant d’assurer que celle-ci arriverait en cours de route. Qu’en est-il vraiment ?

Community nous tient particulièrement à cœur. On a déjà extrêmement soigné les doublages. En 20 ans de carrière, j’ai travaillé sur beaucoup de doublages, comme ceux de X Files, Ally McBeal, Une Nounou d’enfer ou Desperate Housewives. Je me souviens même de la difficulté qu’on avait eue à trouver la bonne voix pour Mary-Alice afin de faire rentrer les téléspectateurs dans la « bulle magique » en début d’épisodes. Community, c’est un doublage auquel on a apporté une vraie attention, car on savait que la série était déjà culte chez les internautes, qu’ils l’avaient dévoré en version originale et que le doublage français serait regardé de très près. Pour ce qui est de la version sous-titrée, nous souhaitons pouvoir aussi l’offrir aux téléspectateurs, c’est en cours, nous travaillons dessus.

« Christophe Hondelatte est haut en couleur, c’est quelqu’un de bouillonnant, mais c’est aussi pour ça qu’on l’a choisi »

Prévoyez-vous d’investir dans la fiction française, voir dans des « scripted reality » ?

Pas pour l’instant. Pourquoi pas à un moment donné, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. L’argent de nos productions va pour l’instant dans les magazines, talk-show et dans La 23e dimension.

Christophe Hondelatte n’en finit plus de faire le « buzz » entre une dispute lundi avec Dave sur Paris Première et un clash par médias interposés avec Cyril Hanouna. Ne regrettez-vous pas déjà de l’avoir choisi pour incarner votre talk-show de prime time ?

Non ! Christophe est haut en couleur, c’est quelqu’un de bouillonnant, mais c’est aussi pour ça qu’on l’a choisi, car il n’est pas dans la langue de bois. Entouré de sa bande de chroniqueurs, ça va déménager, au moins il va se passer quelque chose et on ne restera pas dans le politiquement correct. On est confiant et Christophe est à fond, il y met beaucoup de sa personne.


L’émission sera enregistrée toutes les deux semaines. Peut-on vraiment faire un talk-show d’actualité avec un délai de diffusion aussi long ?

Pour l’instant, nous avons opéré ainsi pour des raisons économiques. On espère pouvoir proposer l’émission en direct dans le futur.

En quoi le magazine Révélations va-t-il se démarquer de tout ce que l’on voit déjà sur l’ensemble de la TNT ?

Déjà, il dénote par le titre : il n’y a pas « Enquête » dedans (rires). Il est présenté par Yasmine Oughlis et abordera principalement des thèmes actuels liés à la diversité comme le business de la pauvreté ou le mariage pour tous. Et il va aussi se démarquer, car Yasmine va aller à la rencontre des gens sur place, et il y aura une vraie interaction entre elle et les experts.

Vous avez annoncé l’arrivée de X Factor, un programme de divertissement américain qui semble assez loin de la démarche de la chaîne autour de la « diversité »...

Le melting pot américain fait que les candidats de X Factor sont issus de toutes les diversités. Je pense par exemple à un candidat qui arrive en chaise roulante avec ses 250 kilos et qui chante avec une voix venue d’ailleurs ! Diversité ne veut pas dire qu’on ne va pas se divertir.

Vous visez 1% d’audience en 2015, ce qui fait de vous l’une des chaînes les moins ambitieuses de la nouvelle génération. Avez-vous des cibles privilégiées ?

En tant que chaîne commerciale, nous visons plutôt les ménagères de moins de 50 ans et sur certaines cases les CSP+. L’objectif d’audience est raisonnable, mais on espère bien sûr une bonne surprise. Nous aurons comme les cinq autres nouvelles chaînes un Médiamat bimensuel à partir de janvier. Donc nos premières audiences devraient être communiquées en mars.

« Diversité ne veut pas dire qu’on ne va pas se divertir »

Quel est le rôle d’Étienne Mougeotte, ancien Vice-PDG de TF1, dans la direction de Numéro 23 ?

Il est consultant sur la chaîne, c’est une grande chance. C’est toujours rassurant quand on part de rien du tout d’avoir quelqu’un comme lui à ses côtés. Quand Pascal (Houzellot, ndlr) et Damien (Cuier, ndlr) m’ont appelé, il n’y avait rien, aucun programme, aucun groupe sur lequel s’appuyer. ll a fallu construire petit à petit cette grille de manière cohérente et pouvoir demander l’avis d’Étienne Mougeotte était précieux.

Vous aviez engagé Catherine Schöfer lorsque vous étiez sur M6. Elle sera désormais votre concurrente en tant que directrice générale de 6ter. Est-ce le duel des femmes de la TNT ?

(rires) C’est vrai que Catherine et moi, c’est une vieille histoire ! On se connait depuis très longtemps, je suis ravie pour elle. Je sais que 6ter lui tient beaucoup à cœur, notamment sa ligne éditoriale comme c’est le cas pour moi avec Numéro 23. Je suis ravie d’avoir Catherine, peut-être pas en face, mais plutôt « à côté » de moi dans cette aventure où toutes les nouvelles chaînes partent un peu sur un pied d’égalité.