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Nicolas Traube (Pampa production) : « Quand je vois Candice Renoir ou Chérif, j’ai l’impression qu’on régresse parce que je vois surtout la télévision que l’on peut faire ailleurs »

Claire Varin
Publié le 29/10/2014 à 13:27 Mis à jour le 03/11/2014 à 15:21

Le château des oliviers, Navarro, Les Amants du Flore, Coco Chanel, Guerre & Paix, c’est lui. PJ et Avocats & Associés, c’est lui aussi, en tant que directeur de la fiction de France 2. Le producteur (Pampa production) et président de Film France, Nicolas Traube, qui a récemment produit La vallée des mensonges (France 3), La maison du docteur blanche (Arte) ou encore Monsieur Max et la rumeur diffusée ce 29 octobre sur France 2, évoque, sans langue de bois, l’état de la fiction française. Rencontre.

Claire Varin : Pouvez-vous parler de ce qui guide vos choix de producteur ?

Nicolas Traube : D’abord, un producteur a pour contrainte de tenir compte du marché auquel il s’adresse. Ensuite, c’est de passer à travers les gouttes du rideau qui s’appelle la contrainte. Vous devez essayer de poursuivre un but, qui est d’exprimer une chose à laquelle vous tenez. Ce qui caractériserait mon parcours, c’est d’essayer de dire qu’il n’y a pas de réponse simple. J’ai été très content de faire L’instit avec Pierre Grimblat. Mais au bout de dix numéros, L’instit devenait, pour moi, quelque chose de régressif parce que le personnage disait quelle était la vérité. La télévision que l’on doit faire est une télévision d’interrogations, et non pas asséner des réponses. Quand on assène des réponses, on donne aux téléspectateurs le sentiment qu’au fond, il y a des gens qui pensent pour votre compte. En endormant les gens, on favorise les montées des fascismes. Dans des pays comme l’Amérique, c’est la fragmentation de l’audience qui permet d’avoir des fictions interrogatives. Et en Europe, ça devrait être le Service public qui remplit ce rôle.

Vous évoquiez L’instit. Pourquoi le personnage a-t-il changé au bout de dix épisodes ?

L’instit a été créé dans le but de lutter contre les intégrismes. Pierre Grimblat disait contre le Front National. Moi, je ne veux pas parler du Front National, mais du fait qu’il y a des gens qui se complaisent à stigmatiser ceux qu’ils veulent stigmatiser pour montrer qu’il y a des coupables. L’instit a été créé pour dire : si quelqu’un tape son enfant - c’est épouvantable, ça doit être condamné - mais essayons de comprendre pourquoi. Et, à un moment donné, la personne qui suivait le projet chez Hamster Productions a commencé à en faire une sorte de saint. J’ai eu de grandes discussions en interne parce que je voulais que le personnage s’humanise. Faire de ce personnage quelqu’un qui donnait la bonne direction m’a paru être antinomique avec ce qu’il aurait dû être. À partir des années 2000, les personnages ont eu tendance à, de plus en plus, s’enfermer dans des discours formatants. Une série comme Suits est absolument géniale parce qu’elle met en scène un type qui réussit parce qu’il a triché. Il n’a pas voulu triché, mais il en profite. Les deux premières saisons reposent sur une question : Comment est-ce qu’on s’en arrange ? C’est ça qui me guide. Mais, en ce moment, c’est difficile dans une télévision qui a pour motivation d’être « feel good ».

« La télévision que l’on doit faire est une télévision d’interrogations, et non pas asséner des réponses. »

Avez-vous l’impression d’une régression ?

Je n’ai pas envie de dire que c’était mieux avant, je suis trop vieux pour pouvoir le dire, c’est idiot. Je peux dire simplement que quand on a créé Navarro, ça parlait aussi de choses qui pouvaient fâcher, parfois. Quand Navarro laissait repartir un truand simplement parce qu’il le trouvait noble. Quand on parlait de l’argent sale sous Mitterrand, dit par le beau-frère de Mitterrand, c’était rigolo. Quand en tant que directeur de la fiction de France 2, j’ai lancé PJ et Avocats et associés...

Il est vrai que vous avez souvent donné le « la » à la fiction française...

Oui. Alors quand je vois Candice Renoir ou Chérif, j’ai l’impression qu’on régresse parce que je vois surtout la télévision que l’on peut faire ailleurs. Luther, c’est excessif au bout du cinquième numéro, mais ça parle des vrais fous. Quand vous voyez The Hour, ça veut dire que BBC a un espace pour parler de la façon dont un journal est fait, à travers le fait que ce soit dans les années 50. C’est le même qu’aujourd’hui, mais on parle de la crise de Suez. Est-ce une question de personnes ? Une question de système ? Est-ce une question d’époque ? Les trois se mélangent. Avant, les personnes qui dirigeaient les fictions et les programmes étaient des personnalités, qui souvent venaient de l’extérieur. Elles passaient quelques années et avaient les moyens d’être courageuses. Là, les dirigeants - qui sont des employés pour ce qui est de France Télévisions - appliquent une politique qui est de rassurer le public tout le temps sur tout. Et c’est une question de période aussi parce que la France est très frileuse, en ce moment, sur un certain nombre de plans. Il n’y a rien qui est couillu. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’auteurs ou de producteurs qui essayent de se battre, mais c’est impossible.

Vous avez produit des fictions comme Coco Chanel ou Guerre et Paix. Peut-on évoquer votre rapport à la coproduction internationale ?

C’est une mauvaise période. Les seules coproductions qui sont envisagées en ce moment sont des coproductions de séries qui ne m’intéressent pas beaucoup. Ce sont des séries très neutres ou à dominantes américaines comme Taxi : Brooklyn. J’aime beaucoup les producteurs de Taxi : Brooklyn. Je ne vois pas pourquoi il faut des obligations de productions françaises qui cofinancent Taxi : Brooklyn. Je n’ai pas envie de faire ça. Je ne saurais probablement pas très bien le faire, non plus. Transporter, ce n’est pas très loin. Crossing Lines, c’est très neutre. Ça peut se passer n’importe où. En revanche, les coproductions qui jusqu’à présent étaient faites autour de costumes, comme Guerre et Paix, ça n’a pas du tout l’air de plaire aux patrons de chaînes.

Partie 2 > La saga d’été, la série ado et Patrick Sébastien, scénariste


Au même titre que la saga d’été...

La saga aussi est proscrite pour l’instant. Peut-être que ça va changer très vite. Je ne comprends pas, mais les gens ont tellement peur de se lancer sur quatre ou cinq 90 minutes qu’ils ne le font pas. Alors, en plus, quand ils font un truc en costumes, qui est Résistance et que ça se plante... On va s’en prendre pour cinq ans avant d‘essayer à nouveau quelque chose. Personne ne se demande pourquoi ça n’a pas marché. On se dit simplement : c’est le costume qui ne marche pas. Le costume permet de raconter des histoires romanesques. En ce moment, les personnages romanesques sont assez peu demandés. Les personnages excessifs existent peu. Si vous faites un feuilleton avec des personnages pas trop excessifs, vous tombez dans le soap. Natacha, elle est excessive. Tout ce qui est feuilleton doit avoir des coups de théâtre, doit avoir des méchants... méchants !

Les séries adolescentes ont brièvement eu leur place sur France Télévisions. Peut-on revenir sur Ben et Thomas ?

Ben et Thomas, c’est nous qui nous nous sommes plantés. C’était très bien parti. Le projet était intéressant. C’était des types qui étaient vraiment excessifs. Dans le pilote, ils se prenaient des taules terribles et on voyait des gens fumer, etc. Et puis, Jon Carnoy l’a réalisée de façon extrêmement bien pensante parce qu’il a senti une chaîne qui nous amenait vers ça. Et il a anticipé les réactions de la chaîne alors que derrière lui, il avait une production qui avait convaincu la chaîne d’être plus pointu et corrosif. Regardez Glee, ils parlent de choses incroyables : d’histoires de cul, de père absolument ignoble avec son fils homo... On est dans l’excès et en même temps, si on adhère à Glee, c’est aussi parce qu’on vous donne une dose de bonne humeur. Il y a un épisode dans la troisième saison où six protagonistes disent : « Pour bien interpréter quelque chose, il faut que je couche une fois. » C’est d’une crudité, qui ressemble à la vie.

Pouvez-vous parler de Monsieur Max et la rumeur, écrit par Patrick Sébastien, que vous produisez pour France 2 ?

Les gens seront extrêmement surpris. C’est un film dont l’histoire est à côté de la morale. Je ne veux pas parler du contenu du film, mais on n’est pas dans la bien-pensance. Patrick Sébastien est en mesure de convaincre que s’il fait son premier film comme scénariste, ce n’est pas pour raconter une histoire lambda. L’histoire est simple, le traitement des personnages ne l’est pas. Ce n’est pas un film neutre, ce n’est pas un film rassurant. Et si Danièle Lebrun a accepté de jouer dedans, c’est parce qu’elle était séduite par une histoire non conventionnelle. C’est plus facile de le faire avec des vedettes. Je me souviens que Pascal Légitimus m’avait dit : « C’est formidable. Vous venez de faire le premier héros noir de la télévision. » Je n’ai pas fait un héros noir de la télévision, j’ai fait un héros qui est interprété par quelqu’un de connu qui se trouve être noir. Donc je ne prenais pas beaucoup de risque de ce côté-là. En revanche, les films de Crimes en série avaient beaucoup de caractère. C’était plus gonflé que France 3 fasse la suite du Docteur Sylvestre avec un acteur noir. Ça, c’était gonflé parce qu’il n’était pas connu du tout.

« Patrick Sébastien est en mesure de convaincre que s’il fait son premier film comme scénariste, ce n’est pas pour raconter une histoire lambda. »

Vous avez évoqué Pascal Légitimus dans Crimes en série. La représentation de la diversité reste une question compliquée en France. Doit-on le mettre sur le dos d’une société universaliste ?

La question de la diversité a plusieurs façons d’être abordée. La première serait de prendre des grands thèmes. Alors, il y a eu un film sur le premier noir médecin au début du XXe siècle. C’est formidable, bravo. On peut faire aussi les femmes : Le procès de Bobigny, formidable. En fait, on suit des parcours héroïques, qui n’ont pas de vrai rapport avec la vie quotidienne que l’on mène. Je pense que la diversité devrait être approchée beaucoup plus dans le quotidien. Ça commence à l’être, il ne faut pas tout noircir. Cet universalisme a le défaut d’être très théorique. On n’a pas le droit de faire des statistiques ethniques. Cet universalisme permet de ne pas poser certaines questions. Il y avait un exemple, qui n’a finalement pas été repris dans un film, je trouve très utile de montrer un gynécologue noir et la réaction d’une femme blanche, qui arrive chez un gynécologue noir. On peut le faire tout à fait normalement et puis il y a peut-être quelqu’un qui va être gêné. Est-ce que c’est une question de sensation, de peau ou de tout ce que l’on veut ?! C’est plus intéressant de montrer cette petite gêne plutôt que de faire des grands discours moralisateurs sur Victor Schoelcher qui a aboli l’esclavage. C’est très bien de le faire, mais c’est de l’histoire. Si vous pouvez montrer un handicapé qui rate son bac parce que le bus n’a pas la plate-forme qui marche, vous posez le handicapé dans une façon plus quotidienne.

On vous sent sériephile et sériephage. Ces séries vous nourrissent-elles par rapport à votre métier ou gardez-vous simplement un regard de spectateur ?

Uniquement de spectateur et parfois, de regret. (rires) Quand j’ai vu The Hour, j’ai eu un regret terrible. The Hour m’intéresse plus que Luther. Luther, je ne saurais pas le faire, mais c’est tellement bien réalisé. The Hour, c’est l’idée de pouvoir parler de la crise de Suez, de ces rapports sociaux. C’est formidable. La façon dont il met en scène cette jeune femme, rédactrice en chef, qui s’en prend plein la tronche... Évidemment que je regarde ça avec bonheur en tant que téléspectateur. Et puis, après, je vais au boulot.