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Philippe Giangreco : de la succession de Dorothée aux Iles d’en face

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Directeur de la publication
Publié le 23/10/2013 à 15:49 Mis à jour le 01/11/2013 à 15:42

Certains le connaissent pour avoir été un des auteurs de « Nulle Part Ailleurs », « Les Guignols de l’info » ou encore la série « H », d’autres pour ses productions (« La France d’en face », « Tongs et paréos » etc...) et les plus nostalgiques pour l’animation de « Chaud les glaçons », l’émission jeunesse qui rivalisait avec le « Club Dorothée » en 1988. S’il revient sur l’ensemble de ces souvenirs, Toutelatele est parti à la rencontre de Philippe Giangreco à l’occasion du coup d’envoi de sa nouvelle shortcom sur France Ô, « Les îles d’en face ». Entretien sans concession.

Jérôme Roulet : Comment vous est venue l’idée des Iles d’en face ?

Philippe Giangreco : Après la shortcom Tongs et Paréos, tournée pour M6 en Guadeloupe, j’ai essayé de retrouver des projets pour faire émerger des talents de l’audiovisuel de cette île. La France d’en face est un programme court qui avait bien marché sur Canal+. On a repris l’idée de départ, «  Et si vous pouviez rentrer chez vos voisins sans être vu », et on l’a ciblée dans la direction souhaitée. Je l’ai adaptée pour cinq départements d’outre-mer, en choisissant les îles les plus représentées en France : Guadeloupe, Réunion, Polynésie, Martinique et Nouvelle-Calédonie.

Comment décririez-vous cette shortcom ?

C’est une série humoristique particulière qui veut nous faire entrer dans le quotidien de nos compatriotes et voisins. Elle va ainsi chercher des inspirations de chaque île, tout en étant comprise de la métropole et des autres départements. Car la différence entre la Réunion et la Guadeloupe est énorme. La gageure était de faire en sorte que ces voisins d’outremer aient aussi un lien entre eux.

Que ce soit auteur ou réalisateur, y’avait-il des équipes spécifiques à chaque île ?

J’ai fait cette première saison, et j’ai intégré, dans chaque île, des auteurs qui sont venus travailler en complément. 35 saynètes par île ont été écrites par des métros et 15 par des locaux. Mais celles écrites par les métros ont été créolisées et revues par les auteurs et les acteurs. Ils ont vraiment mis leur patte dessus. Ces « auteurs de complément » vont devenir les auteurs à part entière pour la saison 2. Lorsque j’ai tourné, j’ai travaillé avec un co-réalisateur et on a associé un premier assistant qui sera le prochain réalisateur de son île. Petit à petit, l’idée est de laisser travailler uniquement les équipes locales. C’est un vrai projet de transmission.

Amateur d’humour décalé, vous êtes-vous cependant freiné sur ce projet ?

Non, pas vraiment. On s’est même un peu lâché. France Ô voulait apporter un peu plus d’humour rentre-dedans. Je viens de l’école Canal, alors ils avaient envie d’aller dans cette écriture-là. Il voulait un ton qui sorte de ce qui avait été fait jusqu’à présent.

Comment se sont déroulés les castings ?

Je ne suis pas un adepte du casting. Je discute avec les gens, car je recherche des personnalités, et pas forcément des comédiens avec une grande expérience. J’ai demandé à des locaux de sélectionner des personnes et j’ai ensuite fait du Skype avec eux. La fraicheur que peuvent apporter les gens qui n’ont jamais fait ça est quelque chose qui m’intéresse, tout comme la musique des dialogues.

« Les îles d’en face est un vrai projet de transmission »

Les acteurs sont-ils cependant des visages connus sur les îles ?

Oui, il y a de grosses figures locales. À la Réunion, ce sont même des stars ! Jean-Laurent Faubourg fait de la radio et de la télé, c’est un peu le Stéphane Guillon local, et Yaëlle Trules anime la météo et est chanteuse. Pareil en Nouvelle-Calédonie où les deux acteurs sont très populaires. En métropole, la plus connue est Firmine Richard. Mais, elle n’a pas un rôle principal. Quand j’ai fait ce programme, j’ai pensé à elle, car elle a une personnalité et un humour. Et puis, elle a donné un petit coup de main pour que ça se fasse, c’est toujours intéressant d’avoir un nom.

Comment s’est organisé le tournage d’île en île ?

On a tourné entre février et mai dernier. Nous avons passé une semaine de tournage sur chaque territoire afin de réaliser les 50 séquences par île, soit 250 saynètes. Dans chaque épisode, les cinq départements sont représentés. Et on passe à chaque fois d’une île à l’autre.

Partie 2 > Quel avenir pour les shortcoms ?


Avez-vous pu compter sur des soutiens afin de mettre en avant les territoires d’outremer ?

On a reçu le partenariat du ministère de l’outremer. J’ai même été reçu pour la première fois à l’Elysée. Je pense qu’on envoie un signal important pour ces gens-là qui ne sont pas vraiment valorisés et écoutés alors qu’ils ont un talent fou ! C’est un vrai signe qu’on leur donne. Il y a eu énormément de presse autour de ce projet. Et lorsque j’en ai parlé avec France Ô, ils ont été tout de suite séduits. C’est un beau projet. Après, artistiquement, tout peut se discuter. Mais ce serait bien que des programmes issus de ces îles puissent avoir une autre fenêtre sur France 4 ou France 5, par exemple.

Une saison 2 est-elle déjà prévue ?

J’aimerais bien ! Les auteurs attendent de l’écrire. Il y aurait un peu de déception si elle n’avait pas lieu. Ça a été une belle aventure humaine et puis d’après les retours, c’est plutôt bien accueilli, bien ciblée et identitaire. S‘ils arrêtaient là, je ne comprendrais pas trop.

Pourquoi la shortcom Tongs et paréos n’a t-elle pas eu droit à une suite sur M6 ?

La série a été diffusée en plein hiver juste après Caméra café 2. On a fait de très bonnes audiences. Rapidement, M6 m’a commandé une saison 2 qu’on a entièrement écrite. Mais, entre-temps, il y a eu des grèves en Guadeloupe qui ont fait un mort. M6 a pris un peu peur. On a donc décidé d’attendre et puis c’est resté dans les cartons. Après, j’ai été déçu qu’on arrête ma série, car il y a eu des choses très inspirées de ce qu’on avait fait avec La France d’en face. Surtout qu’on m’avait parlé de l’adapter sur M6. Mais bon, je ne suis pas aigri pour autant (rires).

La shortcom est-elle le meilleur moyen pour renouveler la fiction française à ce jour ?

Pour les petites sociétés de production comme la mienne, la shortcom permet d’aller sur des budgets peu importants et de gagner un peu d’argent. Mais aujourd’hui, tous les producteurs de cinéma arrivent pour faire la télé, car parfois ils en gagnent plus qu’au cinéma. Allez concurrencer ces gens-là qui arrivent avec un casting, des productions internationales, etc., ce n’est même pas la peine ! Ça devient très difficile de vendre des programmes. Quand on va voir France Télévisions, il faut s’y prendre six mois à l’avance... quand il daigne me recevoir (rires).

Vous avez produit un 90 minutes pour M6, le Pot de colle. Est-ce plus difficile à produire qu’une shortcom ?

Le programme court est un exercice difficile, il lie la production et l’usine. Il faut être très organisé et rentable. Un 90 minutes n’est pas si lourd que ça à gérer, en dehors de certains égos. Le Pot de colle devait être un film pour le cinéma au départ avec François Cluzet et François Berléand, mais je n’ai pas pu le monter. Berléand est resté sur le projet, car il a aimé le scénario, c’était très élégant de sa part.

« J’ai créé le premier programme court de 3e partie de soirée qui allie sexe et humour »

En 26 minutes, vous avez produit pour Comédie, Sois riche et tais-toi !. Quel souvenir en gardez-vous ?

Dans un épisode, Stéphane Bern dit : « Il a loué un pauvre et il l’a rendu abimé à l’arrière et on n’a pas voulu lui rendre sa caution » (rires). J’adore ces programmes déjantés ! Stéphane Bern s’est plié à l’exercice et y est allé à fond ! Ce n’est pas un bon comédien, et je lui ai dit, mais il est très bon quand il fait du Stéphane Bern. Avec Sois riche et tais-toi !, on est entré dans le top 10 des audiences de Comédie !

Quand pourra t-on voir sur les écrans votre shortcom baptisée Escalier Q ?

Je l’ai montrée à toutes les chaines. Je voulais créer le premier programme court de 3e partie de soirée qui allie sexe et humour, les deux mots les plus recherchés sur internet. Ce n’est pas du Marc Dorcel non plus, mais faut y aller, car si on baisse le curseur, ça ne marche pas ! Tous ceux à qui j’ai présenté le programme ont adoré, mais personne n’a osé le mettre à l’antenne. Je ne désespère pas !

Partie 3 >De la succession de Dorothée sur Antenne 2 à la production


Comment êtes-vous finalement devenu producteur ?

Un peu par hasard, car, à la base, je ne voulais pas produire. J’étais auteur et comédien, j’avais deux cafés théâtres à Lyon. Après je suis arrivé à la télé avec mon ami d’enfance Bruno Gaccio. J’ai écrit pour Nulle part ailleurs, Les Guignols de l’info, puis H, qui a été un vrai tournant pour moi. Cela m’a ouvert des portes.

À la rentrée 1988, vous débarquez sur Antenne 2, animateur de l’émission jeunesse Chaud les glaçons avec Cerise. Comment vous êtes-vous retrouvé propulsé face au Club Dorothée ?

(Il éclate de rire) Ah c’est pas sympa de ressortir ça ! Régulièrement, je fais des soirées de la honte où je repasse les émissions ! En fait, j’avais mon café théâtre à Lyon, qui était très connu. Un jour, on me demande d’aller faire un spectacle pour les enfants malades au centre Léon Bérard. Je fais le show, puis la directrice m’appelle pour me donner le cachet de 1000 ou 2000 francs. Je lui dis alors que c’était juste impossible que je prenne cet argent. Et là, un mec derrière moi commence à me dire « Beau geste bravo » et enchaîne «  Ca vous intéresserait de faire de la télé ? Si vous montez à Paris, venez me voir ! » et il me tend sa carte. Je me suis dit « Pourquoi pas ! », et j’ai tout de suite trouvé un prétexte pour monter à Paris !

Mais qui était donc cet homme ?

C’était un chargé de communication de Jacques Chirac. Alors quand on me dit que le pouvoir politique n’a rien à voir avec la télé, ça me fait bien rire ! Il m’amène à TF1 voir Étienne Mougeotte et Dominique Cantien. Ils recherchent alors un animateur pour lancer une émission d’après-midi. Mais avant ils veulent que je me fasse la main sur la météo. Impossible pour moi ! J’avais mon café-théâtre et je ne voulais pas être sur Paris tous les jours ! Juste après ce rendez-vous, il m’emmène chez Antenne 2. Et là je rencontre Christophe Izard. Il recherche un mec pour animer une émission jeunesse, et qui sache écrire des textes. J’ai accepté ! Dorothée était partie sur TF1. Elle faisait gagner des chaines stéréos, moi... des tee-shirts ! (rires)

En refusant d’animer la météo de TF1, vous êtes donc passé à côté de l’émission de l’après-midi, Panique sur le 16, qu’a animé Christophe Dechavanne...

Oui, c’est une histoire de fou, j’allais être le futur Dechavanne en fait (rires).

N’avez-vous pas appréhendé de vous retrouver face au rouleau compresseur Dorothée ?

Non, car je ne m’en rendais pas compte du tout ! J’avais les émissions le mercredi, le samedi et pendant les vacances scolaires, ce qui m’allait très bien. J’arrivais le mardi soir de Lyon, on tournait le mercredi avenue Montaigne, et je repartais le soir même à Lyon. Je ne me suis jamais intéressé à l’audience, je n’assistais à rien. J’étais un rebelle ! On a fait une saison, puis on m’a dit « Voilà, l’émission est finie. »

« Dorothée était partie sur TF1. Elle faisait gagner des chaines stéréos, moi... des tee-shirts ! »

Comment avez-vous vécu cette expérience ?

À Lyon, j’étais connu pour être un patron de café théâtre. Alors parfois, sur scène, on se foutait de ma gueule. Dans la salle, j’entendais « Chaud les glaçons ! ». En plus, je chantais le générique de l’émission (il entonne) « Quand c’est chaud, c’est chaud les glaçons, pousse les meubles et monte le son...  », ça ne s’oublie pas (rires).

Pourquoi n’avez-vous pas poursuivi dans l’animation télé ?

On m’a tendu des perches, que je n’ai pas rattrapées... Je suis toujours allé un peu où le vent me poussait. À l’époque, j’avais 28 ans, et je me suis vraiment marré à faire tout ça !