Toutelatele

Philippe Labro

Joseph Agostini
Publié le 02/07/2003 à 00:00 Mis à jour le 14/03/2010 à 16:51

Journaliste, écrivain, cinéaste, homme de radio et de télévision, Philippe Labro est un éclairé de son siècle, entre micros et feuilles blanches. Dans Ombre et lumière, la nuit sur France 3, il rencontre des gens de toutes sortes, et s’entretient avec eux sous un éclairage tamisé, propice à la confidence. Labro accoucheur d’âmes, explorateur de douleurs et de plaisirs, curieux de la vie et amoureux des arts, s’est confié sans fards à son tour. Rencontre.

Joseph Agostini : Ombre et lumière est une émission intimiste dans laquelle les invités se racontent doucement, en vingt-huit minutes sans coupure. Vous qui êtes avant tout un homme de radio, ne pensez-vous pas que la caméra puisse nuire à la confidence ?

Philippe Labro : L’entretien est la matrice même de la radio. Mais l’intimisme est également possible en télévision. L’image doit être exploitée pour donner une autre dimension à la rencontre. L’atmosphère très douce, très feutrée d’Ombre et Lumière, favorise l’échange. Ces vingt-huit minutes de tête à tête se font sans ruptures de rythme, sans interférences. Il faut cette continuité pour permettre aux invités de se dévoiler. Chaque média a sa spécificité, mais il faut bien s’en servir.

Pour un journaliste, n’est-il pas plus difficile de créer l’intimité à l’écran que derrière un micro ?

A la radio, le silence est très important. Dans Ombre et lumière, je ne relance pas systématiquement mes invités. Je laisse aussi la place aux silences, aux sourires, aux gestes... L’image montre celui qui parle. L’expression de sa personnalité est mise en relief. Je crois que la télévision donne une représentation de l’intelligence.

Jacques Chancel, l’un des maîtres des entretiens radiophoniques, a dit : « Ce n’est pas la question qui compte, c’est la réponse. Et de savoir l’écouter. » Qu’en pensez-vous ?

Le danger, c’est de ne pas écouter la réponse. Cela dit, il faut aussi préparer la réaction à la réponse, « organiser le ratage », comme disait Lazareff ! Je pense que tout est dans la curiosité. J’essaie de comprendre mes invités, en espérant avoir la capacité d’écoute la plus dense possible. Je suis aussi un romancier, et l’entretien s’apparente souvent à la description des sentiments, à la peinture des âmes. Règle d’or : savoir de qui on parle, à qui on pose les questions ! Quel que soit le média, il faut faire son « homework » avant !


A l’heure des magazines people aux formats standardisés, ne laissant aucune place au véritable échange, quel est l’avenir des émissions comme la vôtre ?

300 000 téléspectateurs sont fidèles à Ombre et lumière. J’espère que le public saturé de people nous suivra, toujours plus nombreux. France 3 souhaitait un programme comme le nôtre pour élargir son spectre et répondre à la gamme complète de la demande des téléspectateurs. D’abord soucieux de l’horaire si tardif, je suis aujourd’hui très heureux d’avoir créé un public particulier, fait de noctambules. L’émission a reçu un très bon accueil. J’espère qu’il y aura toujours la place pour tous genres de programmes, des plus profonds aux plus ludiques !

« Je connais gens de toutes sortes », votre dernier ouvrage paru l’année dernière, est une galerie de portraits d’artistes, de politiques et d’écrivains. Vos interviews dans Ombre et lumière pourraient-elles donner naissance à un livre de rencontres ?

Non. L’immédiateté de l’image et le rapport à l’écriture sont deux choses trop différentes. Je n’ai pas l’intention de mélanger les disciplines. Je travaille en ce moment sur le récit d’une histoire vécue, dans lequel je reviendrai sur la dépression nerveuse que j’ai endurée il y deux ans. Je me plonge dans cette expérience d’écriture avec une volonté d’authenticité, pour dire ce mal, qui touche un français sur cinq.

Cette « descente aux enfers » de la dépression vous permet-elle aujourd’hui d’aborder avec plus de justesse les vies de vos invités ?

Certainement. Je n’aurais pas pu aborder leurs douleurs d’une façon si empathique si je n’avais pas vécu cela. Les souffrances, les accablements, les épreuves nourrissent nos échanges avec l’autre. Toute vie n’est qu’un processus d’apprentissage, rien de plus. « Le sot ne voit pas le même arbre que le sage », écrit Blake.

Avez-vous atteint la sagesse ?

Mon souci de rester humble et ma fascination pour les génies m’empêchent de croire en de telles choses ! Je pense qu’il s’agit de trouver sa propre musique, sa propre approche des choses. Bataille parle de l’écriture comme d’« une épreuve ultime ». Alors, oui, j’exprime des mystères... Mais je fais du saut à la perche, et mets la barre toujours un peu plus haut !

Philippe Labro, quels conseils donneriez-vous aux jeunes journalistes qui débutent ?

Maîtrisez votre propre expression et restituez là aux autres ! Ce métier n’est pas fait pour les paresseux. Il faut une personnalité, de la persévérance, de la passion... Les meilleurs émergent.