Toutelatele

Pierre Marcolini (Qui sera le prochain grand pâtissier ?) : « Jérémie est une machine de guerre »

Par
Rédacteur - Expert TV & Séries
Publié le 24/06/2014 à 19:57 Mis à jour le 04/07/2014 à 13:20

Pierre Marcolini est un pilier dans la pâtisserie . À 49 ans, ce chef gère son empire chocolaté. Au four et au moulin, il possède en plus d’une longue expérience, une société reconnue. Il a, au détour d’une compétition, raflé la Coupe du Monde de pâtisserie il y a presque 20 ans. Un CV qui lui permet d’être l’un des quatre jurés de Qui sera le prochain grand pâtissier ? Pour Toutelatele, il récapitule la saison et revient avec délectation sur les plus savoureux moments.

Clément Gauthier : Grâce à Qui sera le prochain grand pâtissier ?, pensez-vous que le regard du public a changé sur la pâtisserie ?

Pierre Marcolini : Fondamentalement, oui. Être proche des artisans permet d’avoir bon nombre de retours. Les gens me disent beaucoup de choses différentes de « On ne savait pas qu’il fallait une architecture du goût » à « Ces jeunes nous épatent ». Ils nous expliquent qu’après avoir regardé l’émission, ils ont envie de manger un dessert. En réalité, on a suscité des vocations, et c’est toute la beauté à la fois du service public et d’une émission comme celle-là. C’est important de montrer que la pâtisserie n’est pas aussi banale qu’on l’imagine. Ça ne se limite pas à quelques macarons et un peu de crème brulée. Il y a tout un passé et un patrimoine. Pour moi, le pari est réussi à ce niveau-là.

À quel moment les jeunes peuvent se lancer dans la pâtisserie ?

Il faut en avoir la passion. C’est un métier exigeant et qui demande de la patience. Dans une société où le curseur se place sur la consommation et le loisir, c’est compliqué de dire à des gamins que pendant que les autres font les cadeaux de Noël, ils feront des bûches. On a, parfois, envie d’aller dans des métiers de facilité. Quand on a fait ce choix, à 14 ou 18 ans, le regard sur le métier manuel devient différent. On dit toujours que l’école de l’enseignement technique et professionnel, c’est la voie de la dernière chance. Et aujourd’hui, on se rend compte que ça demande de la technicité et du talent. On fait appel à plusieurs sens. Il n’y a pas forcément d’âge pour se lancer dans la pâtisserie, mais il faut bouger et ne pas se contenter de rester au même endroit. Dans la mondialisation positive, comme je l’appelle, les choses et les gens circulent. Il y a une telle richesse que personne ne doit se priver de ça.

La chocolaterie est-elle aussi honorée dans l’émission ?

Elle l’est. J’en suis le garant. Le métier de chocolatier, c’est la transformation de la fève de cacao jusqu’à l’état de chocolat. Et puis le pâtissier, effectivement, reçoit cette matière noble du chocolatier et va la transformer en mousse ou en crème. Et le glacier va en faire des glaces. On est dans le monde du sucré très bien représenté.

« Il s’agit de découvrir la personnalité des individus à travers leurs gâteaux et leurs créations »

Avez vous trouvez des candidats plus sûrs d’eux dans cette nouvelle saison ?

Ils ont l’avantage d’avoir pu regarder la première saison. Ils ont vu le degré d’exigence. Ils ont une idée et ne sont pas en terrain inconnu entre guillemets. D’office, on veut se tirer vers le haut, montrer ce que la pâtisserie a de plus beau. Quand on voit comment les candidats se débrouillent, on comprend qu’ils en ont sous le coude. J’ai dit au dix, au départ, qu’on savait qu’ils étaient pâtissiers ou chocolatiers avec les présélections. Mais, à travers leurs gâteaux et leurs créations, il s’agit de découvrir la personnalité des individus, sans commencer à entrer dans le larmoiement, ni dans le Zola, encore moins dans une sorte de compassion à leur égard. C’est une émission où l’on parle de pâtisserie. Il y a de l’humanité car faire des gâteaux sans amener une émotion, ce n’est pas possible, mais le sujet principal est avant tout respecté.

Comment déterminer qu’un candidat a plus de créativité qu’un autre ?

Par sa technique et par le chemin sur lequel il nous amène en terme de créativité, par la forme, par le goût, les associations et les couleurs. Par la présentation également. Chacun amène son horizon comme lorsqu’on revisite un grand classique. Dans la demi-finale, on leur a donné la tomate à travailler. Ça a été l’occasion de voir comment ils allaient se débrouiller et ça a été explosif. Il n’y a pas une once de surinterprétation. Quand Gauthier a fait son dessert avec la tomate, ce fut un grand moment pour moi. Il a une maîtrise folle après seulement trois ans et demi dans la profession. Il ne connaissait pas le sujet et, malgré tout, le timing a été respecté. Je dis bravo. Dans l’atmosphère économique actuelle, avec un chômage abyssal concentré sur les jeunes, on est heureux de les voir se débrouiller de la sorte. Ça donne une banane d’enfer. C’est là où l’Europe peut puiser dans ses richesses, dans ses valeurs. Ça me rend admiratif.

Partie 2 > Les complexités du métier et la beauté du geste


Pourquoi avoir placé l’idée du chiffre d’affaires en demi-finale, avec l’épreuve du magasin éphémère, alors que le jury a le dernier mot ?

Le chiffre d’affaires, ça sert à dire qu’une chose nous ramène au XXIe siècle plutôt qu’au XVIIe. On leur donne du temps. La deuxième chose est qu’il y a une vente. L’acheteur peut se dire que ce n’est pas très bon et qu’il ne reviendra pas. La notion de gout est essentielle. Imaginons que l’acheteur mise sur la beauté et sur le fait que le prix est élevé alors que les gâteaux sont pratiquement immangeables. Ça devient hors propos. Il faut mettre en parallèle, le fait que le candidat a réalisé le nombre de pièces qu’on lui a demandé dans les temps, et le chiffre d’affaires au cas où il y aurait des égalités. Lorsqu’on fait une boutique, même si elle est éphémère, il faut que les gens reviennent et soient sensibilisés. Qu’ils se disent que c’est vraiment un bon dessert. La satisfaction des gens va avec le chiffre d’affaires, même si la valeur la plus importante est le goût.

Parfois, les réalisations sont particulièrement difficiles à exécuter. Pensez-vous que les téléspectateurs peuvent perdre le fil de l’émission face à la difficulté de ce qu’ils voient ?

Quand les gens découpent un entremets glacé, il y a une démonstration. L’émission n’a pas vocation à créer des pâtissiers-spectateurs, mais à leur expliquer comment c’est fait. Les astuces et la compréhension du métier sont importantes. Quand ils verront un petit gâteau à 4,50 euros, ils trouveront ça moins cher et le mettront en comparaison avec le café à trois euros. Le degré technique instaure une certaine harmonie. On peut trouver du sens avec une bûche aux noisettes, par exemple. C’est une partie technique où on pourrait perdre pied, mais je ne suis pas sûr que les gens décrochent. On leur montre la beauté du geste et la compréhension d’un métier.

Les audiences ne sont pourtant pas au beau fixe....

Je prends le plaisir là où il est et je vis l’instant présent. Les audiences me sont très éloignées. Maintenant, c’est la réalité, ça fait partie du quotidien. En face de nous, on a la Coupe du Monde. Je pense que si on avait gardé l’émission en juillet, au moment où les gens trouvaient ça rafraichissant après avoir été saturés par les émissions de cuisine, ça aurait été mieux. Mais prenons le bonheur là où il est, et si c’est 10% d’audience, c’est 10% de gens qui ont vu une émission qui parle d’un patrimoine et met en avant des jeunes. J’ai signé et je signerai pour ce genre d’émissions parce que je trouve qu’il y a tous les ingrédients de la vocation du service public. Je retiens le visage des jeunes quand on leur dit qu’ils vont aller chez Sébastien Bouillet ou Laurent Jeannin. Moi, je n’ai pas eu cette chance. En deux mois, ils voient quatre ou cinq grandes maisons françaises. C’est exceptionnel. Même s’ils ne sont pas parvenus en finale, ils ont été dans des ateliers partout en France et ont fait des connaissances.

Qu’avez-vous ressenti en goutant le dessert de Gauthier en épreuve éliminatoire ?

Ce que j’ai trouvé formidable dans l’assiette de Gauthier, c’est l’intensité de la tomate. Parfaite, transparente, sublime. J’en ai gouté un semblable chez un trois étoiles, à Valence. Son granité était parfait. Il y a avait de la fraicheur, de l’onctuosité. Les meringues toutes fines avaient du sens. Rien n’était laissé au hasard. La vraie magie de Gauthier, c’est qu’il ne sucre pas trop. L’interprétation l’a perdu dans la finale avec Ophélie. Il est plus pâtissier de restauration que pâtissier boutique. Pierre Hermé est plutôt pâtissier boutique que restauration. L’épreuve a plus tendance à favoriser ceux qui ont travaillé en boutique. L’expérience d’Ophélie a joué. Et il y avait une petite différence de goût également.

« Quand on passe deux mois avec les candidats, d’office on fait de l’empathie »

Gauthier est-il promis à un bel avenir ?

Tous ! On les a vus grandir pendant deux mois. C’est pour ça qu’on fait des dégustations à l’aveugle à un moment donné. Quand on passe deux mois avec les candidats, d’office on fait de l’empathie, on se dit qu’on accroche. C’est dans la nature humaine. Dire le contraire est un mensonge.

Qui tient la corde pour la finale ?

Je dirais simplement que le finaliste, c’est la pâtisserie. C’est la pâtisserie qui a gagné ! Les trois derniers sont superbes, que ce soit Jérémie, Ophélie et Adrien. C’est de très bons pâtissiers. On a vu un Adrien qui hésitait, mais qui se met en place. Jérémie est une machine de guerre, il est démonstrateur. Ophélie monte en puissance. On sent qu’elle commence à y croire et qu’elle a une certaine maturité.