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Rencontre avec Bénédicte Lesage, productrice d’Antigone 34

Claire Varin
Publié le 25/04/2012 à 20:01 Mis à jour le 26/04/2012 à 16:26

En mars 2012, France 2 a lancé sur son antenne une nouvelle fiction sérielle, Antigone 34, tournée à Montpellier. Au cours de ses trois semaines de diffusion, la série policière a rassemblé en moyenne 2.93 millions de téléspectateurs (11.6% de part de marché). Toutelatélé a rencontré la productrice Bénédicte Lesage (Mascaret Films) afin de dresser un bilan pour Antigone 34. Il est ici question d’audiences, de création, d’innovation, de service public et de politique culturelle...

Claire Varin : Êtes-vous satisfaite des audiences d’Antigone 34 ?

Bénédicte Lesage : On nous a demandé une série jeune dans un contexte où France Télévisions n’attire plus - en tout cas pas de manière importante - les moins de 50 ans. C’est difficile avec trois soirées de les faire revenir massivement. Aujourd’hui, la moyenne d’âge de notre audience est de 61 ans. Ce qui n’est pas notre coeur de cible. Par rapport à ce public-là, je pense que les audiences sont bonnes. On a résisté avec une concurrence qui, le premier soir, n’était pas trop difficile, la deuxième fois, on avait le Sidaction avec Qui veut gagner des millions ? et la troisième fois le lancement de Koh-Lanta. Et tout ça en face de NCIS, série américaine très bien installée, et qui est frontalement concurrente à Antigone 34. Honnêtement, j’avais peur que ça s’effondre au troisième épisode. Nous avons malgré tout réussi à fidéliser les gens. Pas au niveau d’attente qu’on peut avoir légitimement sur France 2, mais globalement, on a un bilan positif.

France 2 va-t-elle vous donner le temps et les moyens de trouver ce public ?

On n’a pas encore eu cette discussion puisque le dernier épisode vient d’être diffusé (l’entretien a été réalisé le 10 avril dernier, ndlr). Avec l’auteur et showrunner Brice Homs, on en a discuté. Il voit bien ce sur quoi il faudrait recentrer la suite. On leur propose et le diffuseur dispose. Nous, on y croit. On pense qu’on peut gagner un public beaucoup plus important. France 2 nous donnera le temps et la possibilité de le faire, ou pas. C’est, à mon sens, le rôle du service public. Il ne faut pas oublier qu’une série comme Avocats & Associés, la première saison a été cinq points en dessous de la moyenne de la case, ils ont commandé la saison 2 et puis ça a été un carton durant des années.

Peut-on revenir sur l’origine du projet ?

Nous avions développé un projet transmédia autour d’un thriller médical feuilletonnant que nous avons proposé à France Télévisions. Ils ont nous ont dit : « On aime bien les trois personnages principaux, les dialogues et la forme narrative. Faites-nous la même chose en série policière ». Il faut alors prendre le temps pour tout basculer et nous sommes arrivés dans une période de changement des équipes chez France Télévisions. On nous a demandé un pilote, puis, on nous a dit « Non, c’est deux pilotes ». Puis, au moment de produire les deux, on nous a dit « Non, ce sera trois, parce qu’on veut diffuser trois fois trois ». Au bout des trois, nos interlocuteurs ont encore changé de discours : « Non, on repasse sur trois fois deux donc ce sera que six épisodes. » Comme il y a toute une partie feuilletonnante, c’était une vraie difficulté. Pensant avoir neuf épisodes, on avait ouvert beaucoup de pistes, notamment pour le personnage de Léa. A partir du moment où on n’en avait plus que six, il fallait bien les fermer.

Que le diffuseur puisse vous demander trois épisodes pilotes. Considérez-vous que c’est un problème ?

Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de faire. Parce que d’un pilote on apprend beaucoup. Au lieu d’apprendre d’un épisode, si on fait des erreurs, on les fait sur trois. C’est un peu dommage.


Quelle est votre implication en tant que productrice ?

Au milieu de toutes ces contraintes et variables, mon travail de productrice a été d’essayer d’ajuster au fur et à mesure, de ne pas perdre l’énergie et l’envie et trouver vers quel projet on pouvait aller. J’ai aussi accompagné et défendu un casting. On voulait une comédienne qu’on n’avait pas déjà vue cinquante fois. Je me suis battue pour avoir Anne Le Nen. Il s’agit aussi de mobiliser toutes les institutions locales à Montpellier et créer un mouvement d’adhésion pour que la série soit vraiment implantée là-bas. Et puis, essayer des propositions nouvelles et garder l’œuvre au centre du combat. Comme lorsque j’ai produit La journée de la jupe. C’était improbable. On me disait ça ne marchera jamais...

Antigone 34 est présente sur le web, les mobiles et les tablettes. Pouvez-vous nous parler de votre intérêt pour le Transmédia ?

On a produit Addicts et des fictions participatives pour Arte. Il s’agit de porter une réflexion en terme de fiction globale, c’est passionnant. Avec l’arrivée de la télévision connectée, il est important d’avoir cette réflexion autour de la création. Sur le projet d’Antigone 34, il n’y avait pas d’interlocuteur pour le Transmédia jusqu’à l’arrivée de Boris Razon, en juillet. Nous, on avait déjà produit les trois premiers épisodes. Le temps qu’ils se mettent d’accord, on a mis le dispositif Transmédia très tard. C’est quelque chose qui doit se concevoir en amont. Et ça demande une coordination entre les gens qui s’occupent du site internet, ceux de la BD animée, et ceux qui s’occupent de la partie YouTube...

Mascaret Films a surtout produit des films de cinéma et des fictions unitaires pour la télévision. Par quoi êtes vous particulièrement intéressée dans la fiction sérielle ?

C’est de l’appétit pour l’oeuvre. Série ou unitaire, pour moi, c’est pareil. Même si la série, c’est un peu plus long. Mais la gymnastique que l’on fait sur une série est passionnante. Tout comme la gymnastique intellectuelle que l’on fait sur le Transmédia. Et j’adore explorer le combat.

Le combat n’est-il pas plus compliqué sur une série par rapport à l’état de la fiction française ?

L’unitaire est un basique de la fiction française. La série est quelque chose qui se cherche. Donc oui, le combat est plus compliqué, mais en même temps passionnant, parce que nouveau. En ce sens là, j’ai autant d’intérêt. Il faut savoir qu’aujourd’hui - même chez France Télévisions - on produit moins d’unitaires et plus de séries. Alors, soit je pleure (rires), soit je me demande quel plaisir puis-je trouver dans les séries et quel travail peut-on faire pour être différent ? Ça nous fait réfléchir sur les cultures, la production, la fabrication...


Qu’en est-il des relations entre créatifs et diffuseurs ?

Il y a un vrai travail à faire avec les diffuseurs pour trouver un processus de travail qui soit plus constructif, collectif et en même temps, qui soit moins une réaction épidermique aux dernières audiences ou à la dernière expérience. Les auteurs portent quelque chose, il faut que ça se développe et qu’on les aide. Mais on ne peut pas leur demander de faire des choses qui sont contraires à l’essence de leur projet. Il faut donc assumer que la création embarque quelque part. C’est cette aventure-là qui m’intéresse. C’est vrai que quelques fois ça fait peur chez les diffuseurs. On aimerait tous avoir la recette du succès, mais ce n’est pas comme ça que cela fonctionne.

La situation va-t-elle pouvoir bouger en France ?

C’est obligé de bouger. On n’a pas le choix. Si ça ne bouge pas, on est mort. Quand il y a nécessité absolue, ça oblige tout le monde à bouger les curseurs. De façon collective, on est en train d’essayer de mettre en place une charte de développement à France Télévisions pour effectivement travailler de manière plus intelligente, plus cohérente et plus respectueuse des œuvres en se mettant bien d’accord au départ sur ce qu’on est en train de faire. Ça prend malheureusement trop de temps pour se mettre en place. Faire bouger le rapport diffuseur / producteur / auteur-scénariste / réalisateur, c’est long. Par exemple, sur une série, comment trouve-t-on le curseur juste entre l’auteur, concepteur, showrunner et le réalisateur ? Comment le rapport s’équilibre ? C’est compliqué en France, puisqu’historiquement la place du réalisateur est au dessus. Mais il faut y aller ! Et puis, c’est passionnant d’y aller parce qu’on n’a pas de raisons aujourd’hui de se dire que les séries françaises ne peuvent pas marcher.

On compare souvent les séries françaises avec les séries américaines en soulignant une différence de budgets, de production... Mais est-ce que dans le contenu il n’y a pas une différence plus importante qui est qu’à Hollywood on est progressiste et que la télévision française ne l’est pas ?

C’est vrai qu’il y a les différences de financements, de droits d’auteurs, qui impliquent d’autres formes de travail. Mais nous sommes dans une télévision qui, avec la problématique suivante de dire aujourd’hui la population de personnes âgées est importante, il ne faut pas leur faire peur. Ca ne donne pas une impulsion progressiste. Or, si on revient sur les audiences d’Antigone 34, où on a réussi à fidéliser un public de 61 ans de moyenne. Ça montre bien que les 60 et plus sont tout à fait capables de voir des choses différentes. Il ne faut pas oublier que les gens, qui ont 60 ans aujourd’hui, ont vécu en 1968 et où les formes de créations étaient extrêmement variées et libres. C’est ce que l’on défend auprès des chaînes de télévision et c’est un combat difficile. Il y a des choses que l’on voulait faire dans Antigone et on nous a dit non. Il y a un gros progrès à faire là-dessus. Il faut mettre la création au centre et sortir du système de la peur et du conformisme.

Recevez-vous beaucoup de projets ?

Oui, on a beaucoup d’auteurs. Mais on veut rester une société à taille humaine et garder cette idée qu’une série, ce n’est pas juste un business. C’est une œuvre. Alors on n’en fait pas cinquante à la fois.


Avez-vous d’autres séries en développement ?

On va partir sur une production pour NRJ12. Une série huit-clos policière, parce qu’on est dans l’économie d’une chaîne de la TNT. Il y a moins d’argent, mais il y a plus de liberté artistique. Il faut repenser l’écriture, les modes de production... C’est un nouveau challenge. On tente des choses. On peut faire venir des auteurs, des réalisateurs et des comédiens talentueux, qui n’ont pas forcément beaucoup d’expériences. Ça permet de renouveler la création. On a dix épisodes à produire et pour l’instant, NRJ 12 nous a laissé toute liberté.

La Guilde française des Scénaristes s’est créée. Les producteurs ont-ils les moyens de faire pression pour que les choses évoluent ?

Tout ça passe forcément par des combats collectifs, si l’on veut y arriver. Je fais partie du SPI (syndicat des producteurs indépendants), qui regroupe court-métrage, fiction, documentaire, spectacle vivant et télévision. Notre caractéristique première c’est que quel que soit le domaine, nous mettons tous l’œuvre et l’indépendance au centre. C’est pas mal de boulot aussi, mais c’est intéressant de voir comment on peut faire bouger les mentalités. Par exemple, la charte de bonnes conduites entre producteurs, auteurs, réalisateurs et diffuseurs avec France Télévisions est une négociation que l’on fait au niveau syndical dans un intérêt collectif. Et là, en période d’élection, au SPI, on a sorti un guide des cinquante points, qui nous semblaient importants pour les années à venir. Voir les problèmes et faire des propositions pour garder la création au centre. C’est un peu la création contre l’industrie.

Un changement de président aura-t-il impact ?

La lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Christine Albanel lorsqu’elle était ministre de la Culture était surtout de défendre une industrie audiovisuelle forte. Je défends l’artisanat audiovisuel. Après on sait qu’on est dans une période où la pression économique est très forte, où les finances de l’État sont au plus bas. Il y a aussi une forte pression européenne qui vise à développer l’industrie des nouvelles technologies, plus que la création. Il faut donc se mobiliser sur toutes les questions de la création. Défendre la culture européenne c’est fondamental et ça demande une vision politique au sein des États, mais aussi à Bruxelles.

Le programme Média a été créé pour soutenir le cinéma européen. Cela a-t-il été une bonne chose ?

Oui, le programme Média est important. Mais, quand on voit les nouvelles réflexions au niveau européen sur les licences multi-territoriales, sur les questions de chronologies des médias, nous pouvons être inquiets. Nous sommes dans une période de crise économique globale. Or, je pense que la création n’est pas un bien matériel comme un autre. C’est ce qui fait la relation entre les gens. C’est ce qui fait la connaissance et le questionnement sur son monde. C’est un lien social précieux.