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Richard Maroko > Sa stratégie pour les chaînes du groupe AB

Publié le 29/06/2012 à 12:53 Mis à jour le 27/05/2022 à 00:43

Figure incontournable du groupe AB, Richard Maroko dirige les programmes de l’ensemble des chaînes. À l’heure où la TNT poursuit son développement, il revient sur la stratégie du groupe AB pour maintenir ses chaines dans un univers de plus en plus concurrentiel. Bilan de la saison et Tour d’horizon de la maison AB qui ne souhaite pas s’endormir sur ses acquis, histoire d’aborder au mieux la rentrée prochaine...

Toutelatele : Comment pourrait se résumer votre rôle au sein du Groupe AB ?

Richard Maroko : Il est très large. Je m’occupe de deux grosses activités que sont les acquisitions et les chaînes. La production est une activité plus récente. On se relance au niveau du documentaire, on en produit désormais une cinquantaine par an. Il y a des projets qui sont à l’antenne au niveau divertissement comme Les Enquêtes impossibles de NT1. En fiction, le travail se fait dans le temps comme pour Guillaume le conquérant avec Electus et le réalisateur Pierre Morel. Mais toutes mes activités ne sont pas égales au niveau temps. Il y a des cycles.

Sur un projet international comme Guillaume le conquérant, intervenez-vous en terme de production, de distribution et de diffusion ?

Non, car un projet d’une telle envergure ne peut pas passer sur une chaîne câblée. Il faut déjà trouver le financement qui vient du hertzien. Nous intervenons en tant que producteur partenaire au niveau du marché français et on porte le projet auprès des chaînes.

Comment a évolué le Groupe AB depuis l’arrivée de la TNT ?

Nous avons fait partie de la naissance de la TNT puisque nous avions deux chaines, NT1 et TMC. C’est un marché important avec des moyens financiers conséquents. Il permet une nouvelle fenêtre intéressante pour bon nombre de programmes, même si le marché a tendance à se concentrer. Les enjeux financiers sont tels qu’il est aujourd’hui difficile de percer si on n’est pas soutenu par un groupe. En tant qu’acteur indépendant, il faut être vigilant sur ce mouvement. Le marché se focalise sur les programmes les plus importants qui circulent en boucle, et il y a assez peu de places pour les autres. Ce serait dommage que les chaînes s’appauvrissent en terme de créativité et d’ouverture vis-à-vis de formats ou projets. Mais les nouvelles chaînes qui vont arriver vont peut-être permettre l’élargissement des grilles de programmes.

Les chaînes thématiques du groupe AB vont-elles pâtir de l’arrivée des six nouvelles chaînes de la TNT ?

On peut voir la TNT comme une concurrente, mais les chaînes thématiques sont assez peu nombreuses. Ça reste d’abord des généralistes, plus ciblées selon certains segments de téléspectateurs. Je ne pense pas que ce soit de nature à remettre en cause l’intérêt pour les chaînes thématiques qui sont, quand même, les seules à pouvoir apporter une vraie segmentation en terme de programme. La politique de l’offre en matière de programmes est réelle. Plus on en montre, plus on a envie d’en voir. Je crois que ça peut donner une ouverture supplémentaire pour des programmes qui seront ensuite revus sur le second marché avec d’autant plus de plaisir et d’attente.


Pourquoi n’avez-vous pas proposé une de vos chaines documentaires lors du dernier appel d’offres du CSA ?

Car nous pensons que ces nouvelles chaînes seront très difficiles à se rentabiliser. Il y a des couts fixes en diffusion TNT qui ne peuvent plus être amortis avec des segmentations trop fines, qui réduisent votre chiffre d‘affaires potentiel. Sur le câble et l’ADSL, ces couts fixes ne sont pas gigantesques, on peut donc amortir ces chaînes avec des recettes relativement réduites. Mais sur la TNT, quand vous avez 10 millions de frais de distribution, cela devient compliqué...

Regrettez-vous d’avoir vendu TMC et NT1 au groupe TF1 ?

Non, car on ne fait pas des chaines de télévision pour la gloire, ni pour la fierté même si c’est passionnant, intéressant et prestigieux. Après analyse, on a vu qu’avec les investissements nécessaires et surtout la restructuration du marché, les majors sont tous structurés autour de TF1 et M6. À un moment donné, l’accès aux meilleurs programmes est très difficile. Et ce sont ces programmes dont vous avez besoin pour faire de l’audience, et donc de la publicité. Et pour y avoir accès, l’effort financier est trop important. Avec la conjoncture publicitaire difficile, on s’est dit que s’il y avait une opportunité pour céder ses chaines, il y a un calcul d’entreprise qui était peut-être judicieux.

RTL9 est-elle toujours la chaine amirale du groupe AB ?

Oui absolument ! On est deuxième auprès des ménagères et troisième sur les 4 ans et plus. Nous sommes parmi les chaînes leaders aux côtés des filiales de TF1, M6 ou Disney. Pour un groupe indépendant, on s’en sort pas mal !

N’y a t-il cependant pas une érosion d’audience sur RTL9 ?

Pas du tout ! Il y a eu une stagnation au moment du lancement de la TNT, car il y a eu un effet de curiosité qui s’est abattu sur le paysage des chaines thématiques. Elles en ont subi les conséquences. Quand on a vendu TMC et NT1, on s’est mis au boulot et on a regagné 35% de téléspectateurs. Nous ne sommes pas en régression.

La part de marché a cependant baissé et vous avez toujours 15 millions de téléspectateurs comme il y a cinq ans...

(rires) Oui, mais il y a eu la TNT entre temps ! Je suis plutôt content d’être revenu au niveau d’avant. Cela a été le cas de toutes les chaines. Regardez TF6 qui a quasiment disparu des écrans radars ! RTL9 va très bien, on est plutôt très content et je n’étais pas sûr de revenir à ce niveau là avec la concurrence.

Pourquoi misez-vous sur des visages emblématiques comme Dorothée pour incarner RTL9 ?

RTL9 est une chaine concentrée sur la fiction, mais on a toujours veillé à produire chaque année un ou deux événements pour donner du relief à la grille comme RTL9 Family avec Sandra Lou. Dorothée fait partie de la maison. On avait envie de faire des émissions de magie. Elle a accepté de présenter trois émissions comme prévu, car la magie a une composante très familiale. Ça a bien marché donc on va peut-être le refaire, mais rien n’est décidé.


Allez-vous continuer à associer des visages aux grilles sur l’ensemble de vos chaînes ?

Oui, on applique la même politique que sur RTL9. On a besoin d’un passeur par chaine. Sur Animaux, avec Bernard Montiel, sur Encyclo avec Jérôme Bonaldi... On a entrepris un travail nécessaire sur les chaînes thématiques. On avait pris du retard sur l’habillage et la grille. Le chantier n’est pas terminé, car nous avons 18 chaines...

Comment opérez-vous pour ces changements ?

On a changé les habillages et nous avons revu de fond en comble les grilles pour les adapter aux besoins. Il ne faut jamais hésiter à bouleverser les chaines. On a repositionné Encyclo sur la science, car elle n’avait pas d’identité particulière. Sur Animaux, on rebondit désormais sur l’actu. On a doublé l’audience sur toutes ces chaines même si ça reste confidentiel. Nous poursuivons cette refonte sur AB Moteurs et le magazine V6 va être plus spectaculaire. On va également travailler sur les chaines cinéma.

AB1 est-elle considérée comme la deuxième chaîne du groupe AB ?

Disons qu’elle fonctionne bien et qu’elle a bien progressé. Mais il y a des chaines qui font moins d’audience et qui, sur un plan financier, sont plus intéressantes. J’ai une vision d’entreprise : il vaut mieux être numéro 3 et gagner de l’argent que numéro 1 et en perdre. C’est très simple d’être leader en télé, il faut acheter des programmes, dépenser beaucoup d’argent, et normalement vous faites l’audience. Après si vous fermez au bout de deux ans, ce n’est pas très malin !

AB1 a subi un lifting. Vous jonglez entre sitcoms et real TV...

C’est un cocktail de fictions et sitcoms, un pur produit divertissement. Sur la fiction, nous essayons d’être assez féminin, et on apporte une bonne dose de télé-réalité. On garde également des incontournables comme le catch. AB1, c’est la télévision décomplexée.

Vous diffusez parfois sur AB1 des fictions quelque peu improbables. Comment parvenez-vous à remplir la grille ?

On fait notre travail de programmateur de façon la plus originale possible. Il faut essayer de se différencier un minimum quand on n’a pas les moyens d’avoir les programmes leader. SI je pouvais rediffuser Les Experts, je ne m’en priverais pas, mais je ne les ai pas ! Donc plutôt que proposer un clone de mauvaise qualité, on essaye d’ouvrir le spectre sur des choses qui ne sont pas faites ailleurs en trouvant des formats originaux.


Pourquoi ne proposez-vous pas plus de programmes de flux sur les chaînes thématiques ?

Pour que le flux fasse de l’audience, il faut qu’il y ait un public nombreux derrière. Il y a une dimension de masse comme pour un jeu. Donc sur une petite chaine thématique, ça ne peut pas marcher.

Vous misez cependant sur les rediffusions de Y’a que la vérité qui compte sur AB1. Est-ce une idée qui va se généraliser ?

Je considère que certains flux connus peuvent se rediffuser, ce qui est un peu paradoxal. Y’a que la vérité qui compte est une marque, on en connait tous les règles, et on a plaisir à le revoir. Et d’ailleurs certaines personnes ne se rendent pas compte qu’il s‘agit de rediffusions ! On réfléchit à proposer d’autres programmes de ce type. Ça donne un peu d’aspérité aux grilles...

Vous avez de nombreuses séries en catalogue par exemple la série La Firme, inédite encore en France. N’avez-vous pas envie de les diffuser en avant-première ?

Ces programmes coutent beaucoup trop cher. Je ne vois pas comment on pourrait les diffuser sur nos chaines en première fenêtre. Après on peut le faire, mais on aura grillé le programme ! Cependant, la plupart de nos programmes achetés pour notre catalogue finissent un jour sur nos chaines. On vend d’abord à TF1, France 2 ou M6. Il faut avoir une vision économique des choses et ne pas aller à l’envers de l’économie d’une chaine, sinon on ne va pas survivre longtemps...

Dans une interview accordée à Toutelatele.com en 2006, vous avez déclaré que des chaînes comme Ciné FX et Musique Classique « ne coutent plus rien et ont leur propre économie ». Pourtant, certaines ont disparu depuis. Quelle en est la raison ?

Les chaines de TV sont des entreprises. Elles font partie du marché de la télévision payante et doivent être adaptées à la demande. Quand elles ne correspondent plus à une demande sur le marché, il faut arrêter. Je crois aussi qu’il faut considérer qu’aucune chaine de télévision n’est indispensable. À l’inverse des États-Unis, en France, il y a une espèce de sacralisation comme si c’était la perte d’un bout de patrimoine. Ce ne sont pas des entreprises comme les autres certes, mais sur des petits acteurs, les chaines ne sont pas essentielles à la survie du PAF.

Quelle est l’économie de chaînes comme Golf Channel ou Lucky Jack ?

Golf Channel marche bien, on est quasiment à l’équilibre. il y a une vraie demande et un vrai public. Nous n’avons pas les droits des plus grandes compétitions détenus par Canal+, mais le sport de compétition n’est pas toujours l’unique angle pour pénétrer un sport. Et en plus, on pourrait difficilement rentabiliser la chaine si on achetait ces droits. Mais un jour, pourquoi pas...


Avez-vous des projets de nouvelles chaînes ?

J’en ai plein les cartons (rires). C’est un peu prématuré pour en parler, mais beaucoup de choses vont se passer d’ici la rentrée.

De par vos liens avec JLA Productions, (l’ex-A du groupe AB), n’avez-vous pas envie de proposer plus de fictions françaises sur vos grilles ?

Les gens ne regardent pas la fiction française, car il y en a, mais parce qu’elles sont bonnes et qu’ils ont envie de les revoir. Nous rediffusons par exemple Les mystères de l’amour sur AB1. Mais il est difficile d’avoir accès à la bonne fiction française, car elle est produite avec les grandes chaines qui en ont les droits.

Vous avez diffusé La Caverne, Plan Biz... La shortcom est-elle un moyen de proposer de la fiction sur vos chaînes ?

Oui, tout à fait ! Ce sont des programmes courts certes, mais intéressants. C’est une bonne politique. Il y a d’ailleurs une saison 2 pour Plan Biz et d’autres projets sympathiques.

Quelle est votre politique de production de documentaires ?

On a décidé de produire mieux avec des ambitions plus importantes. On produit des collections qui prennent de la valeur en distribution comme Les Grands Chefs (sur Escales, ndlr). Cela nous permet une exploitation vidéo, en distribution, etc. Et, en plus, cela apporte de la notoriété aux chaines et une qualité de programmation supérieure.

Avez-vous la volonté de travailler avec les chaines historiques ?

Oui, il faut avoir des partenaires pour mettre l’essentiel de l’argent. On a été co-producteur des Combattants de l’ombre sur Toute l’histoire, avec Arte. C’est un programme de très grande qualité que l’on ne pourrait pas pu faire seul.

Quelles sont les missions des prochains mois pour le groupe AB ?

On va continuer de reformater les chaines, de leur donner de l’envergure en travaillant les programmes et en améliorant la programmation afin de communiquer au mieux. Car la maison doit être bien rangée avant de faire venir les habitants (rires).