Toutelatele

Au coeur des Victoires

Joseph Agostini
Publié le 17/02/2003 à 00:15 Mis à jour le 18/07/2003 à 00:41

Samedi soir, France 2 retransmettait, en direct du Zénith de Paris, les 18èmes Victoires de la Musique. 4.2 millions de téléspectateurs étaient alors présents devant leur écran. Pour Toutelatele.com, Joseph Agostini s’est glissé dans la mythique salle. Ambiance...

Il est 20 heures lorsqu’un mastoc digne de chez Maurad
m’indique gentillement mon fauteuil. Je dévale ainsi
le Zénith, et prends place, avec mes comparses
journalistes, dans une rangée assez proche de la scène
pour remarquer que Michel Drucker en a déjà sa claque.
Béatrice Schoenberg, sur grand écran, termine son
journal et fait office de mise en bouche. Pendant ce
temps là, le réalisateur Jérôme Revon et son équipe
s’attèlent aux derniers préparatifs.

A 20h57, très précisément, les 18è Victoires de la Musique sont
déclarées ouvertes. Trois heures trente de direct,
sans coupures publicitaires, attendent le tandem
Jean-Luc Delarue et Michel Drucker. Ma première pensée
va à Daniela Lumbroso, présente l’an passé aux côtés
de ces deux mastodontes. Son charme ne pimentera pas
le spectacle et viendra sans doute à manquer.

Renaud et Axelle Red ouvrent le bal. « Manhattan/Kaboul », forte en actualité. Docteur Renaud
Mister Renard sera le gâté de la soirée, avec trois
« Victoires » à son actif pour fêter son retour à la vie
et à la chanson (artiste masculin de l’année, chanson
originale de l’année, album de chansons variétés de
l’année). Durant toute la soirée, les téléspectateurs
sont appelés à élire par téléphone "le groupe ou
l’artiste révélation de l’année", seul trophée décerné
par le public. Natasha Saint-Pier raflera la victoire,
distançant de plusieurs milliers d’appels ses rivaux
Jenifer, Carla Bruni, Benabar, Calogero et Vincent
Delerm. Ces cinq artistes, aux univers florissants,
seront néanmoins honorés comme il se doit au fil de
l’émission, et Delerm aura même droit à une Victoire
pour l’album de l’année.

Une québecquoise en appelle
une autre, Linda Lemay, sacrée meilleure interprète
féminine. Ses paroles, paroles trempées dans l’humour
et la mélancolie, font vibrer l’assistance, qui en
redemande chaque année. Lara Fabian et Maurane, unies,
larmes et sang mêlés, se plongent ensuite dans leur
cosmique duo. Alors, « Tu es mon autre »... Mais Carla
Bruni pointe bientôt son joli minois, et sa chanson
« Quelqu’un m’a dit », qu’on dirait taillé dans du
velours, fait sensation. Cette prometteuse madone
mutine devra attendre l’an prochain pour se frotter à
l’objet de toutes les convoitises.

Comme s’il en était
assez des chansonnettes sentimentales, tout
s’obscurcit soudain, quand Bashung, gigantesque, vient
nous dire « L’imprudence », et calmer les élans de
midinette légérement condamnables en ces temps de
guerre... Bashung, Mitsouko, Arno (qui recommencera
depuis le début sa délicieuse, douloureuse complainte
pour Lola, au grand dam de Drucker) s’éclipseront
pourtant, en laissant la part belle à Indochine, dont
l’album « Paradize » sera élu "Album pop rock de
l’année« . Juste avant, le napolitain Sanseverino, »Timbre de Voix 2001" a imposé sa gouaille manouche et
son irrévérence en recevant le sacre de l’artiste
révélation scène.

Par la suite, Doc Gynéco célèbrera
sa Victoire « Hip Hop » en créole, escorté par choristes
et danseuses. Jubilatoire. Ibidem pour la francité
métisse. Plus qu’un salad bowl, un merveilleux
ex-aequo entre Tiken Jah Fakoly et I Muvrini, ou le
grand soir de la Corse et de l’Afrique, au Zénith de
Paris ! Pour ce qui est de l’album de musiques
électroniques, Gotan Project volera la vedette à David
Guetta , Rinôcerose et Bumcello, avec son "Revancha
del tango", endiablé aux alentours de minuit. Même
Axelle Red, qui a révélé aux hommes son exquis "J’me
fâche", derrière son piano rose, tremble alors à
l’idée que Delarue offrira dans un instant la Victoire
du Spectacle musical de l’année ! Christophe, autre
revenant déconcertant et déconcerté par ses années
d’errance, aura droit à cet hommage légitime. Ne reste
alors qu’à honorer le vidéo-clip de Goldman, "Tournent
les violons", en cette fin de soirée délectable, où
même Renaud est heureux. Générique.

Jean-Luc Delarue
s’essuie le front, Michel Drucker s’étire. Ness, qui
recevait les nominés triomphants dans les coulisses,
pour leur poser la question « Ca fait quoi ? », rejoint
le plateau, tout sourire. Je pense alors à Eddy
Mitchell et à sa dernière séance car j’ai une envie
de bailler. Vraiment, ce gala annuel de la chanson m’a
décapé au papier de verre. Moi, je dis cathartique et
bienfaisant, cette mise au point du show bizz,
orchestrée par Universal ! Et puis, Serge Reggiani à
quatre vingts ans, chanter avec lui même, à quarante
et des poussières, sous la houlette d’une technique
atemporelle, n’est-ce pas là un cadeau des Dieux
offert sur un plateau de télévision ? Pour les gens
qui, comme moi, croient au Père Noël et attendent le
retour de Dalida sur scène, ça fait quelque chose.

Laissons le mot de la fin à l’Intermittent du
spectacle, ou plus précisément au digne représentant
de tous les intermittents aujourd’hui dans la mouise.
Deux minutes d’antenne pour dénoncer l’hypocrisie des
pouvoirs publics dans une période marquée par des
réductions successives du budget de la culture... "Ce
n’est pas bien de rire si quelqu’un crie à côté de
nous", a écrit Marcel Proust. Et de chanter, ça passe
encore ?