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Frédéric Elhorga (Les routes de l’impossible, Brahmapoutre) : « Au Bangladesh, les habitants sont très curieux des Européens »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 05/01/2020 à 18:18

Frédéric Elhorga et Guillaume Lhotellier ont réalisé un nouveau chapitre des Routes de l’impossible à découvrir à 20h50 ce dimanche 5 janvier sur France 5. Rencontre.

Joshua Daguenet : Vous repartez en Inde après l’Himalaya et la haute montagne, pour la traversée du fleuve Brahmapoutre. Pourquoi ce retour ?

Frédéric Elhorga : J’ai eu cette idée d’explorer cette région il y a quelques années quand Roland Michaud, un photographe connu, a travaillé sur la mousson. Il m’a donné envie de faire un film sur le sujet. Après quelques recherches, je me suis dit qu’on pouvait raconter une route impossible un peu différente à cheval entre deux pays. Descendre le fleuve nous permettait d’alterner des sujets sur route et d’autres le long des berges, en bateau. Le fleuve seul est une itinérance puisqu’il traverse la Chine, l’Inde et le Bangladesh. Il raconte plusieurs choses sur les enjeux d’aujourd’hui, son apprivoisement par les Indiens et les Chinois qui ont un besoin en électricité.

Cette aventure se déroule en Inde et au Bangladesh. Quels changements vous ont sauté aux yeux d’une destination à l’autre ?

L’Inde a une certaine organisation tandis que le Bangladesh est la débrouille à l’état pur. On sent le poids de la surpopulation, livrée à elle-même, qui doit se battre par ses propres moyens. Il y a une folie humaine, ils sont très gentils et très curieux des Européens, car ils en voient très peu. Il n’y a pas de filtre et font comme si nous n’étions pas là.

Globalement, qu’avez-vous appris de plus de l’Inde par rapport à votre précédent voyage ?

On a changé de géographie, de peuple, d’ethnie. Tout en restant à la montagne, nous avons quitté les terres du bouddhisme pour des terres mêlant le catholicisme et les croyances animistes. Les défis sont différents, mais ils se rejoignent autour de l’eau. La modernisation en Inde est en marche et il règne de fortes tensions avec la Chine.

« La modernisation en Inde est en marche et il règne de fortes tensions avec la Chine »

L’Inde va devenir le pays le plus peuplé du monde, devant la Chine. Comment anticipe-t-il cette éventualité ?

Typiquement dans le sujet, on parle d’un petit village qui risque d’être enseveli par les eaux du barrage. Les autorités prévoient de construire une centaine de barrages pour un seul État. Ce qui est énorme. Aussi, les routes se construisent. L’Inde comporte 1 milliard 300 millions d’habitants, il y a naturellement un besoin en électricité afin d’alimenter la croissance. La Chine comme l’Inde sont victimes du changement climatique avec la fonte des glaciers et les périodes de sécheresse...

Au début de cet épisode, vous suivez une route très vertigineuse, au bord du précipice et menacée par des blocs de rochers. Avez-vous appréhendé ce voyage ?

On part toujours dans l’inconnu, en traçant une ligne sur la carte. On a souvent des surprises, et on pensait tomber sur une période de pluie et de boue mais la mousson nous a devancés. Les eaux se sont infiltrées dans la roche, et au moindre coup de vent, d’énormes rochers dégringolaient. Au bout de deux, trois heures, il ne se passait pas grand-chose et le chauffeur a prévenu que les rochers pouvaient tomber. On n’y a pas trop cru jusqu’à ce que des camions soient bloqués et que des gens se mettent à courir. Là, on a eu un peu peur. J’ai hésité à sortir de la voiture pour faire des images, mais mon expérience en Himalaya m’a retenu. Je n’avais pas de casque et mon chauffeur m’a interdit de sortir. Quelques minutes après, ça dégringolait de partout.

Un chapitre est consacré au sacrifice annuel de vaches devant traverser des tourbillons dans des barques en bois. N’est-ce pas là une tradition tribale ?

Tribale non, on la prend comme elle l’est. Le Bangladesh dispose de bonnes routes, mais il y a tellement de monde qu’elles en deviennent dangereuses, car les gens conduisent très vite. Les trajets peuvent durer des heures. Le fleuve est le moyen le plus sûr et le plus rapide. Un seul pont traverse le Brahmapoutre. C’est une coutume là-bas de sacrifier des millions de vaches comme dans plein d’autres pays musulmans. Dans nos régions entre deux guerres, il y avait des charrettes et des barques, le Bangladesh est resté dans ces années-là. Mais ce sont des vieux loups de mer, ils savent ce qu’ils font.

« Avec la chaleur et l’humidité, ce n’était pas facile à tourner »

Avez-vous pris des précautions en forêt quand vous avez été confronté à de nombreuses sangsues ?

Non, moi j’étais avec les locaux, j’ignorais qu’il y avait des sangsues à ce moment-là. J’étais en short avec des chaussures basses. Elles ne sont pas très dangereuses, mais désagréables. Ces petites morsures sont enquiquinantes, car le sang pisse tout de suite sur les mollets. Avec la chaleur et l’humidité, ce n’était pas facile à tourner.

Diriez-vous comme l’un des habitants rencontrés que l’État a abandonné la région, dénuée de routes praticables ?

Elle a été l’une des régions les plus isolées d’Inde, mais les choses sont en train d’être changées. Nous sommes au XXIe siècle, la Chine n’est pas loin et revendique ce territoire, donc il faut une présence militaire et domestiquer le fleuve.

Comment remédier à l’assèchement du fleuve, grosse source de préoccupation ?

Cela dépend des accords entre pays, des enjeux futurs, de la construction de barrages chinois et indiens pour ne pas réduire le débit. On ne résoudra pas totalement le problème de la sécheresse. Les glaciers fondent régulièrement, les crues du fleuve sont imprévisibles, donc les paysans ont du mal à gérer leurs récoltes. Ils reçoivent de l’eau à des périodes différentes tandis que la plupart des populations vivent de ces récoltes.

Avez-vous déjà déterminé vos prochains voyages ?

Je prépare avec Guillaume Lhotellier un voyage en Mauritanie. Nous allons suivre le train le plus long et, je crois, le plus lent du monde qui achemine les minerais de fer du cœur de la Mauritanie jusqu’aux côtes de l’Océan Atlantique. La route de l’impossible le long du fleuve Brahmapoutre ouvre de nouvelles perspectives pour de prochains numéros.