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Morad Aït-Habbouche (Sale temps pour la planète) : « C’est une fierté de voir que l’on touche de plus en plus de gens »

Paul Gratian
Publié le 22/08/2017 à 19:04

Depuis 2007, la collection de documentaires Sale temps pour la planète sillonne le monde et la France pour éveiller les consciences à propos des changements climatiques. Retour sur ce programme qui connaît un grand succès sur France 5 avec son créateur et réalisateur Morad Aït-Habbouche.

Paul Gratian : Alors que Sale temps pour la planète est déjà à sa onzième saison, comment expliquez-vous la longévité de l’émission ?
Morad Aït-Habbouche :
Le changement climatique est l’un des thèmes qui passionne le plus même s’il a mis du temps à émerger au départ, car les gens étaient plutôt sceptiques. Quand on a commencé, c’était un peu un sujet universitaire et le public avait du mal à imaginer ce que ça révélait. Maintenant, un sondage fait par un journal américain sur les principales craintes des gens dans le monde montre que c’est devenu la première préoccupation avant le terrorisme. C’est un sujet universel.

Est-il difficile de parler d’écologie à la télévision ?
Oui, car à part France 5, aucune chaîne n’a de collection documentaire comme celle-ci qui travaille sur le long terme. Au moment de la COP 21, on avait vu quelques sujets ici ou là, mais je ne pense pas que quelques émissions puissent sensibiliser les gens à ces questions. Quand Donald Trump arrive en assénant que le changement climatique est une invention des Chinois, il faut travailler encore et encore. L’écologie est une question qu’on a du mal à imaginer, car on doit se projeter sur cinquante ans même si, hélas, le processus est en train de s’accélérer.

« Il devrait y avoir plus d’émissions sur l’écologie à la télévision ! »

Regrettez-vous cette absence d’émissions à ce sujet à la télévision ?
Malheureusement, je ne suis pas programmateur. Il devrait y en avoir plus. Je suis content que France 5 ait décidé, il y a maintenant onze ans, d’investir sur ce vrai sujet d’actualité. Je trouve dommage qu’il n’y ait plus une seule page consacrée à l’écologie et à l’environnement dans la presse écrite. C’est regrettable d’autant plus que ça fait de l’audience puisque le record de Sale temps pour la planète a été battu le 15 août dernier.

L’émission consacrée à l’île de Ré et à Noirmoutier a, en effet, réalisé son meilleur score historique avec 4.8% de part de marché. Est-ce une fierté pour vous ?
Oui, on ne va pas se le cacher. De toute façon, la reconnaissance passe par le téléspectateur. Les sujets sont assez ambitieux puisqu’il n’est jamais facile de parler de changement climatique en prime time à la télévision. En même temps, c’est aussi une fierté de voir que l’on touche de plus en plus de gens. Le programme se vend dans 60 pays dans le monde ce qui prouve que ce n’est pas un sujet franco-français. La question aujourd’hui n’est plus de savoir si l’homme a influencé le changement climatique, mais comment fait-on pour essayer de s’adapter à ce processus aujourd’hui. Savoir qui est le vrai coupable n’est pas la vraie question. Je ne blâme pas les gens qui vivent les pieds dans l’eau depuis les années 1980, car on ne savait pas à l’époque que l’eau montait. Le numéro de la Réunion a permis de montrer qu’une île pouvait être pionnière et réussir là où des grands pays avec plus d’argent ne réussissent pas.

À l’instar de ce numéro, vos émissions s’attardent toujours à ne pas uniquement dénoncer les problèmes, mais plutôt à montrer des solutions…
L’agence de production que j’ai créée s’appelle ‘Elle est pas belle la vie’ car il y a partout dans le monde des gens qui redonnent espoir. Je me souviens d’un pêcheur qui, pour éviter que l’eau monte chez lui, construisait sans arrêt un barrage avec des bambous sans l’aide des autorités et avec peu de moyens. À la Réunion, je suis allé au centre de détention de Bardzour où une entreprise a décidé de faire de la réinsertion et de la permaculture avec des énergies propres. On essaye de mettre des projecteurs sur des gens qui font quelque chose. Ce sont des personnes qui sont très inspirantes et je trouve cela formidable. C’est aussi pour cela que j’aime cette collection documentaire. Aux Fidji, j’ai rencontré des habitants qui avaient connu un cyclone de catégorie 5, mais qui gardaient le sourire et qui avaient envie de montrer qu’ils étaient les plus heureux du monde malgré leur vulnérabilité. C’est une véritable leçon humaine.

Après avoir parcouru de nombreux pays du monde, diriez-vous que le problème du changement climatique est le même partout ?
En fait, le climat est une question universelle, mais elle se pose différemment d’un État à l’autre. Face à des problématiques semblables, on a des façons différentes d’aborder la situation. En France, on s’interroge si on prend un parapluie ou de la crème solaire, mais dans d’autres régions, on a des questions de survie quotidienne : y aura-t-il assez de pluie pour pouvoir faire une bonne récolte, va-t-on pouvoir envoyer nos enfants à l’école sans risque de cyclone… Je trouve que le climat est le meilleur vecteur pour raconter la société et le monde. On se rend compte que le changement climatique est très discriminatoire et injuste, car les pays les plus pauvres sont ceux qui souffrent le plus. Si les maisons de l’île de Ré ou de Miami sont inondées, 60% des habitants pourront se loger ailleurs. En revanche, les Haïtiens et les Cubains n’ont pas d’autres endroits où aller. Mais à chaque fois, on est surpris de la façon dont les gens s’adaptent et réagissent. Ce ne sont pas les pays les plus riches qui sont les plus intelligents sur cette question.

« Il existe de nombreux cas très intéressant en France, mais cela ne fera jamais l’objet de l’intégralité des émissions d’une saison »

Comment choisissez-vous les destinations étrangères mises en valeur ?
Il y a plusieurs éléments qui entrent en ligne de compte. On choisit des destinations à l’étranger, car j’aime bien aller voir la façon dont d’autres appréhendent cela. Cela nous donne l’opportunité d’aller dans des endroits où personne n’ira jamais. Je ne suis pas sûr que beaucoup d’émissions aient été consacrées aux Kiribati par exemple [un État en Océanie]. De la même façon, on essaye de raconter des pays où les Français vont en vacances. Juste avant Koh-Lanta, nous sommes allés aux Fidji. Je ne suis pas sûr que les téléspectateurs verront cette île telle qu’elle est montrée dans notre collection. Je rêverais d’ailleurs que TF1 montre aussi la réalité d’un pays qui n’est pas qu’un paradis sur terre. En même temps, on est aussi allé aux États-Unis, la plus grande puissance du monde, pour montrer que l’ensemble de la planète est victime du dérèglement climatique.

Y-a-t-il des destinations où il est difficile, voire impossible, de tourner ?
Cela fait deux ans qu‘on essayait de tourner à Cuba, car c’est un modèle et un exemple à suivre. Cette année, on a pu réussir, mais on a mis du temps puisqu’on a obtenu les visas très tard. Le mardi 29 août, on verra que les autorités cubaines détruisent des hôtels dont ils sont les propriétaires, car ils sont mal construits. C’était un lieu où je voulais aller depuis longtemps et ça a été très compliqué. Cette année, on a voulu aller en Algérie, et, faute de visa, on n’a pas pu tourner, car cela reste un sujet sensible. L’Algérie sait pertinemment qu’elle n’est pas du tout à la hauteur alors que ce sujet est primordial.

Depuis quelques années, il y a aussi des numéros consacrés à la France. Pourquoi ?

Oui, la France occupe toujours au moins une destination par saison. L’idée de revenir à la France est aussi de dire que c’est une question assez transversale qui concerne tout le monde et qui n’arrive pas qu’aux autres. On ne se rend plus compte aujourd’hui qu’habiter les pieds dans l’eau est une question contemporaine. Avant les congés de 1936, les Français n’habitaient pas en bord de mer. Maintenant qu’on sait que l’eau monte, ils doivent peut-être réfléchir à deux fois avant d’acheter une maison au bord de l’eau. Les autorités devraient également être plus dures. Elles commencent à l’être avec les Plans de Préventions des Risques mais elles n’ont pas toujours les moyens de dépêcher des agents pour aller voir la réalité.

Il y a de plus en plus de numéros sur l’Hexagone et on arrive presque à 50/50 aujourd’hui...
Je dirais plutôt un ou deux numéros en France et trois ou quatre à l’étranger par saison. L’idée est aussi de concerner les gens en ne faisant pas que de l’exotique. On ne va pas se mentir, on voit aussi les bonnes audiences des numéros parlant de la France. Les thématiques françaises passionnent les téléspectateurs et les audiences sont meilleures même si on peut être assez surpris de résultats lors de destinations très lointaines. Il existe de nombreux cas très intéressants en France, mais cela ne fera jamais l’objet de l’intégralité des émissions d’une saison.

« Un film demande entre trois et quatre mois d’enquêtes qui viennent s‘ajouter à un mois de tournage et deux mois de montage »

Comment se déroule la préparation d’une émission ?
Il y a une grosse équipe qui pré-enquête. Il y a d’abord au moins deux personnes qui travaillent sur une destination. Ensuite, on fait la proposition à France 5 et à Anne Gouraud et Hervé Guérin, conseillers des documentaires pour la chaîne. Puis, grâce à nos réseaux d’experts, on trouve les meilleurs interlocuteurs pour chaque pays. Il y a énormément de travail de documentation sur chaque endroit. Pour un film, cela demande entre trois et quatre mois d’enquêtes qui viennent s‘ajouter à un mois de tournage et deux mois de montage. C’est un travail assez long.

Une fois sur le terrain, comment se déroule un tournage ?
Le dispositif est assez souple et dépend des endroits. L’idée est de trouver la meilleure équipe. Je prends toujours un fixeur qui connaît le terrain quelque soit l’endroit. Comme on arrive pour une trentaine de jours seulement, on n’a pas forcément le temps de s’imprégner. Quand je suis sur le terrain, je travaille du lever au coucher du soleil sans interruption et sans un jour de congé, car cela permet de mieux s’imprégner. L’idée est d’être toujours au plus près des populations. Aux îles Fidji par exemple, je dormais chez l’habitant. On passe toujours du temps avec l’interlocuteur principal qui nous a aidés à préparer le film.

Comment réussissez-vous à obtenir de si belles images ?
Il y a de plus en plus de matériel. Je tourne moi-même, car j’adore l’image. Quand j’étais reporter de guerre, je pouvais partir avec ma caméra et mon micro, mais maintenant, je dois avoir une grosse caméra, un téléobjectif, trois go-pro, une petite caméra… J’ai aussi souvent un pilote de drone avec moi, le plus souvent quelqu’un qui habite sur place, car il connaît les beaux lieux et les procédures à mettre en place. On peut avoir l’impression qu’il est facile de tourner en drone, mais au Laos, par exemple, les habitants ont cru que nous étions des espions. À Cuba, il est interdit d’apporter un drone.

Est-ce difficile de trouver des personnes qui acceptent de témoigner sur des sujets parfois complexes ?
Dans un film, on va toujours rencontrer les premières populations. On est devant des gens qui ne communiquent pas et qui racontent leur vie. J’aime bien être seul, car cela permet d’avoir un contact plus direct et d’éviter une forme de distance due à la présence d’une grosse équipe. Ensuite, on essaie de voir comment les autorités appréhendent les risques climatiques. Les maires ou les élus n’acceptent pas facilement en fonction des sujets. Sur l’île de Ré et de Noirmoutier, on a eu de grandes difficultés avant d’interviewer des préfets ou des membres du ministère de l’Environnement par exemple. C’est parfois un long processus pour obtenir des interviews. J’aurais rêvé d’avoir Obama, mais on a eu les présidents d’Indonésie ou du Costa Rica. Enfin, on va voir les experts pour voir quelles sont les projections et pour donner un peu de densité à la notion de changement climatique.

« France 5 a signé une douzième saison pour continuer à sillonner la planète. J’aimerais parler du Canada, de la Colombie, du Cambodge, du Laos, de la Nouvelle-Zélande… »

Le prochain numéro, diffusé ce 22 août, sera consacré à l’Indonésie. Pourquoi avoir choisi ce pays ?
Plus de 250 millions d’habitants, dixième puissance mondiale, mais cinquième en 2030 devant la France, un pays qui se développe à vitesse grand V, des îles qui ont toutes des problèmes différents, et les Français ne connaissent que Bali. Mais ce n’est qu’une petite île d’Indonésie. Il y a de nombreuses problématiques : les incendies gigantesques, le tsunami de 2004, l’érosion, la surpopulation... L’Indonésie fait partie de ces pays émergents qui essaient de lutter et d’avoir des initiatives. C’est un État dont il fallait parler et pour lequel on pourrait faire dix numéros. Le film sera d’ailleurs diffusé à la télévision locale.

Quelles sont les prochaines destinations attendues ?
France 5 a signé une douzième saison pour continuer à sillonner la planète. J’aimerais parler du Canada, de la Colombie, du Cambodge, du Laos, de la Nouvelle-Zélande… Depuis la COP 21, il est intéressant de voir comment ces pays mettent en place ou pas la promesse qu’ils ont faite. Il n’y a pas un endroit en France ou à l’étranger où je n’aimerais pas aller à partir du moment où, à travers les catastrophes naturelles, on touche à de nombreuses dimensions (religieuses, économiques, politiques…).