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Olivier Truchot (Les Grandes Gueules) : « Les débats sont compliqués car nous sommes dans une société d’indignation et de victimisation »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 02/10/2018 à 19:39 Mis à jour le 10/08/2019 à 11:23

À l’occasion de la sortie des « Secrets des Grandes Gueules », actuellement en librairie, Toutelatele s’est entretenu avec Olivier Truchot, l’un des co-animateurs de l’émission diffusée sur RMC et RMC Story. L’évolution des débats dans la société, son rapport avec ses chroniqueurs et Alain Marschall, mais aussi la nostalgie de la radio sont développés durant l’entretien...

Joshua Daguenet : L’émission fêtera ses 15 ans d’antenne en août 2019. Pourquoi ne pas avoir attendu un an de plus pour sortir « Les secrets des Grandes Gueules » ?

Olivier Truchot : (rires) Nous nous sommes dit que nous entrions dans la 15e saison des Grandes Gueules et en plus, nous allons déménager et avoir de nouveaux locaux. La proposition de ce livre est arrivée à ce moment-là et l’éditeur nous démarchait depuis pas mal de temps pour le réaliser mais nous n’avons pas beaucoup de temps avec nos plannings. Michel Taubmann, des éditions Archipel, a soumis l’idée de réaliser, ensemble, une enquête sur les Grandes Gueules et l’idée nous a convaincus.

Si ce livre se destine aux auditeurs, la moitié est consacrée aux chroniqueurs. Est-ce une façon de les remercier ?

Sans eux, il n y aurait pas d’émission. Nous voulions expliquer pourquoi nous avions choisi ces Grandes Gueules et cela permet aux auditeurs de découvrir leur parcours de vie. Quand elles arrivent dans l’émission, nous les présentons mais nous ne détaillons pas tout le vécu. Ce livre était l’occasion de faire un portrait un peu plus long.

L’histoire des principales Grandes Gueules est relatée à travers un chapitre individuel. Considérez-vous que leur vécu et ce qu’ils sont importent davantage par rapport à ce qu’ils font ?

Les deux. Nous nous intéressons à leur parcours. Elles sont des Français intéressés et impliqués dans la vie de tous les jours.

Tous les intervenants n’ont pas de chapitre consacré. Certains ont-ils refusé « d’apparaître » dans le livre ?

Il a fallu faire un choix pour ne pas faire un livre de plus de 500 pages. Nous avons privilégié ceux qui sont-là actuellement donc certaines Grandes Gueules qui ont marqué l’émission sont absentes. Nous avons aussi des figures historiques à qui on a souhaité rendre hommage : Karim Zéribi, Sophie de Menthon, Jacques Maillot, Bernard Debré, André Daguin… Claire O’Petit n’a pas de portrait mais on en parle un petit peu car elle est une Grande Gueule marquante. Mais sinon, personne n’a refusé d’apparaître.

« Beaucoup de personnalités du pouvoir écoutent l’émission car elle est le pouls de l’opinion publique »

À propos toujours des intervenants, il est indiqué : « des gens qui ne se seraient pas entendus deviennent amis ». Est-ce que chaque recrutement est pensé de manière à créer de l’antagonisme lors des débats ?

Nous souhaitons des gens qui pensent différemment et être le reflet de la France. On veut aussi instaurer une bande, un esprit de famille. Les Grandes Gueules sont des gens pouvant être très opposés sur les débats, mais sans être fâchés pour revenir la semaine d’après afin de débattre avec les mêmes personnes.

Avez-vous suivi les débuts de Charles Consigny, l’un de vos anciens trublions, à On n’est pas couché ?

Oui, nous avons été invités à l’émission du samedi 22 septembre. Ce sont des débuts prometteurs même s’il est pour l’instant moins à l’aise que dans les Grandes Gueules car le format n’est pas le même, il y a plus de pression et nous avons beaucoup parlé de lui. Cet exercice est différent et il doit trouver sa place mais comme il a beaucoup de talent, cela va le faire. On lui souhaite bonne chance.

Un chapitre revient sur les inséparables « Truchal et Marchot ». Cette image de Dupont et Dupond a-t-elle été volontairement forgée par vos soins ?

Pas du tout ! On nous confond dans les noms, la façon de nous appeler… Nous n’avons pas tout à fait le même âge [Alain Marschall a cinq ans de plus que son compère, ndlr] mais nous sommes issus de la même génération et nous avons démarré ensemble. Après, c’est assez original d’avoir deux hommes à la présentation d’une émission, en général c’est en solo ou un couple homme / femme. Et nous travaillons ensemble depuis plus de 14 ans, ce qui est assez rare en la matière.

Vous révélez que Brigitte Macron est l’une des auditrices de l’émission lors de faits se déroulant en 2016. Savez-vous si la Première Dame est toujours à l’écoute de ce qui se dit sur la Présidence de son mari ?

C’est une bonne question. Il faudrait l’interroger mais nous avons su de plusieurs sources que Brigitte Macron écoutait l’émission en faisant son courrier. Claire O’Petit, qui la connaissait bien, nous l’avait dit, et Philippe Besson, un proche du couple Macron, nous avait confirmé l’information. En tout cas, beaucoup de personnalités du pouvoir écoutent l’émission car c’est le pouls de l’opinion publique.

Jean-Jacques Bourdin, fervent défenseur de la « liberté d’expression », vous a reprochés d’avoir invité Eric Zemmour, malgré ses excellentes ventes. Comprenez-vous sa position ?

Quand on défend la liberté d’expression, il faut donner la parole à tout le monde et ne pas la restreindre. Non, je n’ai pas compris sa position et je ne vois pas ses critères. Nous avons calé Eric Zemmour bien avant la polémique sur C8 car c’est un phénomène d’édition, il a vendu 500 000 exemplaires de son précédent livre, [Le suicide français, ndlr] il parle à des gens. Et Zemmour pose des débats, que l’on soit d’accord ou pas. Sincèrement, je n’ai pas compris ceux qui ont appelé à le décommander…

Ce que Laurent Ruquier a décidé pour On n’est pas couché

Je ne comprends pas… De quoi a-t-on peur dans ce pays ? A-t-on peur d’Eric Zemmour, de débattre avec lui ? C’est aberrant. Pour le coup, je suis à l’anglo-saxonne et la liberté d’expression encadrée par les lois. Si ses propos sont condamnables, ils sont condamnés. Dans Les Grandes Gueules, on reçoit Olivier Besancenot, Eric Zemmour, tout le monde… Quand il est venu, nous n’avons fait aucune concession. Nous avions lu le bouquin et les débats ont été animés, contradictoires. Il ne s’agit pas de dérouler le tapis rouge aux invités. On peut ne pas vouloir recevoir quelqu’un mais faire la leçon aux autres… Quand nous sommes journalistes, c’est notre métier d’aller au devant de ceux qui font le débat en France…

Eric Zemmour est l’un des grands favoris pour s’adjuger un deuxième titre de « Grande Gueule de l’année »…

Ce sont les auditeurs qui choisissent à partir d’une liste… Zemmour sera peut-être désigné « Grande Gueule » grâce à Bourdin (rires). Mais il y a d’autres prétendants et il ne peut pas l’être à chaque fois qu’il sort un bouquin.

« Je n’ai pas compris la position de Jean-Jacques Bourdin par rapport à Zemmour. Quand on défend la liberté d’expression, il faut donner la parole à tout le monde et ne pas la restreindre »

Depuis 2004, les réseaux sociaux ont pris un essor monumental. Ont-ils délaissé la réflexion au profit de l’émotion ?

Les réseaux sociaux n’étaient pas présents quand nous avons commencé l’émission. Maintenant, ils peuvent nous échapper avec des propos violents, orduriers, sexistes et nos Grandes Gueules doivent s’en protéger. Je trouve que les débats sont compliqués car nous sommes dans une société d’indignation et les réseaux sociaux accentuent ce phénomène. Aussi, tout le monde se plaint, les associations se plaignent, le CSA en reçoit énormément… Le débat est un échange et on peut le dire plutôt que des plaintes qui n’aboutissent jamais. Menacer de porter plainte est une façon de faire pression et c’est nouveau aujourd’hui par rapport à l’époque des anciens débats. La victimisation est de mode : il y a toujours quelqu’un pour se sentir touché par des propos ne le concernant pas directement. Dans l’affaire Hapsatou Sy, je peux comprendre qu’elle se soit sentie blessée mais que d’autres aient réagi de la même manière est assez ridicule.

Ces réseaux sociaux n’ont-ils pas renforcé un phénomène de communautarisme où les internautes veulent s’intégrer dans des cases et voir noir ou blanc ?

Les réseaux sociaux sont simplement le reflet de la société et chacun se réfugie derrière une communauté, une chapelle, en étant persuadé d’avoir la vérité absolue. Dans ce cas, le vivre ensemble et le débat sont compliqués.

Alain Marschall a vécu au plus près les attentats de Nice, sa ville natale. Vous-même avez été marqué par les attaques à Paris, Toulouse… Quand on couvre ce genre d’événement, le citoyen surpasse-t-il le journaliste ?

C’est toujours difficile même s’il faut avoir du recul. Sans parler pour Alain, c’était sa ville de Nice et il était en mode vacances pour se retrouver sur le terrain. Le soir du 13 novembre, j’étais à BFM TV pour présenter l’édition spéciale et l’assaut au Bataclan, à côté de chez moi. Dans ce cas de figure, il faut se contenter de donner les informations et réagir après.

Vous précisez que vous avez eu envie d’être journaliste et, dans un second temps, faire de la radio. Aujourd’hui, les émissions étant toutes filmées, être journaliste à la radio a-t-il encore une signification ?

Cela n’a peut-être plus beaucoup de sens, en effet. Maintenant, toutes les émissions sont filmées et c’est le sens de l’histoire. Nous, nous allons plus loin puisque nous faisons une émission radio et télé sur un plateau de télévision. Quitte à filmer, autant bien le faire car les images dans les studios radio ne sont pas belles. Ce principe, signé Alain Weill, est novateur et il marche bien sur RMC Story. Jean-Jacques Bourdin le matin a du succès sur BFM TV et RMC en même temps. Après, nous pouvons être nostalgiques de la radio à l’ancienne avec le casque mais malheureusement c’est terminé. L’image est partout.

L’épilogue est un chapitre futuriste imaginant le Monde en 2044 et les GG fêtant leurs 40 ans. Il fait 47 degrés à Paris, Le Pen et Mélenchon résonnent d’une seule voix… Est-ce une fin optimiste, utopique où plutôt réaliste ?

C’est à vous et aux lecteurs de le dire (rires). C’est un petit clin d’œil et les choses ne se passent jamais comme on les a prévues. En 15 ans de Grandes Gueules, nous avons senti des choses sur l’actualité, grâce aux auditeurs, mais prévoir le long terme… il faut rester modeste !