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Sonia Rolland (Homosexualité : du rejet au Refuge) : « L’idée de faire du larmoyant me faisait très peur »

Tony Cotte
Publié le 28/03/2015 à 20:14 Mis à jour le 08/04/2015 à 15:19

Avec deux documentaires à son actif, Sonia Rolland entreprend une reconversion difficile, mais qui la passionne. Après le Rwanda, cette « boulimique de sujets sociétaux », selon ses propres dires, s’intéresse à l’homosexualité pour Téva. Avant de partir en tournage pour un court-métrage, elle assure la promotion de son dernier projet pour Toutelatele.

Tony Cotte : Votre premier documentaire, Rwanda : du chaos au miracle, a été proposé en 2014 sur France Ô et TV5 Monde. Que retenez-vous de cette expérience ?

Sonia Rolland : J’ai en partie autofinancé le projet, car je n’avais pas de diffuseur ni de subventions derrière. Le sujet traité est complexe et sans expérience en la matière, on ne m’a pas fait confiance tout de suite. Je ne voulais pas attendre trois ans pour obtenir des aides et je tenais à ce que le résultat soit proposé avant la fin 2014, anniversaire du génocide. J’ai voulu exposer les étapes de la reconstruction du pays depuis 20 ans, mais c’était trop « feel good » pour les chaînes. Ma détermination a payé : je remercie finalement la région Ile de France d’avoir soutenu ce projet ainsi que France Ô et TV5 Monde qui sont entrés, certes sur le tard, dans la boucle.

Pour Homosexualité : du rejet au Refuge, comme pour Rwanda : du chaos au miracle, vous avez travaillé dans l’urgence. Est-ce un défi ou une contrainte ?

Ce n’est pas évident de faire un documentaire dans de tels délais. On a vraiment eu peu de temps pour préparer Homosexualité : du rejet au Refuge, même si tout était prêt une fois que je suis arrivée sur ce projet. Pascal Petit [via Phare Ouest productions, NDLR.] avait fait tout le travail d’écriture en amont. Il ne restait plus qu’à tourner. J’étais en plein montage de mon premier documentaire et je rencontrais en parallèle des difficultés personnelles ; mon père est mort en janvier 2014 et ma mère a eu un AVC au cours de l’été. C’était presque un mal pour un bien : j’aurais pu basculer dans une tragédie personnelle, mais j’ai trouvé des points d’accroche. 2014 a été une année horrible et j’ai pu m’en sortir grâce au travail.

« 2014 a été une année horrible et j’ai pu m’en sortir grâce au travail »

Quelles ont été vos motivations pour vous lancer dans cette aventure ?

La révolte, notamment après les manifestations contre le mariage pour tous. C’est hallucinant cette masse de gens incapables de se réunir pour de vraies causes, comme la pauvreté ou d’autres problèmes sociaux, mais qui le font pour ça. Ils ne se posent même pas la question des répercussions sur les gamins qu’ils amènent, dont certains sont peut-être homosexuels. Quand j’ai pu relayer des informations sur Le Refuge sur Twitter, j’ai également fait face à une vague de haine. Certains parlaient des jeunes LGBT comme des « débiles mentaux ». C’est une discrimination très particulière. Quand j’ai été victime de racisme, j’ai pu trouver du réconfort dans les bras de mes parents. Eux n’ont pas toujours cette « chance »...

Être soi-même mère de famille a-t-il influencé votre choix ?

Ça a forcément une incidence. Que des parents ne comprennent pas l’homosexualité, on peut nous-mêmes le comprendre, mais rejeter son enfant pour cette raison-là... Marc-Olivier Fogiel l’explique d’ailleurs dans le film : c’est une question de projection. Moi, en tant que maman, je n’en ai pas encore vis-à-vis de mes enfants. Je les vois toujours comme des bébés. Après cette expérience, je me suis vraiment questionnée là-dessus : si l’une de mes filles est lesbienne, ça ne sera pas un problème. J’habite dans le troisième arrondissement parisien, non loin du quartier gay. Un jour, un couple d’hommes s’est embrassé dans la rue. Ma petite de 6 ans s’est retournée vers moi et m’a dit « Ils se font des bisous, ils n’ont pas le droit ». Et c’est justement à ce moment qu’il faut agir ! Si on ne donne pas de réponse, ça reste une incompréhension et les enfants se disent que ce n’est pas bien.

Vous recensez de nombreuses confidences de jeunes en situation d’exclusion. Cet exercice a-t-il été difficile ?

L’idée de faire du larmoyant me faisait très peur ; je déteste ça. Tout le monde était ému dans ce film. En exprimant un sentiment profond, souvent ça déborde. Il fallait donc être prudent, car le dosage est très compliqué. J’ai essayé de mettre de l’humour pour désamorcer un peu. On en sort forcément très ému...

Lors de vos entretiens, la prostitution et l’addiction sont évoquées. Comment traite-t-on de ces sujets avec des jeunes qui ne sont pas encore autonomes ?

Il fallait en parler, car c’est une réalité. C’est le genre de sujets qui peut sortir du fantasme ; les gens y croient sans y croire. Dans le film, heureusement que le jeune Sofiane en parle de lui-même, car j’aurais dû l’évoquer. Passer par ces étapes c’est aussi le lot de certains jeunes en situation de rejet pour se payer un toit sur la tête. Mais ça vaut pour d’autres sujets, des étudiants se prostituent également pour payer leurs études. Pour nous, c’était une manière de dire : « Ne mettez pas un voile. Ayez un minimum de compréhension et de soutien. »

« L’exercice du documentaire est très compliqué, il faut être bien accompagné »

Christiane Taubira fait partie des personnalités qui ont accepté de témoigner face caméra. Avoir une ministre en fonction a-t-il été difficile ?

Elle est très engagée dans cette lutte, et dans beaucoup d’autres. À mon sens, son discours à l’assemblée a été l’un des plus mémorables de ces dernières années. Cette femme est tellement convaincue. Elle avait promis qu’elle témoignerait à l’écran et elle l’a fait. Ceux qui tiennent leurs promesses sont plutôt rares. Je suis admirative des gens qui ont une constance dans leurs parcours. Elle-même est victime de racisme. Quand on pense que ceux qui ont caricaturé son image n’ont eu qu’une toute petite peine. Je ne vois pas comment ça n’incite pas à continuer. Ces gens là, derrière leurs airs offusqués au tribunal, souriaient au fond d’eux. On leur permet d’insulter quelqu’un, une personne des hautes autorités qui plus est. Il n’y a vraiment pas de respect pour la fonction.

Quel enseignement tirez-vous de ces deux premières expériences en matière de documentaire ?

Quand je demandais à des amis reporters de faire un sujet sur le Rwanda d’aujourd’hui, ils me disaient de le faire moi, car j’avais la légitimité. J’avais pourtant des appréhensions, notamment celle de ne pas être prise au sérieux puisqu’on me ramène toujours à Miss France. On m’a mis en confiance. Je pense que l’exercice du documentaire est très compliqué et qu’il faut être bien accompagné. Et j’ai eu cette chance avec Pascal Petit.