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TF1 : 20 ans de programmes, 20 ans de « tendances »

Joseph Agostini
Publié le 16/04/2007 à 00:57 Mis à jour le 23/11/2007 à 13:05

16 avril 1987 : le numéro un du BTP, Francis Bouygues remet à Edouard Balladur, Ministre des finances, un chèque de trois milliards de francs. Trois milliards, c’est le prix pour acquérir 50% du capital de TF1. Le reste est vendu au public (40%) et au personnel (10%). TF1, première chaîne de télévision française, est ainsi privatisée sous le règne du Président socialiste, François Mitterrand. La France d’alors, c’est celle de la cohabitation (Jacques Chirac est Premier ministre depuis l’année précédente), du sida (la première campagne d’information est lancée au même moment) et de l’affaire du « détail » du Front National. Côté télé, la surenchère de Berlusconi, créateur de la 5, affole la télévision publique. Patrick Sabatier, Patrick Sébastien, Stéphane Collaro, Philippe Bouvard arrivent en fanfare sur la nouvelle chaîne, avec des émissions paillettes rappelant les grandes heures de la télévision italienne. Antenne 2, qui est encore alors la chaîne la plus regardée avec 40% de part de marché, pressent la fin d’une époque et ne s’y trompe pas. La question est de savoir à qui profitera la nouvelle donne.

Le vent tourne

TF1 privatisée pourra-t-elle lutter contre la 5 en strass, TV6 en musique et une télé publique, bien décidée à défendre ses terres ? Les gens du métier n’y croient pas. Même Michel Drucker refuse les ponts d’or de Francis Bouygues. Il continuera d’animer Champs Elysées sur Antenne 2, l’année suivante. En septembre, seules deux figures populaires font leur arrivée sur TF1 : Dorothée, l’idole des enfants, et Jean-Pierre Foucault, qui au bout de cinq ans d’Académie des 9, s’ennuie et a soif d’un nouveau défi. Ce sera Sacrée Soirée, tous les mercredis soirs, une émission de variétés en direct et en public qui connaîtra 365 numéros. La critique ricane : « ce n’est pas avec ces deux petites vedettes que TF1 pourra enflammer l’audience » entend-on dans les dîners parisiens. Très vite, pourtant, le vent tourne. La 5, faute de couverture et de véritable créativité, ne décolle pas. Les stars, à peine arrivées, font déjà demi tour ! TF1 les récupère au vol. Sabatier et Sébastien rejoignent Foucault en soirée, les jeux d’origine américaine tels Le juste prix et La roue de la fortune, atteignent des sommets d’audience, le journal de 20 heures, présenté par Patrick Poivre d’Arvor dès le 7 septembre 1987, fait pâlir la concurrence...

Etienne Mougeotte et Patrick Le Lay, à la tête de la Une, peuvent crier victoire tandis que Dorothée, avec trois émissions à l’antenne, est le transfert le plus réussi de la saison. En 1990, trois ans après sa privatisation, TF1 a écrasé Antenne 2, 41% contre 21%, avec des parts de marché flirtant avec les 50% dans certains créneaux stratégiques, attirant ainsi un maximum de publicitaires ! Même le poète de la chanson française, Charles Trénet, fredonne « Boom, quand notre cœur fait boom » en hommage à TF1, au moment où Michel Drucker rejoint la chaîne pour y animer Stars 90 le lundi soir.


Opération rajeunissement

A l’aube de la décennie 90, jeux et variétés continuent de plus belle, avec l’apparition de nouveaux animateurs très populaires comme Patrick Roy, Philippe Risoli, Bernard Montiel, mais également un nouveau genre de programmes, le reality show, lancé par Pascale Breugnot et d’abord incarné par Jacques Pradel, présentateur de Perdu de vue puis de Témoins Numéro un. Bientôt, la télé confession, critiquée de toutes parts, prendra d’ailleurs le pas sur les émissions « à paillettes », dont certaines sont à bout de souffle. Patrick Sabatier est sacrifié sur l’autel de l’audience et doit céder ses vendredis soirs à Laurent Cabrol, transfuge d’Antenne 2, en septembre 1992. Quelques mois avant cela, La 5, après une ultime tentative du groupe Hachette pour la « sauver », a cessé d’émettre. C’est alors que TF1, sentant son audience vieillir et se méfiant d’un service public de plus en plus moderne (France Télévisions regroupe désormais France 2 et France 3, sous la houlette d’Hervé Bourges) va entamer son opération « rajeunissement ».

Christophe Dechavanne, déjà star des deuxièmes parties de soirée, avec Ciel, mon mardi !, arrive au quotidien dans Coucou, c’est nous à 19 heures, la jeune Claire Chazal remplace Ladislas de Hoyos aux éditions du week end, Jean-Marc Morandini (Tout est possible) et Julien Courbet (Sans Aucun doute) se partagent les « night time » du jeudi et du vendredi...

Encore une fois, le pari est gagné. Télé réalités, talk shows et information sont les trois nouvelles mamelles de la Une. A celles-ci, il faut en rajouter une autre : la « fiction ». Des sitcoms d’AB Productions (Hélène et les garçons en tête) aux grandes sagas familiales (Une famille formidable, Les Cœurs brûlés...) en passant par les héros policiers récurrents (Navarro, Julie Lescaut...), TF1 rafle la mise.


La quête de sens

En 1995, TF1 a rajeuni son public et son leadership n’a pas été entamé. Pourtant, Etienne Mougeotte parle de « quête de sens » en annonçant par là l’arrêt pur et simple de certains programmes que la critique dit « racoleurs et orduriers » et qui n’ont plus le succès de leurs débuts. Le reality show a perdu de sa superbe... Jacques Pradel, Patrick Menay, Jean-Marc Morandini disparaissent doucement des grilles de programme. Les nouveaux « rois du pétrole » s’appellent Nagui et Arthur. Ils viennent tous deux de France 2, alors cible des médias avec l’affaire des « animateurs producteurs », que Jean-Pierre Elkabbach n’aurait pas hésité à rendre milliardaires, avec l’argent du contribuable.

Si dès septembre 1996, Arthur, aidé de son associé Stéphane Courbit, enchaîne les succès en première partie de soirée sur TF1, dont les célèbrissimes Enfants de la télé, Nagui doit se résoudre à l’inattendu : son public ne l’a pas suivi de la 2 à la Une. Il quitte le navire en 1998, moins de deux ans après son arrivée triomphale.

Cette fin de décennie signe le grand succès des fictions de toutes sortes, qui peu à peu viennent occuper les créneaux, auparavant réservés aux magazines, talk shows et variétés. Dans ce dernier domaine, Jean-Pierre Foucault fait vraiment figure de « rescapé » du premier tiercé de TF1, en 1987, dans lequel il figurait aux côtés de Patrick Sabatier et de Patrick Sébastien. En 1996, Sébastien, lui non plus, n’est pas en odeur de sainteté dans les couloirs de la chaîne... si bien qu’il décide de gagner les rives du service public. L’année suivante, c’est Dorothée qui est elle aussi éconduite, après dix ans de bons et loyaux services. Son Club passe la main à des « robinets » de dessins animés, sans animateur. TF1 doit faire peau neuve et, encore une fois, veiller à ne pas perdre sa sacro-sainte audience.


« Il n’y aura jamais de télé réalité sur TF1 »

A l’aube des années 2000, les jeux sont revenus en force sur la grille, notamment entre 18 et 20 heures, où depuis quatre ans, Vincent Lagaf’ rassemble des millions de téléspectateurs avec L’or à l’appel, puis le Bigdil. Foucault anime le très populaire Qui veut gagner des millions ?, Vincent Perrot joue à Mokshu Patamu tandis qu’en 2001, Laurence Boccolini est la « méchante » du Maillon Faible.

Aux variétés, les femmes arrivent progressivement à l’antenne, en maîtresse de cérémonie, ce qui n’était pas le cas en plein coeur des années 90. Daniela Lumbroso présente ainsi de nombreux prime time avant de passer le flambeau à Flavie Flament.

La société de production d’Arthur est alors absorbée par le géant hollandais Endemol, producteur de programmes de par le monde. Le même Arthur est ainsi nommé Président d’Endemol France, ce qui finalise son extraordinaire ascension en seulement quatre ans. Sur M6, Endemol lance en 2001, un certain Loft story, inspiré de Big Brother, aux Etats Unis. La télé réalité arrive en France ! Si Patrick Le Lay déclare alors dans une tribune du Monde qu’ « il n’y aura jamais de télé réalité sur TF1 », la suite des événements vient vite lui donner tort. En septembre 2001, naît la première télé réalité musicale, Star Academy, sous la houlette d’Endemol et d’Alexia Laroche Joubert. Présentée par Nikos Aliagas, l’émission en direct et en public, avec l’interactivité pour concept, dynamite le genre variétés, un peu poussiéreux ces dernières années. Plus de treize millions de téléspectateurs assistent à la victoire de Jenifer, la première gagnante de ce radio crochet. Six saisons se succèderont, chaque automne, et la septième est déjà dans les cartons de TF1 pour l’an prochain.

La télé réalité est une manne à audience inouïe. Les concepts vont s’enchaîner sur la Une, avec des scores irréguliers. Ainsi, Nice People, une version à peine revisitée du Loft, présentée par Arthur et Flavie Flament en 2003, n’atteindra pas des sommets. Il en va autrement pour L’île de la tentation, Greg le millionnaire, Marjolaine, La ferme célébrités, Mon incroyable fiancé, Première compagnie... Avec des people ou des illustres inconnus, ces émissions défrayent la chronique tout au long de leur diffusion. Même si, parfois, l’audience globale n’est pas des plus fortes, Endemol, qui produit l’ensemble, sait comment faire pour séduire la ménagère et les moins de 35 ans, cible adorée des publicitaires. Pourtant, attention à l’overdose ! En 2005, la deuxième saison de La Ferme célébrités laisse présager une lassitude du public, confirmée par l’audience en demi-teinte de Je suis une célébrité, sortez-moi de là ! quelques mois plus tard.

Quant à la télé confession Y a que la vérité qui compte, produite et présentée par Pascal Bataille et Laurent Fontaine, elle a fini par être retirée de l’antenne, pour cause d’audience déclinante, tout comme Tout est possible et Perdu de vue en leur temps.


La dure loi de l’audience

Aujourd’hui, TF1 a 20 ans ! PPDA est encore au 20 heures, Jean-Pierre Pernaut officie au 13 heures depuis 1988 et Claire Chazal reste aux commandes du Journal du week end, malgré les fréquentes rumeurs qui annoncent son remplacement. Ruth Elkrief, Béatrice Shönberg, Laurence Ferrari, Thomas Hugues... Ils sont nombreux à avoir marqué de leur image l’information de TF1 avant de quitter la chaîne. Même Paul Amar, Michel Field et Guillaume Durand n’ont finalement fait que passer, leurs magazines n’ayant pas résisté à la dure loi de l’audience, cette loi qui a toujours régi les décisions de TF1 tout au long de ces vingt années. Depuis l’été 2006, un certain Harry Roselmack est vu comme le successeur idéal d’un PPDA, qui a récemment annoncé vouloir quitter le 20 heures en 2012, ce qui lui laisse encore quelques belles années.

Côté divertissements, que de temps a passé depuis Christian Morin et Annie Pujol dans La roue de la fortune, un jeu qui a débuté avant même la privatisation de TF1 ! Pourtant, à 19 heures, ce n’est rien d’autre que cette même Roue qui, dans une version très modernisée, atteint 33% de part de marché en 2007 ! Ironie du sort : Christophe Dechavanne l’anime, lui qui, du temps de Coucou, c’est nous !, avait été appelé en renfort pour la remplacer ! Le maître du talk show, ce n’est plus lui mais Cauet, qui bat tous les records d’audience le jeudi soir, depuis 2004.

Ainsi va TF1... Avec plus de 30% des téléspectateurs devant leur écran en moyenne, la chaîne tient toujours la première place, avec ses classements, ses magazines de société, ses fictions phares et ses vedettes, confirmées ou nouvelles, dont la dernière en date est Benjamin Castaldi.

Alors qu’Etienne Mougeotte a annoncé son départ prochain, vingt ans précisément après les débuts houleux de « sa » chaîne, c’est une véritable galerie de personnalités et d’émissions qui nous apparaît. TF1, reflet de notre époque, symbole criant de la télé commerciale, fresque de l’audiovisuel « à la française »... Elle reste, en tout état de cause, l’une des plus grandes chaînes d’Europe.