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Eurovision 2011 : dans les coulisses de Düsseldorf

Par
Rédacteur TV - Expert Eurovision
Publié le 16/05/2011 à 15:57 Mis à jour le 16/05/2011 à 15:58

Il y a des villes où l’on n’aurait jamais imaginé mettre les pieds. Parmi elles, il y a Düsseldorf. Pas évident à placer sur une carte et son nom, qui ne sonne pas très doux à l’oreille, ne laisse pas imaginer que la capitale de la Rhénanie-Du-Nord-Westphalie se place en tête du palmarès des villes où il fait bon vivre en Allemagne, et atteint même la sixième place à l’échelle mondiale. C’est là que les organisateurs de la télévision allemande ont choisi d’implanter le gigantesque barnum de l’Eurovision. Il faut dire que Monsieur le Maire a mis la bagatelle de 9 millions d’euros sur la table pour les convaincre d’écarter les 22 autres prétendantes, dont Berlin qui faisait figure de favorite. Une participation non négligeable pour boucler un budget estimé à 28 millions d’euros.

A notre arrivée sur place, vendredi en fin d’après-midi, les abords de l’Esprit Arena, le stade de football qui accueille l’événement, ont des airs de camp retranché. Depuis quinze jours, les représentants des 43 pays en compétition y enchaînent les répétitions et interviews dans une organisation à la rigueur quasi militaire. Dans le centre de presse, où transitent plus de 2500 journalistes, des fans triés sur le volet et les membres de la délégation française, l’ambiance est studieuse, mais décontractée. Dans un coin de la salle, chaque membre de la presse accréditée dispose d’un casier personnel. Notre première mission nous attend : récupérer la masse considérable de brochures, de CD et d’articles promotionnels à l’effigie des principaux sponsors qui s’y entasse. Les nations en course ne lésinent pas sur les moyens pour attirer l’attention. Le gadget le plus étonnant est sans nul doute le carton pliable à visser sur son crâne pour adopter l’improbable coiffure des Jedward, les jumeaux irlandais !

Nous sommes à 24 heures de la grande finale. Au coup d’envoi de la deuxième répétition générale, nous rejoignons une dizaine de membres de la délégation française rassemblés autour d’un des nombreux écrans de contrôle diffusant les mêmes images reçues dans tous les pays afin que les jurys professionnels puissent décerner leurs prestations préférées. Le signal est soigneusement enregistré par les télévisions participantes pour être diffusé en cas de problème technique le lendemain.

Au passage d’Amaury Vassili, qui défend nos couleurs, le petit groupe retient son souffle. La salle semble hypnotisée par le jeune artiste : à la fin de sa prestation, le favori est chaleureusement applaudi. L’ambiance est à l’optimisme ! Pas de temps à perdre : direction le bus gris frappé du logo aux couleurs de la France. Durant le trajet jusqu’à la sortie VIP, où nous attendent Amaury, ses proches et les officiels français, « Sognu » passe en boucle, dans toutes ses versions : en corse, en anglais ou instrumentale. Le chauffeur pousse le volume à fond : le titre résonne tel un hymne. Confortés par les pronostics des bookmakers, largement relayés dans les journaux, tout le monde se persuade que le moment est enfin venu de détrôner Marie Myriam dans le cœur des Eurofans français.


Nous rencontrons enfin Amaury. Disponible et détendu, il échange quelques mots avec les journalistes présents dans le bus. Dispensé de demi-finale, il faisait face pour la première fois ce soir à une salle comble de spectateurs... comblés : « C’était énorme ! Je suis super satisfait, mais je pense que je vais pouvoir pousser encore plus demain soir ! » Le jeune homme est confiant, mais il reste prudent : « L’exposition médiatique que j’ai eu, je ne l’aurais jamais eu autrement malgré tous les efforts de ma maison de disques. Mon album a été mis en vente en Allemagne, en Autriche et d’autres pays encore. Quel que soit le résultat final, je ne me fais pas de souci pour ma carrière. »

Nous arrivons à l’hôtel où loge la délégation française, un 4 étoiles situé sur l’avenue la plus chic de la ville. Un buffet dinatoire conclut la journée. Pour Amaury, l’heure est enfin venue de se détendre. Il trouve encore un peu d’énergie pour improviser une séance photos et dédicaces avec quelques supporters croisés dans le hall. Laurent Boyer et Catherine Lara, retenus au stade afin de peaufiner leurs commentaires, arrivent plus tard. La « rockeuse de diamants » a été séduite par le concurrent italien : « C’est une chanson créative, avec un côté jazzy, un peu désuet. Et ce type a un charme fou !  » Le cocktail se prolongera jusqu’à deux heures du matin. Lorsque nous quittons l’hôtel, nous croisons Bruno Berbérès, le chef de la délégation française, à mille lieues de se douter du lendemain qui déchante : «  On se retrouve demain après le show pour faire la fête ! »

Samedi. Le grand jour est arrivé. La vieille ville de Düsseldorf, entièrement aux couleurs de l’Eurovision, témoigne de l’engouement des Allemands pour l’évènement. Les costumes folkloriques sont de sortie le temps d’une parade dans les rues. Au pied de la Tour de 240 mètres qui surplombe les rives du Rhin, deux écrans géants ont été installés pour permettre aux habitants de suivre ce moment unique dans l’histoire de la ville et du pays.

À 15 minutes de là, au stade, tout le monde s’active. Dernières répétitions, avant l’arrivée des 35 000 spectateurs à partir de 18 heures. Dans les coulisses, Bruno Berbérès est soucieux. Il nous confiera après le show : « Depuis ce matin, je m’attendais à une douche écossaise. » Lorsque nous pénétrons dans l’enceinte, nous découvrons le décor monumental, bien plus impressionnant qu’à l’écran. Le CD des chansons en compétition, en fond, permet de tester la popularité des prétendants. Championne à l’applaudimètre, sans surprise : Lena, qui remet son titre en jeu à domicile.


Quelques minutes avant 21 heures. Avant que le jingle de l’Eurovision ne retentisse, les présentateurs viennent chauffer le public. Anke, la Brune, vêtue d’une robe rouge, est à la traine... justement à cause du bas de son vêtement, un peu encombrant. De la séquence d’ouverture à l’entracte, les chansons défilent à toute vitesse dans une ambiance survoltée qui se transmet même aux maîtres de cérémonie. Mention spéciale à Anke qui ne perd pas une occasion de se trémousser pendant le récapitulatif des chansons.

Les votes trahissent tous les espoirs de la France. Amaury Vassili reste désespérément bloqué dans la deuxième moitié de tableau. Au sommet, l’Azerbaïdjan s’envole, la Suède s’accroche et se fait dépasser à la dernière seconde par l’Italie. Devant un tel bouillon, notre délégation revoit ses ambitions : ce sera soupe à la grimace. Incompréhension, déception... Sous le choc, la délégation renonce à « l’after » et rentre à l’hôtel. La Suède, qui y loge aussi, célèbre sa troisième place. Les notes de « Popular », qui envahissent le hall, résonnent comme une provocation dans le camp français, mais Pierre Sled, directeur des programmes de France 3, reste beau joueur : « C’était la meilleure chanson. Tout le monde se souvient du refrain. »

« Sur les rotules », « voix cassée », Amaury accepte tout de même de se prêter avec nous à quelques réactions à chaud. Fier d’avoir « eu les c... de chanter (en corse) », il se console avec la quatrième place de l’Ukrainienne Mika Newton : un « coup de cœur musical » qui pourrait déboucher sur un duo. Il est en revanche affecté par la grosse déception de sa famille : « Jusqu’à présent, ils m’ont vu avancer très vite, tout réussir. Ils accusent le coup. »

Chacun cherche des explications au fiasco français. Première explication évoquée : les votes entre pays limitrophes. « Ex-URSS, Ex-Yougoslavie... C’est toujours le même pays qui vote pour lui-même et il ne nous reste que les miettes », lâche Pierre Sled. « Les votes vont de plus en plus ressembler à la désignation de la ville qui organise les Jeux Olympiques. On se heurte à des influences, à des intérêts qui sont supranationaux.  » Autre épée de Damoclès sur Amaury : la pression des bookmakers. « Je suis contre ces gens qui portent en exergue quelqu’un », s’insurge Catherine Lara « Ça oblige les pays à avoir une stratégie pour abattre la bête, à ne pas suivre la voix du cœur. »

Il est plus de 4 heures du matin lorsqu’Amaury prend congé du reste de la délégation. «  Je suis désolé de vous avoir déçu... » Il n’a pas le temps de terminer sa phrase que l’assistance, émue, se précipite pour le remercier. « Tu n’as pas à être désolé », lui assure le chef de la délégation française. « Nous sommes fiers de toi.  » Et Pierre Sled de le gratifier d’un geste d’affection quasi paternelle. L’Eurovision reste avant tout une belle aventure humaine.