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John Whiston (Directeur créatif d’ITV Studios) : « Nous misons sur des évènements dramatiques pour passionner le public »

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Directeur exécutif en charge des contenus
Publié le 02/09/2014 à 14:42

John Whiston est le directeur créatif d’ITV Studios, à l’origine des séries « Coronation Street » et « Emmerdale » au Royaume-Uni. Diffusés depuis plusieurs décennies, ces soaps sont de véritables institutions et font partie des feuilletons les plus regardés en Europe et en Amérique du Nord. Celui qui a débuté sa carrière sur la BBC est revenu pour Toutelatele sur le succès de ces deux séries à l’occasion du classement des soaps les plus regardés.

Benjamin Lopes : Coronation Street est le deuxième soap le plus regardé en Europe et en Amérique du Nord, Emmerdale le quatrième. Quel regard portez-vous sur ces résultats ?

John Whiston : Ces résultats sont incroyables pour ces deux soaps qui sont diffusés sur ITV depuis de très nombreuses années.Coronation Street a tout de même 54 ans et Emmerdale 32 ans. J’ai 57 ans et je me sens déjà très vieux (rires). Pourtant, le travail réalisé sur Coronation Street par exemple et très moderne et contemporain, malgré son ancienneté. Ces résultats sont donc très intéressants. À l’origine, Coronation Street a été inventée par une seule personne et elle avait des objectifs très spécifiques pour certaines cibles. La série représentait une société matriarcale. Les femmes faisaient la loi dans la rue et elles avaient réellement le pouvoir. Ce qui est original, c’est que la série a conservé cette architecture narrative aujourd’hui. Elle reste actuelle et pertinente, et les audiences le prouvent.

Les soaps rassemblent régulièrement plus de 8 millions de téléspectateurs en Angleterre. Pourquoi sont-ils si populaires ?

Je pense qu’ils sont autant regardés, car au Royaume-Uni les feuilletons intègrent une forme de comédie. Je sais que c’est un point très différent de tous autres soaps à travers le monde. Coronation Street et Emmerdale sont toutes les deux de véritables supermarchés où le téléspectateur peut trouver ce dont il a besoin, d’un point de vue dramatique et comique, le tout dans un même feuilleton. Nous réalisons un travail attentif pour justement lier le drama et la comédie dans nos soaps sur ITV, et je pense que le public apprécie cette façon de voir les choses.

Coronation Street rassemble quasiment autant de téléspectateurs qu’Amour gloire et beauté en Europe et en Amérique du Nord. Quelles sont les différentes notoires en ces deux feuilletons ?

J’ai justement travaillé sur la création d’un soap au Canada, pour CBC, en parallèle de Coronation Street, également diffusée sur cette chaîne. Une des choses que les dirigeants de la chaîne ont notées par rapport à nos feuilletons est que nos personnages ne sont pas forcément proactifs. Dans les soaps américains, tous les individus agissent tout le temps. De notre côté, nous avons inventé une société où il existe une ou deux personnes qui dirigent les histoires et qui les font avancer. La plupart des personnages doivent alors réagir face à ces situations et ils les commentent. Au contraire, dans les feuilletons aux États-Unis, si un personnage reçoit une attaque, il va directement riposter, et ainsi de suite. Nous avons donc une manière totalement différente de tourner les intrigues. Nous sommes souvent plus dans le commentaire de la vie réelle que dans l’invention d’évènements.

« Emmerdale a son propre petit village parfait, ça ressemble un peu au Truman Show »

Coronation Street et Emmerdale sont de véritables rendez-vous pour une large partie du public anglais. Comment vos équipes travaillent-elles pour captiver le public ?

Notre stratégie est de créer des épisodes évènement quatre à cinq fois par an. Cela peut être par exemple un incendie dévastateur qui va complètement détruire le pub de la série, ou encore un accident de voiture mortel. Nous misons ainsi sur des grandes surprises dramatiques pour passionner le public. Ces évènements sont relayés plusieurs jours à l’avance sur ITV et les téléspectateurs doivent ressentir l’envie de venir voir ce qui va se passer. Nous les appelons les épisodes « tempo », car ils permettent de construite une attente plus intense vis-à-vis des téléspectateurs et créent une cadence. Nous avons finalement remarqué que ces épisodes nous permettaient de conserver notre audience, mais également d’attirer un nouveau public au fil des années. Ce sont comme des petits cadeaux ponctuels pour les téléspectateurs.

Certains de vos épisodes sont pour le moins explosifs. En 2010, un accident de tramway dévastait la rue principale de Coronation Street. Ce type d’épisode demande-t-il un budget spécifique ?

Effectivement. Dans les faits, nous avons un budget annuel global alloué par la chaîne. Nous essayons de gagner de l’argent sur certains épisodes afin de l’utiliser sur ces épisodes « tempo ». Tous les épisodes ne coûtent donc pas le même prix. Cela nous a, par exemple, permis de réaliser le grand accident de tramway dont vous parlez. Juste après, nous avons même diffusé un épisode en direct, ce qui a également demandé des ressources spécifiques. Sur Emmerdale, nous procédons de la même manière. Nous avons tourné un épisode en direct en 2012 et l’année dernière, il y a eu une grande inondation dans la série. C’était impressionnant pour la production.

De quelles infrastructures disposez-vous pour tourner ces deux soaps ?

Nous avons nos propres ressources pour la production. Coronation Street dispose depuis peu d’un nouveau studio flambant neuf, un des meilleures d’Europe. Nous avons aussi nos propres parcelles en extérieur pour tourner certaines scènes. Emmerdale a son propre petit village parfait, ça ressemble un peu au Truman Show (rires). Nous ne filmons donc que très rarement dans des décors réels. C’est un point important du point de vue du budget, mais aussi du côté éditorial. Nous avons en effet la chance d’être dans un petit monde où tout est proche.

Partie 2 > Le succès international des soaps d’ITV et leurs différences avec ceux de la BBC


En tant que directeur créatif, vous permettez-vous de tout imaginer, même les intrigues les plus farfelues, comme dans les soaps américains ?

Nous essayons de rester dans la réalité, nous sommes moins glamour que les soaps américains. Emmerdale l’est peut-être un peu plus que Coronation Street, car les personnages vivent dans un petit village isolé avec des grands espaces verts. Nous avons des intrigues romantiques, mais nous tentons de rester le plus moderne possible.

Combien de scénaristes travaillent sur un feuilleton comme Coronation Street ?

Nous avons 18 personnes qui écrivent pour Coronation Street. Nous disposons également d’un bureau centré uniquement sur les grandes arches des personnages où 5 personnes travaillent en coordinations avec les scénaristes. Nous travaillons vraiment différemment par rapport à la BBC.

En quel sens les méthodes de la BBC sont-elles si différentes ?

Chez ITV, les scénaristes travaillent en démocratie. Tous les neuf mois, nous avons une réunion pour établir les histoires qui se dérouleront dans les prochains épisodes. Cette étape dure deux à trois jours et les scénaristes mettent en relation tous les personnages du feuilleton. À la fin, la meilleure idée gagne. À l’inverse, pour EastEnders sur BBC One, une seule personne prend les décisions sur les intrigues. Nous avons fait le choix de donner la parole à ceux qui écrivent de notre côté.

« Coronation Street s’exporte mieux car il montre une facette d’un pays que les gens préfèrent »

À l’international, Coronation Street bénéficie d’un large succès au Canada, tandis qu’Emmerdale rassemble plus de 30% du public en Irlande, en Suède ou encore en Finlande. Comme les soaps américains, incluez-vous des éléments spécifiques pour le public en dehors du Royaume-Uni ?

Nous ne le faisons pas réellement et j’ai été très surpris en allant à Toronto de voir des goodies à l’effigie de Coronation Street. Je pense que nos histoires sont suffisamment internationales pour séduire ce public. Au Royaume-Uni, au meilleur de sa forme, Coronation Street réunit jusqu’à 10 millions de téléspectateurs cinq fois par semaine, Emmerdale jusqu’à 7 millions, six fois par semaine. Notre job est de tout faire pour que ces gens restent et que plus encore nous regarde à travers le monde. Nous utilisons également des évènements particuliers. Récemment, un personnage était atteint d’un cancer dans Coronation Street et a décidé de mettre fin à ses jours. Cela a provoqué un large débat en Grande-Bretagne, mais également dans d’autres pays.

Les soaps d’ITV s’exportent mieux que ceux de la BBC. Quelle en est la raison ?

Les cas sont différents. Coronation Street a, par exemple, un large succès au Canada, car les habitants sont nostalgiques d’une autre Angleterre, où les gens se souciaient les uns des autres. C’est une différence notable par exemple avec EastEnders de la BBC. Coronation Street s’exporte donc mieux, car il montre une facette d’un pays que les gens préfèrent.

Gardez-vous un œil sur les soaps étrangers ?

Quand on écoute les producteurs de soaps américains, ils parlent d’inspiration sur des séries comme Breaking Bad. Nous n’avons pas les mêmes moyens (rires). Dans le même temps, le format de nos soaps est réellement différent de ce qui peut se faire ailleurs. Il est donc difficile pour nous de nous inspirer des autres feuilletons...