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Odile Vuillemin (L’Emprise) : « Faire ça sur TF1, qui est la chaîne la plus regardée, c’est un pari très audacieux »

Claire Varin
Publié le 26/01/2015 à 19:40 Mis à jour le 27/01/2015 à 14:30

A l’occasion de la diffusion sur TF1, de L’Emprise, Toutelatele a rencontré Odile Vuillemin. La comédienne parle ici de son engagement autour de cette fiction adaptée de la vie d’Alexandra Lange, de ce personnage victime de violence conjugale, de son partenaire Fred Testot, et revient sur l’annonce de son départ de la série Profilage

Claire Varin : Est-ce d’abord un engagement civique que d’accepter un rôle comme celui-là dans L’Emprise ?

Odile Vuillemin : C’est exactement ça. Ça s’est un peu passé en deux temps. C’était déjà un scénario écrit merveilleusement bien, avec une histoire extrêmement forte et je me suis dit : “Non, je n’en suis pas capable”. Et puis, très vite, est venue cette notion de devoir moral. Ça me semblait inconcevable de dire non. Je l’ai fait vraiment dans le but de pouvoir défendre cette cause, à mon humble niveau, parce que ça reste un film. Mais ça me tenait très à cœur. J’y ai mis toutes mes tripes.

L’utilisation de la voix off semble renforcer cet engagement...

Il y avait deux ou trois messages à transmettre, resitués en contexte de sujet social. J’ai eu du mal à dire ces phrases. J’avais une vraie émotion. C’est toujours compliqué ces phrases à faire parce qu’on est en voix off entre deux prises en post-synchro. C’est difficile de trouver le ton juste. En tout cas, à l’image de ce que j’ai joué, c’était avec le même investissement pour essayer d’impliquer tout le monde et de faire en sorte que personne ne puisse se dédouaner de ce film.

Ce n’est pas la première fois que vous interprétez un rôle inspiré d’une histoire vraie (Double face). Avez-vous eu besoin de lire le livre d’Alexandra Lange et de la rencontrer ?

J’ai évidemment lu son livre et le bouquin de Luc Frémiot. J’ai vu des documentaires. Et j’ai demandé à voir Alexandra Lange. Après, on n’est pas dans le biopic. C’est inspiré de sa vie. C’est son histoire. Le procès s’est passé comme ça. Sauf qu’on a un peu universalisé le propos de la femme battue. Pour preuve, je ne ressemble pas du tout à Alexandra Lange. On n’est pas dans un mimétisme. Donc le travail est un peu différent. On voulait universaliser l’histoire pour faire en sorte que ça touche le plus grand nombre. Et que personne ne puisse se dédouaner de ses responsabilités parce qu’on était tous responsables. L’emprise à 1% ou à 2000%, ça touche tout le monde. Et à un moment donné, il faut faire face à ça pour que l’on puisse avancer dans cette cause. Et que l’on puisse libérer la parole, qui sera un premier pas vers la guérison et la résilience.

On note chez vous un goût pour les rôles difficiles et pour la transformation physique...

Oui, parce que sinon ce n’est pas drôle. Ça ne m’intéresse pas le « Odile Vuillemin qui fait du Odile Vuillemin ». Je me supporte déjà toute la journée. Et quand je vais au cinéma, je vais voir une histoire avant tout, et des personnages. La transformation physique, je la fais si elle est nécessaire par rapport à un rôle. Là, je cherche juste à me rapprocher au plus près de la vérité d’un personnage. Chloé était quelqu’un d’extrêmement extravagant, avec beaucoup de mimiques, une façon de marcher hyper maladroite. Ce qui n’est absolument pas le cas de cette histoire de femme battue. Rousse, on ne racontait pas la même histoire alors j’ai changé de couleur de cheveux. On a fait ce châtain un peu neutre pour universaliser. C’est ce qui me paraissait juste par rapport à cette histoire. Après, c’est vrai que j’ai pris un peu de poids. J’ai arrêté de faire du sport pour modifier un peu les sensations dans le corps. Mais c’est toujours au service d’un personnage. L’idée pour moi est que le spectateur voit un personnage et éventuellement, qu’il reçoive un message.

Vous incarnez le personnage entre 18 ans et 35 ans. Accompagner le personnage sur une longue période vous a-t-il aidé ?

C’est plutôt un challenge de rajeunir. L’idée était de raconter l’histoire du début à la fin pour que les gens comprennent bien le phénomène d’emprise. Parce que si on la prend au bout de deux ans de relation alors qu’elle subit déjà les coups, on ne peut pas comprendre le fait qu’elle reste. Et c’est ce que l’on voulait vraiment montrer. On voulait vraiment défendre cette cause et montrer comment les femmes sous emprise ne peuvent pas partir et que ça ne sert à rien de leur dire “casse-toi”, ça n’est pas le propos. C’est des années de déconstruction, de manipulation, qui fait qu’elle perde toute leur personnalité, leur estime de soi, etc. On parle d’une post-adolescente pleine de vie, qui a juste envie de s’évader de l’univers dans lequel elle vit. Comme toute adolescente qui a envie de s’émanciper et qui rencontre l’homme de sa vie. Et elle part dans cette aventure parce qu’elle est amoureuse. Puis elle va tomber dans l’enfer. En partant de cette fraîcheur, de ce côté pétillant - ne serait-ce que dans le regard - je voulais montrer comment, petit à petit, le regard s’en va, la mort arrive et puis c’est la vie qui part. Plus après, le procès, où il y a un peu de vie qui revient, mais on sent tout le poids du massacre.

Comment avez-vous travaillé avec Fred Testot ?

Quand j’ai su que c’était lui, j’étais hyper rassurée. Et très en confiance. Parce que sur des rôles comme ça, il ne faut pas avoir peur de son partenaire. On a travaillé ensemble en amont avec Alain Figlarz [chorégraphe, ndlr.], qui nous a appris, chacun, à donner des coups et à les recevoir. On a fait beaucoup de travail d’improvisation là-dessus pour apprendre à se gérer, à gérer les distances, pour le travail des bastons. Ça a été un travail très intéressant aussi pour la construction. On s’est tous les deux embarqué dans un truc, pour lui très dangereux aussi, parce qu’on n’a pas l’habitude de le voir dans ces compositions-là. En plus, il n’a pas le beau rôle. Et il le fait de façon très juste. On était juste deux partenaires, qui avancent ensemble et qui se soutiennent. Il y a plein de fois où j’étais un peu sonnée et bouleversée et il me disait “Viens, on va prendre l’air”. Et sur les scènes de bastons, il y avait toujours un contact physique, un câlin, une étreinte, juste pour se signifier physiquement que ce n’était qu’un jeu.

« On voulait universaliser l’histoire pour faire en sorte que ça touche le plus grand nombre. Et que personne ne puisse se dédouaner de ses responsabilités parce qu’on était tous responsables. »

Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous ?

Je pense que le plus difficile pour moi, mais je ne m’en suis pas rendue compte sur le coup, est une scène que je n’ai pas voulu tourner. Enfin, jusqu’à ce que je comprenne et que je doive y aller. C’est la séquence où il frappe la petite. Sinon, le plus dur était le procès. C’est le moment où elle prend conscience de tout. Alors qu’avant, elle est dans le déni. Ce qui est sa forme de retraite et de protection. Et là, elle se prend tout en pleine face. Elle se rend compte qu’elle n’a pas protéger ses enfants. C’est super violent, le moment où l’on prend conscience. Et moi, je devais jouer tout ça en retenant mon émotion. Certains figurants pleuraient. Ça a été un moment hyper beau et très intense.

Pouvez-vous parler de Sam Karmann, qui joue votre père ?

C’est une cause qui lui tenait à cœur aussi. C’était assez étonnant ce tournage. Il y avait une espèce de cohésion, qui a fait que tout le monde était hyper investi. Dont Sam. C’est marrant parce que, des fois, j’étais un peu en colère contre lui, mais c’était dans le rôle. C’est une des rares personnes avec qui je n’ai pas réussi à me distancier. Mais Sam est très investi. Il ne lâche rien. Il est remarquable. J’étais très contente que ce soit mon père.

Une fiction abordant frontalement le sujet des femmes battues est assez inédit pour TF1. Bien que rare, le sujet est plutôt traité par France Télévisions. On pense notamment à C’est pas de l’amour, récemment diffusé sur France 2...

Avec Marie Guillard, avec qui j’ai joué dans Podium ! Je n’ai pas vu C’est pas de l’amour. Mais ce scénario-là et ce qu’en a fait Claude-Michel [Rome], c’était sans concession. J’ai joué sans concession. Chacun des comédiens a joué sans concession. Et ça donne un film fort, violent. Du coup, il y a une possibilité de transmission de message assez fort. Et de faire ça sur TF1, qui est la chaîne la plus regardée, c’est un pari très audacieux. C’est génial qu’ils aient été jusqu’au bout de ça.

Avez-vous été surprise des réactions du public, suite à l’annonce de votre départ de Profilage et est-ce pour cela que vous vous en êtes expliquée auprès de vos fans sur Facebook ?

Je l’ai annoncé dans la presse en one-shot sur Le Parisien. Et il était inconcevable de ne pas le dire moi-même à mes fans, qui font ce que je suis aujourd’hui. C’est beaucoup d’amour que je reçois. Ils me suivent depuis des années. Et je dois avouer qu’il y a des périodes où les voir, par exemple au Festival de La Rochelle, me boostait vachement. En voyant ça, on sait pourquoi on fait ce métier. On existe grâce à eux, il ne faut juste jamais l’oublier. J’ai été très touchée par les réactions parce que c’était encore une fois plein d’amour. J’ai eu très peu de messages du genre “Non, vous ne pouvez pas faire ça. C’est horrible. Vous n’avez pas le droit.” J’ai eu que des messages disant qu’ils étaient contents pour moi et qu’ils me souhaitaient plein d’autres rôles. Et ça, ça a été super étonnant et super beau. Pour le coup, là, c’est Odile et pas Chloé. Et je trouvais ça super fort, parce que ce n’est pas si fréquent.

Vous tournez actuellement la saison 6 de Profilage. Quelles sont vos envies pour la suite ?

J’ai envie de beaux rôles. Peu importe le support, pourvu qu’on ait l’ivresse (Rire). Cinéma, avec plaisir. Télévision, sur des beaux rôles comme ça. Je ne suis pas sûre que j’aurais ça au cinéma. Théâtre, pour le contact direct avec le public. Et je rêve de faire une comédie musicale. J’avais été prise sur Mistinguett. Puis, recalée. Mais ça m’a fait retravailler ma voix et ça m’a donné super envie de reprendre le chant. Et puis, je trouve ça très complet. J’ai retravaillé ma voix, ça m’a fait travailler différemment en tant que comédienne. Sur mon jeu, ça m’a ouvert plein de choses.