Toutelatele

L’Eurovision 2006 bat des records d’audience et d’horreur...

Par
Rédacteur TV - Expert Eurovision
Publié le 22/05/2006 à 00:04

Des monstres proclamés vainqueurs, une surreprésentation numéraire et numérique des pays d’Europe de l’Est, la France dans les profondeurs abyssales du classement... le 51ème Concours Eurovision de la chanson, qui s’est déroulé ce samedi 20 mai en direct d’Athènes (Grèce), a de quoi semer le trouble dans les esprits ! Et malgré ce curieux résultat, les Français ont été nombreux à suivre l’évènement : plus de 5,2 millions de téléspectateurs (30% de part de marché) ont écouté le tandem Michel Drucker/Claudy Siar. La meilleure audience de l’émission depuis son transfert sur France 3 ! Cette jolie performance a ainsi permis à la chaîne publique de réaliser 19.2% de part de marché sur l’ensemble de sa journée de samedi.

En face, Christophe Dechavanne et Sandrine Quétier revisitaient les meilleurs moments des 100 plus grands.... 5.77 millions de téléspectateurs ont ainsi été au rendez-vous, soit 30.1% de part de marché, dont 37.4% sur les 15/34 ans et 33.6% sur les femmes de moins de 50 ans. Si TF1 se place en tête des audiences de la soirée, l’écart n’est pas si important que cela avec le 51ème Concours Eurovision de la chanson. A noter que l’an dernier, l’évènement, commenté par Julien Lepers et Guy Carlier, avait réuni seulement 3,7 millions de téléspectateurs, soit 21,2% de part de marché. 1.5 million de fidèles de plus ont donc rejoint les rangs cette année !

Samedi soir, il est presque minuit lorsque l’incroyable se produit : comme le laissait présager dès le tout début le décompte des points, la Finlande remporte (pour la première fois de son histoire) le Concours. Mais pas avec n’importe quelle chanson : Hard rock hallelujah est un morceau de heavy metal et le groupe Lordi est formé de cinq « monstres » qui semblent tout droit sortis d’un film d’horreur. Les paroles ne sont pas plus rassurantes : J’ai des ailes dans le dos/Et des cornes au front/J’ai des crocs acérés/J’ai les yeux rouges/Je ne suis pas vraiment un ange/Ou alors l’ange déchu/Viens avec nous ou va en enfer. D’un côté, le duo de commentateurs de France 3, Michel Drucker et Claudy Siar, de l’autre, celui de TMC, Bernard Montiel et Eglantine Eméyé, sont attérés.

Face à cette avalanche de terreur, la France a signé une prestation tout en sobriété et se classe à une très lointaine 22ème place (sur 24 pays). Grâce à la bienveillance de l’Arménie et de Monaco, Virginie Pouchain et Il était temps, chanson écrite et composée par Corneille, ont totalisé 5 points (287 de moins que les vainqueurs...). Un échec prévisible selon de nombreux fans : le morceau, « pas assez rythmé », était inadapté à la compétition paneuropéenne. Même Pascal Sevran, le mentor de la jeune Ardèchoise revélée par le télé-crochet Entrée d’artistes, ne croyait pas à la victoire : « Pour ce qui est de l’Eurovision, je reste persuadé que pour s’y présenter, il faut avant tout avoir une chanson qui tienne la route. Je préfère ne pas me prononcer sur la sienne » avait-il confié la semaine dernière à l’hebdomadaire Télé Star.

Depuis 1977 et L’Oiseau et l’Enfant de Marie Myriam, la France n’a plus remporté l’Eurovision. En 30 ans, les performances tricolores se sont rarement hissées sur le podium. En 1990 et 1991, Joëlle Ursull (White and black blues) et Amina (C’est le dernier qui a parlé qui a raison) sont toutes deux passés à un cheveu (long) de la victoire. Ce temps serait-il révolu ? Dans la bouche des passionnés, la prestation (vocalement impeccable) de la Canadienne Natasha St-Pier avec Je n’ai que mon âme, classée 4ème sur 23 en 2001, est presque rememorée avec nostalgie ! Comment expliquer ces insuccès à répétition ? Deux évolutions, survenues ces dernières années, apportent une première réponse.

En 1998, l’Union Européenne de Radio-télévision (UER), qui organise le Concours, décide de « démocratiser » l’Eurovision. Exit le traditionnel jury, c’est à présent un vote par téléphone qui désigne le vainqueur. Les fameux points sont toujours là, mais ce sont les téléspectateurs qui ont le dernier mot. Seul problème : la traduction des textes est difficilement accessible. Chaque pays devant obligatoirement chanter dans sa langue, l’impact des paroles devient quasiment nul. L’année suivante, un amendement au règlement autorise les participants à chanter dans la langue de leur choix. Conséquence : tout le monde se met à l’anglais. Tous ? Non, seul un pays résiste encore et toujours à l’envahisseur : la France. Plus exactement, rares sont les pays qui osent conserver leur idiome national : depuis 10 ans, tous les gagnants ont opté pour la langue de Shakespeare.

Les paroles s’envolent mais la mélodie et la mise en scène restent. L’an dernier, la Grèce n’aurait sans doute pas triomphé sans la chorégraphie survitaminée et hyper-calibrée d’Elena Paparizou. Même constat pour les sonorités « très ABBA » du Suèdois Take me to your heaven (1999), les métamorphoses vestimentaires de la Lettonienne Marie N (2003), le costume en peaux de bête de l’Ukrainienne Ruslana (2004) ou encore le culot de l’Israëlienne transexuelle Dana International (1998). L’originalité, qui frise parfois le ridicule, est payante en terme de votes. Un Allemand déjanté (il avait escaladé une partie du décor) a terminé 7ème en 1998. Cette année, le maquillage et l’univers des monstrueux Finlandais a tapé dans l’oeil des Européens : la France lui a attribué 8 points et huit pays sont allés jusqu’à la note maximale (« twelve points »). Les Lituaniens, dans un style Blues Brothers ringardisant, se sont même classés 6ème avec une chanson ad hoc qui répétait : « Nous sommes les vainqueurs de l’Eurovision/C’est nous, c’est nous !/Alors, vous devez voter,/Voter, voter pour les vainqueurs ». Il s’en est fallu de peu pour que la prémonition se réalise...

Le vote entre voisins est la deuxième explication des piètres résultats de la France. Tandis que la Finlande recevait 12 points de ses voisins scandinaves, il en était de même pour la Russie et ses anciens satellites de l’époque soviétique. Le palmarès de l’Eurovision s’est de tous temps teinté de géopolitique mais depuis l’élargissement à l’Est et l’éclatement de certains pays (Tchécoslovaquie, Yougoslavie et URSS), il est devenu très compliqué pour les pays d’Europe de l’Ouest (« moins solidaires ») de se frayer un chemin en haut du classement. Heureusement pour la France, elle fait partie depuis 2001 des 4 « pays fondateurs » (avec l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Allemagne) qui sont protégés de la rétrogradation en demi-finale en cas de mauvais résultats (comme c’est le cas cette année encore). Une compensation à la forte contribution financière de ces pays à l’organisation du concours. Moins privilégiés, le Portugal, Monaco ou la Belgique peinent à passer le premier tour.

Tout est à présent à recommencer. De nouvelles sélections vont avoir lieu dans les 38 pays participants afin de désigner le représentant qui aura la lourde tâche de faire bonne figure à Helsinki, fin mai 2007. La France tirera-t-elle les leçons du passé ? Il le faudra si elle veut gagner. Si elle veut...