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Laurent Boyer (Ma vie en super 8) : « À D8, ce sont des gens très jeunes qui me rappellent M6 à ses débuts »

Léopold Audebert
Publié le 27/04/2016 à 20:10 Mis à jour le 27/04/2016 à 20:30

A l’occasion de l’arrivée de sa nouvelle collection de portraits de personnalités, Ma vie en super 8, sur D8, Laurent Boyer, animateur emblématique de Fréquenstar sur M6 (de 1991 à 2006) puis de Midi en France (de 2011 à 2015) sur France 3, est revenu pour Toutelatele sur son nouveau projet. En outre, après s’être confié sur ses expériences passées, le producteur, ayant également deux projets de documentaires en discussion avec Paris Première, a abordé la philosophie de son travail, ainsi que ses goûts personnels. Entretien avec celui qui, dorénavant, a décidé de « donner le temps au temps ».

Léopold Audebert : Comment l’émission Ma vie en super 8 a-t-elle vu le jour ?

Laurent Boyer : Je l’ai monté à la demande de Franck Appietto (directeur général de D8, ndlr), quelqu’un de très juste, en avril 2015, à l’époque où j’étais encore sur France 3, avec qui j’ai fait douze portraits de deux heures, qui s’appelaient Emmenez-moi . Mais je peux vendre du documentaire à qui je le souhaite.

Quel est le concept de ce nouveau programme ?

Je veux aller dans l’introspection d’un artiste pour retrouver ce que les gens ne voient pas et que les invités, eux-mêmes, ont oublié, avec des photos, des bouts de films, etc. Je ne serai pas à l’antenne, mais j’accompagnerai en faisant la voix-off. Je n’adapte aucun format. Ce qui m’intéresse, c’est de créer des choses. Je ne suis pas là pour faire un business.

Pourquoi avoir fait ce choix de ne pas apparaître dans le documentaire ?

Il y a deux raisons. D’abord, je n’ai pas envie de présence antenne ; sinon je pourrais faire le tour des plateaux et dire « Je veux faire ci je veux faire ça ! ». Je me sens bien, je me suis réadapté à mon temps. Je veux faire du magazine, du documentaire, c’est ce qui m’intéresse. Cela tient aussi à la nature même du « format documentaire ». Le magazine peut être incarné, or, quand on fait un documentaire, il n’est pas incarné par l’intervieweur. Le documentaire raconte une histoire, en prenant le téléspectateur par la main, à l’aide d’une narration ; c’est ce que j’ai fait.

Quelles ont été les conditions de préparation du programme ?

Il faut énormément de temps pour préparer le documentaire : deux mois où il faut appeler la star, ses parents, et envoyer quelqu’un pour trouver ce qui est peut-être à la cave, au grenier, ou encore ce qui a déménagé ! Mais c’est un travail de fourmis ! On y a mis du temps. La commande date du mois d’août 2015. On a travaillé en septembre, j’ai commencé à trouver les intervenants à la fin du mois d’octobre et, pendant deux mois, on a fait de la recherche. Je donne le temps au temps ; j’ai cet avantage. Je ne suis pas pressé.

Quel regard portez-vous désormais sur D8 ?

Je leur avais dit que je ne savais pas quand je pourrai livrer, car ça allait me prendre du temps, mais ils ont été formidables à D8 ! En plus, ce sont des gens très jeunes qui me rappellent M6 à ses débuts. Je les trouve motivés, emballés, j’adore ça ! C’est novateur, ils tentent des trucs et sont très ouverts. Tout cela me booste. Ce sont des gens qui ont envie, et qui ont les mêmes crocs que moi quand je suis arrivé. J’aime ce genre de passionnés. Les réflexions sont justes et mélioratives, ils ne cherchent pas à « descendre ».

« J’avais une contrainte avec Midi en France, je n’en pouvais plus »

Avez-vous fixé des objectifs d’audience particuliers avec la chaîne ?

Nous n’avons rien fixé. « Le mieux serait le bien ». Évidemment, je serais ravi pour la chaîne, pour l’artiste, pour les équipes et pour moi-même que cela fonctionne bien. Mais le second numéro avec Laurent Gerra sera bel et bien diffusé après le premier consacré à Mimie Mathy. Je pense que le diffuseur a toujours raison : si ça marche, il devrait y en avoir d’autres.

Avez-vous choisi vous-même les artistes de Ma vie en super 8 ?

J’ai proposé à Franck Appietto une liste de vingt noms. C’est lui qui a choisi parmi les invités proposés. D’ailleurs, pour éviter de l’influencer ou de donner mon avis en amont, je l’ai rédigé de façon alphabétique. Je pouvais avoir les vingt personnalités. En raison de la relation que j’ai avec eux depuis trente ans, et parce qu’ils connaissent le travail que je fais avec mes équipes, et notamment Laurence Gerbi et Jean-Marie Pasquier (réalisateurs ndlr), ils me diront oui, quoiqu’il arrive. On fait de la belle ouvrage, on fait à l’ancienne. C’est de la dentelle, il y a un mois et demi de montage. Le Tu t’es vu sans Cabu ?, précédemment diffusé sur Paris Première, comptabilisait 74 heures d’images, soit 4 mois et demi de montage ! C’est vraiment cet esprit de la belle ouvrage que j’aime dans tout.

Vous avez déjà consacré des portraits à Mimie Mathy. N’avez-vous pas peur que le téléspectateur se lasse ?

Je n’avais pas encore exploité ce type de documentaire. Comme vous l’avez constaté, on ne me voit pas à l’écran, or j’ai fait moi-même toutes les interviews. Donc déjà, dans la mise en forme, c’est différent. Je suis par ailleurs dans un lieu monolithique, ce qui, chez moi, est très rare. Fréquenstar, c’était une pérégrination

Quelle était l’atmosphère sur les tournages, notamment durant les moments les plus émouvants, face à une personnalité que vous appréciez particulièrement, comme Mimie Mathy ?

Oui, j’ai beaucoup d’admiration pour Mimie. Quand on mesure 1 mètre 32, et comme le dit Muriel Robin, qui a les mots justes, « Qu’est ce qu’il faut être bien construit pour pouvoir aller là ! ». Qu’est-ce qu’il faut baigner dans un bassin d’amour ! Elle a été élevée comme nous. Le père disait : « Les interrupteurs, elle voulait que je les baisse, je ne les ai jamais baissés : ils sont restés à la même hauteur ». Tout cela, c’est très touchant. Quand on est une toute petite femme comme ça, faire du spectacle, raconter sa vie à l’intérieure et se foutre de sa propre gueule ! Cela me touche énormément parce que c’est vrai. Il faut tellement de pugnacité et de courage : c’est une « little big woman » pour arriver à ce niveau là ! Je la connais depuis trente ans et, je vous assure, quand je suis avec Mimie, je ne vois plus sa petite taille. De manière plus générale, quand on a retrouvé certains souvenirs et qu’on les a montrés à l’artiste, parfois, il ne savait même pas qu’ils existaient ! (rires)

« Je suis en accord avec moi-même, quel bonheur ! Vous savez quoi ? C’est con, mais je suis heureux »

Comment expliquez-vous que les personnalités arrivent à se confier si intensément au sein de vos différents portraits ?

C’est une question de confiance. Je n’ai aucun contrat, j’ai fait 370 portraits. Que ce soit Paradis, Goldman, Gainsbourg, Hallyday ou Dion : je peux parler d’amour sans leur demander avec qui ils couchent. Je n’aime pas l’indécence. J’obtiendrai d’ailleurs probablement beaucoup plus de cette manière. C’est une maïeutique, un procédé qui est dans l’empathie, qui n’est pas un mot désagréable. C’est juste l’idée de se mettre dans l’espace de l’autre. On a besoin de sentir l’autre, de mettre la mesure. La première instance de soi, comme disait Freud, c’est la défense. Evidemment, on ne va pas se laisser torturer, attaquer, questionner aisément ! Il faut cette distance aussi. Et revenir à l’appréciation de l’autre, laisser le temps au temps. Et, de fait, avoir ce temps pour que l’un apprivoise l’autre.

En plus de votre conception personnelle de l’interview, diriez-vous que le cadre et l’atmosphère retranscrits à l’image contribuent particulièrement à l’émotion, l’authenticité et la sérénité qui se dégagent du programme (un véritable grenier avec un fauteuil, une bibliothèque, un éclairage tamisé, et une musique originale) ?

Oui, c’est une vraie maison. Mimie Mathy et Laurent Gerra ont tourné dans ce même lieu. Il y a des choses étonnantes derrière eux. C’est très intimiste ; il y a cinq caméras sur l’artiste, un Pee Wee. Moi je suis collé contre les caméras en face. La musique, quant à elle, est également une création originale. Elle est de Jérôme Baron et Marie-Amélie Seigner et sera la même pour chaque épisode.

Pensez-vous que c’est votre rapport à l’humain et votre sensibilité à l’autre qui vous font apprécier à ce point les interviews-confessions ?

Oui, au fond, vous avez raison. C’est mon « instinct grégaire » probablement. On l’a tous, mais j’aime cette relation à l’autre. Je suis là pour être avec l’autre. Je ne dis pas que les gens sont tous pareils : la différence m’intéresse. C’est elle qui m’apprend. J’apprends tous les jours. Donc ces gens ont ma porte lorsqu’ils ont envie de partager leur culture ou leur personnalité. Je suis un jouisseur de ça ! Plus je me rends compte que j’aime ça, et plus je suis bien avec moi-même. J’avais une contrainte avec Midi en France, je n’en pouvais plus. Je me suis senti mal en décembre 2014. Ca commençait à poser un problème inconscient de déplacement. Mais je suis toujours dans la production de l’émission.

Quel regard portez-vous sur Midi en France, suite à votre départ la saison dernière ?

Tout allait vite, je partais le dimanche, je rentrais le mercredi soir/jeudi matin. Avec cette émission, j’ai résisté, j’ai été pugnace vis-à-vis des critiques, nonobstant cette émission a beaucoup évolué. La critique qui fait avancer, j’adore. Après, quand ça devient viscéral, évidemment je ne la comprends pas, c’est quelque chose que je ne connais pas. Mais on a beaucoup fait évoluer le format, et je trouve qu’il est raccord avec France 3 : l’émission est en région, elle vend les régions, elle vend l’artisanat, etc. Je suis ravi de la façon dont ça se passe maintenant ! On a mis des nouveaux chroniqueurs, Vincent Ferniot fait très bien le job. Je l’ai laissé prendre la main, et je suis ravi que cette émission fonctionne et qu’elle tienne. J’ai eu un coup de mou en décembre, puis au mois d’avril après, et j’ai annoncé que je partais en prévenant. Ce n’est pas bien quand on ne fait plus les choses avec envie. Là, je suis passionné et heureux avec ce que je fais, aussi sur RTL. D8, pour moi, c’est une vraie aventure ! Je suis en accord avec moi-même, quel bonheur ! Vous savez quoi ? C’est con, mais je suis heureux.

Vous avez suivi une formation universitaire dans le domaine des lettres, ce qui est assez atypique par rapport à vos confrères. Ce façonnement et la réflexion qu’il incombe influencent-t-ils votre travail actuel ?

Totalement ! La culture générale m’a toujours servi. Je le fais souvent avec retenu, car il y a toujours un tas de réflexions qui me viennent à l’esprit. Je continue à lire, je continue à apprendre, je continue à agréger les éléments pour construire ma pensée. Et en même temps, avoir des convictions sans avoir de certitudes, c’est très compliqué. Cette culture générale «  j’en ai suffisamment pour vous dire qu’il m’en manque », comme m’avait dit Carla Bruni en 1995. C’est vrai que cette mémoire est également une chance. J’entretiens cet outil depuis que j’apprends à lire. A l’époque, je n’avais pas de télévision dans ma chambre, mais les contes et légendes grecques et tout Jules Verne.

Aujourd’hui, sont-ce tous ces livres qui se retrouvent dans la bibliothèque du grenier de Ma vie en super 8 ?

Ils sont tous là. Sauf ceux que je donne. Parce que, quand les gens viennent chez moi, souvent on discute, et ils me disent « Tiens je ne l’ai pas lu ! » : je leur réponds « Tenez, prenez-le !. ». J’adore ça ! Ce ne sont que des livres de poche, mais le contenu est identique aux grandes collections, et, en plus, ils sont souvent annotés, depuis trente ans, ou quarante ans ! (rires) Pour moi, la culture est aussi là, dans la découverte d’un livre inconnu.

« Marc-Olivier Fogiel est fort dans l’introspection. Il fait partie des gens que je trouve bon »

Quel regard avez-vous sur une autre émission de confession de personnalités, telle que Le divan de Marc-Olivier Fogiel ?

J’aime beaucoup ce que fait Marco, qui a beaucoup de talent. Pour autant, je ne comprends cette vision d’aller chez le psychanalyste devant quarante personnes qui écoutent. Mais, c’est de la télé ! Je regarde peu la télé, mais je suis toujours les premières. Je trouve que l’émission a formidablement évolué : au début, il y avait très peu d’images, maintenant il y en a plus. C’est une bonne chose. Et Marco est fort dans l’introspection. Il fait partie des gens que je trouve bon.

Quels formats n’appréciez-vous pas particulièrement à la télévision ?

Je n’aime pas la télé-réalité, parce que ça ne me touche pas. Mais j’aime beaucoup Christophe Beaugrand, il est vachement en place, il a été très bon dans Secret Story. J’ai même regardé une émission entière pour le voir lui et son travail. Je l’ai trouvé très bon.

Au contraire, quelles émissions vous séduisent lorsque vous êtes devant votre petit écran ?

Je la regarde peu, mais j’aime les documentaires, notamment sur l’histoire, qui me passionne depuis que je m’y suis remis il y a dix ans. Je peux mettre ça en boucle ! Je regarde un coup d’info, pas en boucle cette fois, parce que je n’en vois pas l’intérêt. J’adore Ruquier, ainsi que Yann Moix dont j’apprécie la culture. Sinon, un documentaire animalier peut m’emporter. J’aime beaucoup l’émission C à vous d’Anne-Sophie Lapix sur France 5 : j’adore les intervenants ! Ils s’intéressent, c’est bien construit, il y a de la recherche, du travail et les journalistes sont brillants. Comme Fogiel, ce sont des gens de contenu. J’aime les gens épais, et peu importe l’épaisseur, même si ça déborde ! (rires)