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Mongeville, La vie devant elles, Un village français, Famille d’accueil... : Anne Holmes dévoile la stratégie fiction de France 3

Guillaume Denis
Par
Rédacteur spécialisé TV & Séries
Publié le 02/05/2015 à 19:33 Mis à jour le 07/09/2022 à 16:30

Guillaume Denis : Très contributive à l’audience de France 3, la fiction affiche une santé de fer, notamment le samedi soir où plusieurs téléfilms ont atteint 4 millions de téléspectateurs. Quel bilan dressez-vous en cette fin de saison ?

Anne Holmes : C’est un bilan très positif, aussi bien en terme d’image qu’en terme d’audience. On a essayé beaucoup de choses et proposé des fictions très diversifiées, entre le policier du samedi, la comédie du mardi ou les séries historiques comme Un village Français ou La vie devant elles. On se rend compte que sur tous les genres, on rencontre le public. On reste vigilants, mais on est content de ce bilan.

Si la fiction de France 3 réalise de belles audiences en prime time, elle continue d’attirer un public très âgé à l’exception de Plus belle la vie... Est-ce impossible de rassembler les moins de 50 ans devant vos fictions ?

On essaye toujours de rajeunir l’audience, mais on a des concurrences extrêmement violentes sur nos cases de fiction : le samedi, par exemple, nous sommes face à The Voice, qui attire les jeunes par nature. Après, quand on voit le nombre de tweets que nous avons eu sur La vie devant elles, ça montre tout de même un certain rajeunissement de l’audience. D’ailleurs, que ce soit le replay ou l’activité sur les réseaux sociaux, on évalue chaque projet aussi par rapport à ce qui se passe en dehors de l’écran TV.

Mongeville (Francis Perrin, 67 ans), Le Sang de la vigne (Pierre Arditi, 70 ans), Commissaire Magellan (Jacques Spiesser, 67 ans) : France 3 met presque uniquement en scène des personnages âgés dans les rôles-titres de ses fictions. La chaîne boude-t-elle des héros récurrents plus jeunes ?

Nous le faisons avec la collection Meurtres à .... Claire Borotra, Antoine Duléry, Rebecca Hampton, Bruno Wolkowitch, Héléna Noguerra, Stéphane Freiss... Par rapport à Louis la brocante, c’est quand même un certain rajeunissement ! (rires)

Véronique Genest, Corinne Touzet, Yves Rénier : ces dernières années, France 3 a proposé plusieurs téléfilms portés par des comédiens populaires autrefois sur TF1. Est-ce une volonté de la chaîne ?

Les téléspectateurs connaissent ces comédiens et comédiennes et les aiment. Ils les ont vus évoluer, même vieillir pour certains. On aime prendre ces acteurs à contre-emploi par rapport à ce qu’ils pouvaient faire auparavant. L’idée est aussi de montrer qu’ils peuvent jouer autre chose que ce qu’on a déjà vu. Par exemple, Véronique Genest était à mille lieues de Julie Lescaut avec son personnage de méchante belle-mère, Yves Rénier était un papi gâteau...

La tendance des « animateurs-acteurs » a semble-t-il épargné France 3 pour le moment. Quelle est votre politique au sujet de la mise en scène de personnalités connues dans les fictions ?

Nous avons fait tourner Laurent Gerra avec L’escalier de fer (avec un important succès d’audience à la clé, ndlr). Concernant les animateurs, je n’ai eu aucune demande de la part des gens de France 3. Tout dépend du personnage, on peut l’imaginer une fois comme ça même si comédien reste un métier. Je sais que Julien Lepers a déjà fait une fiction de France 3 il y a des années, mais dans son rôle.

La fiction inédite, à l’exception de Plus belle la vie, se concentre uniquement en prime time sur France 3. Il est inenvisageable d’imaginer des cases moins exposées pour des projets plus ambitieux ?

Je pense que tous les diffuseurs ont ce même problème. C’est normal, on a tous envie de faire des fictions de seconde partie de soirée. Après, je suis contente, car on peut aborder des sujets un peu âpres dans Plus belle la vie, sous couvert du feuilleton. C’est vrai qu’on aimerait d’autres cases pour faire de la sitcom ou des séries feuilletonnantes plus longues, comme les séries américaines ou celles de la BBC dont tout le monde parle.

L’État ne cesse de demander à France Télévisions de faire des économies. Vous qui êtes présente à ce poste depuis 7 ans, comment cela s’est-il peu à peu manifesté dans votre travail à la tête des fictions ?

On a beaucoup réduit les coûts depuis quelques années. Tout le monde fait un « effort de guerre » dans la réduction des coûts : les producteurs, les auteurs, les réalisateurs... On fait ça ensemble afin de pouvoir faire toujours le même nombre de fictions avec l’argent qu’on a. D’autre part, il y a une économie d’échelle sur les séries longues. Quand on loue un décor pour une journée, c’est dix fois plus cher que lorsqu’on le loue pour 6 mois.

« Tout le monde fait un ’effort de guerre’ dans la réduction des coûts »

France 3 propose beaucoup de rediffusions « étonnantes » dans ses cases de fiction : téléfilm de plus de dix ans, mini-série de TF1 (Merlin) qui signe une performance d’audience catastrophique... Les économies passent-elles aussi par là ?

On a une case régulière de fiction le mardi et le samedi. On fait 58 films, donc mathématiquement, on ne peut pas remplir toutes les cases de l’année et il faut alterner les inédits avec des rediffusions. Ça se voit moins sur des séries policières, comme Mongeville, où elles se glissent après la saison inédite. On ne veut pas rediffuser les fictions trop rapidement, donc pour alimenter l’antenne, quand on n’a rien de disponible, on procède à une politique des achats et on regarde dans des catalogues ce qui est sur le marché. (Les achats ne relèvent pas des fonctions de la directrice des fictions, mais sont rattachés aux acquisitions, ndlr)

Cette saison, France 2 a récolté moult louages pour la qualité et l’audace de ses fictions. La chaîne a eu d’importants succès avec Chefs, Les Témoins et plus récemment Disparue. Est-ce une pression supplémentaire pour vous ?

Pas du tout. Je suis toujours ravie quand la fiction française a du succès, qu’elle soit sur TF1, France 2 ou France 3. D’autant plus que nous ne sommes jamais en concurrence sur nos cases de fictions françaises, le mardi et le samedi (TF1 propose une série américaine le mardi et un divertissement le samedi, France 2 un magazine le mardi et un divertissement le samedi, ndlr).

Comment se différencie la fiction de France 3 de celle de France 2 ?

Nous avons des lignes éditoriales assez définies. Ce sont les producteurs qui envoient des projets à France 2 ou à France 3 en fonction de ces lignes éditoriales. Le processus de sélection des fictions est complètement dissocié entre les deux chaînes.

La France a longtemps été le vilain canard de l’Europe, en étant le seul pays où la fiction américaine était plus performante que la fiction locale. Ce constat est en train de s’inverser. Comment l’expliquez-vous ?

Je pense que cela a pris un peu plus de temps en France, à ce que l’on s’adapte. La fiction française est très longue : il faut 2 ans de développement pour une série. Il y a eu une montée en qualité, on a été abreuvés de séries du monde entier et cela a aussi aidé à une remise en question. Après, dans le cas de France 3, la fiction a toujours été un genre contributif à l’audience de la chaîne.

Partie 2 > Crimes et botanique, Un village Français, Famille d’accueil...


Un certain nombre de séries scandinaves prennent pour point de départ des romans en succès. En France, à l’exception des policiers de Mary Higgins Clark, il semble que ce soit un peu différent...

Traditionnellement, nous sommes sur des sujets originaux. Des auteurs de télévision viennent nous proposer des concepts plus que des adaptations de romans. Je dirai que c’est culturel. Cela dit, nous travaillons actuellement sur l’adaptation du thriller Contre toute attente, de Linwood Barclay, pour un 6x52’.

La comédie, à l’exception des shortcoms, est un genre assez compliqué en France, où le format 26 minutes peine à s’imposer. Quelle est la stratégie de France 3 dans ce domaine ?

En série, la comédie est un genre difficile car souvent clivant. Ce qui fait quelqu’un ne fera pas forcément rire une autre personne. Nous privilégions pour l’instant les unitaires. Cette saison, nous en avons proposé un certain nombre, diffusés le mardi : Couleur locale, Mes grands-mères et moi...

En cas de succès, peut-on imaginer qu’un de ces téléfilms donne lieu à une série ?

Nous avons lancé une politique particulière de développement pour les comédies, en partant du principe qu’il était beaucoup plus difficile de se décider sur un pitch. C’est pour cela que nous avons privilégié les unitaires et tourné 10 téléfilms. Parmi ceux-là, 1 reste à diffuser et 7 ne donneront pas lieu à une suite. Les deux projets sur lesquels nous travaillons toujours sont Couleur locale et La Stagiaire.

Peut-on voir dans cette stratégie de développement une sorte de « pilotage » à la manière des chaînes américaines, d’ailleurs évoquée dans le projet stratégique de la nouvelle présidente de France Télévisions ?

Tout a fait. Il y a une charte de développement qui a été signée avec les syndicats d’auteurs, de producteurs et de réalisateurs. France Télévisions a une politique de développement volontaire, mais en contrepartie, on peut arrêter des projets plus facilement. C’est plus facile, il y a un cadre juridique prévu, avec des dédommagements, dans ce cas là. Avant cela, il valait mieux ne rien commander du tout plutôt que commander puis annuler. Désormais, c’est comme au poker, on paye pour voir. C’est peut-être aussi pour ça qu’on a eu plus de succès dans les fictions.

Annoncée cette saison, la série Crime et botanique serait déjà arrêtée, avant même que la diffusion n’ait eu lieu. Qu’en est-il vraiment ?

La série sera bientôt diffusée. Nous sommes contents du résultat, mais le développement a été très compliqué, c’est pour ça que nous avons pris la décision d’arrêter la série après cette première salve. Nous avons réalisé qu’il était très difficile de donner une légitimité à des héros pour faire des enquêtes quand eux même ne sont pas habilités à le faire. Crime et botanique est adaptée d’une série britannique et que ce soit au niveau de l’humour et de la façon de faire, cela ne fonctionne pas forcément chez nous. La difficulté que nous avons rencontrée était de toujours parvenir à raccrocher un meurtre à deux femmes qui font des jardins.

« Avec Famille d’accueil, on ne pouvait pas continuer comme ça encore longtemps »

Dans le même registre, pourquoi avoir arrêté Famille d’accueil après 14 saisons ?

On tournait un petit peu en rond. Éditorialement, on ne pouvait pas continuer comme ça encore longtemps. On avait traité, j’avais fait le calcul, 142 sujets de société ! Les enfants de la Famille d’accueil devenaient de plus en plus vieux et il fallait leur trouver des intrigues aussi. On avait aussi une volonté de renouveler les séries et les marques proposées par France 3. Pour pouvoir faire cela, il nous fallait de la place.

Après trois épisodes, vous avez annoncé un changement de taille pour La loi de Barbara avec le remplacement de Josiane Balasko par Gérard Jugnot. Pourquoi avoir poursuivi la série alors qu’elle reposait sur son personnage principal ?

Le concept de la série reste le même : l’idée est de voir la loi par le prisme de diverses personnalités. Josiane Balasko nous avait prévenus qu’elle ne ferait que trois épisodes. Maintenant, on a réécrit la série pour Gérard Jugnot et il appréhende la loi d’une autre manière. On continue donc de décliner le concept.

Combien d’épisodes avez-vous signés avec Gérard Jugnot ?

Pour l’instant, nous tournons le premier numéro. On ne sait pas encore pour la suite. D’autant que produire un épisode de La loi de... nous prend beaucoup de temps, car il nécessite beaucoup de plaidoiries.

Sur le Village Français, avez-vous déjà fixé une date de fin pour la série ?

Il n’y en a pas pour l’instant, on ne se pose pas la question. On se demande déjà ce qui va se passer à l’épuration. Au départ, on devait s’arrêter avec la libération au départ, mais finalement on a décidé de faire une saison supplémentaire sur l’épuration. Je pense que le public est très attaché aux personnages de la série et qu’il veut savoir ce qu’ils vont devenir maintenant qu’il connaît bien leur passé. Il reste 6 épisodes sur la libération à diffuser, entre septembre et décembre 2015. À ce moment-là, nous finirons de tourner l’épuration.

La vie devant elles a démarré ce mardi 28 avril devant plus de 3 millions de téléspectateurs. Êtes-vous satisfaite de ces résultats d’audience ?

Je suis ravie ! C’est toujours une bonne surprise quand ça fonctionne. C’est une fiction exigeante, qui raconte des choses sur des années qu’on ne voit pas beaucoup, c’est une sorte de risque. Il n’y en a pas beaucoup de séries de ce genre, sans meurtre, avec un côté un peu romanesque.

Vous êtes présente à ce poste depuis 7 ans, un « exploit » à France Télévisions où les responsables se succèdent souvent année après année. Souhaitez-vous conserver votre fiction avec l’arrivée de la nouvelle présidente ?

Le plaisir de la fiction est toujours renouvelé, car je ne fais jamais la même chose. Il y a des gens différents, des films différents, cette adrénaline de plaire au public. Je ne suis pas lassée. Après, peut-être que je lasse des gens, mais ils ne me le diront pas ! (rires) Je trouve que le nouveau projet pour France Télévisions est ambitieux, « y a plus qu’à » !