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Nicolas Jordan (Cauchemar en cuisine, Rivalis) : « Ce que l’on voit à l’écran est la partie immergée de l’iceberg... »

Joshua Daguenet
Par
Rédacteur TV & Séries
Publié le 18/06/2019 à 17:36

Depuis 2016, Nicolas Jordan représente Rivalis dans Cauchemar en cuisine. Expert en pilotage, il conseille et suit attentivement les établissements secourus par Philippe Etchebest. Dans un entretien pour Toutelatele, l’expert a livré la méthode de travail de son entreprise, détaillé les dessous de sa collaboration avec le chef, tout en désignant sa mission la plus mémorable sur M6.

Joshua Daguenet : Vous officiez dans Cauchemar en cuisine en tant qu’expert pilotage. Comment préparez-vous vos missions ?

Nicolas Jordan : Je fais partie d’une société qui a 25 ans d’ancienneté, Rivalis, dont la vocation est d’améliorer la rentabilité des entreprises de moins de 20 salariés. Nous passons en amont par un repérage avec un entretien de découverte avec les dirigeants de l’entreprise pour, de mon côté, récupérer un maximum d’informations chiffrées. Le rôle du pilotage est d’établir une stratégie commerciale, augmenter les marges, déterminer quels sont les points d’amélioration vis-à-vis de l’établissement…

Les restaurateurs en difficulté seuls font appel à vos services, ou bien avez-vous aussi des patrons qui sont dans une démarche d’optimisation ?

Nous avons différents canaux. Une clientèle en difficulté qui nous contacte assez simplement, d’autres que nous démarchons pour améliorer leur rentabilité. Il y a aussi ceux qui sont en création et ceux qui souhaitent valoriser leur entreprise avant de la vendre.

Votre clientèle se résume-t-elle aux restaurateurs ?

Nous avons des TPE [très petites entreprises, ndlr] dans la restauration, le bâtiment, des professions libérales et des commerçants.

De votre côté, la restauration est-elle une spécialisation ?

Au niveau du siège, mon rôle est de garantir le savoir-faire et que la méthode de pilotage soit correctement appliquée car nous avons un réseau de 522 experts en pilotage entreprise sur le terrain. Je suis leur porte-parole dans le cadre de l’émission. Au niveau du suivi, je travaille avec mes experts en local car tout seul, ma vie professionnelle se résumerait à être aux quatre coins de France, donc je collabore avec des relais indépendants.

Pourquoi M6 a-t-elle été chercher Rivalis comme partenaire ?

Parce qu’on est les meilleurs ! (rires). En résumé, nous avons fêté nos 25 ans le 6 juin dernier, or pour nos 20 ans, Philippe Etchebest a accepté de participer à notre congrès annuel. Lors de sa venue, il a rencontré certains des experts Rivalis et il a passé un bon moment avec nous donc nous sommes restés en relation avec lui. À un moment, M6 et Philippe Etchebest ont réalisé que les entreprises redressées dans Cauchemar en cuisine finissaient par péricliter, non pas parce que Philippe Etchebest faisait mal son job, mais parce qu’il manquait un suivi précis. La chaîne nous a contactés pour intervenir pendant l’émission. Ce que l’on voit à l’écran est la partie immergée de l’iceberg. Trente personnes sont présentes au quotidien pendant une semaine, sauf que le samedi ou le lundi matin, les restaurateurs se retrouvent à nouveau seuls avec un nouvel établissement, un nouveau positionnement, une nouvelle déco, une nouvelle carte… C’est un peu compliqué !

« Neuf fois sur dix, les choses sont évidentes pour Philippe Etchebest et pour moi »

Philippe Etchebest oriente-il les changements de carte selon vos constatations en amont ?

Philippe Etchebest n’est jamais au courant de l’établissement, c’est la surprise quand il arrive. De notre côté, nous mentionnons des choses qu’il remarquerait s’il y passait autant de temps que nous mais ce n’est pas son rôle. Nous confrontons nos points de vue le jour de mon intervention à l’écran mais également un peu avant le tournage. Nous nous mettons d’accord pour voir si la stratégie qu’il veut mettre en place correspond à mon expertise. Neuf fois sur dix, les choses sont évidentes pour lui comme pour moi.

Vous apparaissez une à deux minutes aux côtés de Philippe Etchebest. Quelle est la réelle durée, en moyenne, de ces entretiens avec le chef ?

Cela varie de trente minutes à deux heures. Quand je me déplace loin, je dîne la veille avec le chef. Cela nous permet d’échanger mais nous parlons de plein de choses tout en abordant forcément le cas du restaurant.

Votre analyse est-elle prise en compte par la production dans sa sélection de restaurants ?

Oui, nous n’avons pas un « droit de véto » mais posons le regard cru d’un médecin qui osculte et se dit qu’il ne peut pas sauver tout le monde. Nous nous demandons s’il n’est pas trop tard pour le candidat que nous devons secourir. Mon positionnement est simple : la production me demande de valider des candidats qui ont une possibilité de survivre jusqu’à quelques mois après la diffusion de l’émission. Il m’arrive de classer vert / orange / rouge. Rouge, c’est trop tard. Quand un restaurateur a une dette fournisseurs de 25 000 euros, qu’il réalise 5 000 euros d’encaissement mensuel et qu’il accuse 10 000 euros de découvert, on ne peut pas faire grand-chose… De temps en temps, nous avons fait des paris mais il faut toujours se dire qu’il y a de l’humain. Ce ne sont pas des candidats de télé-réalité mais des patrons, et il y a des familles derrière.

« Je dois valider des candidats pouvant survivre quelques mois après la diffusion de l’émission »

Rencontrez-vous les restaurateurs aidés par Philippe Etchebest pendant le tournage de cinq jours ?

C’est extrêmement rare. Le but est de garder le côté spontané car nous sommes à la télé. Après le repérage, je n’ai plus de contact avec les restaurateurs sauf si l’on se croise par hasard. Le but pour moi n’est pas d’échanger avec eux ni de leur dire à quelle sauce ils vont être mangés car cette émission doit rester naturelle.

Vous rappelez-vous de votre première rencontre avec le chef ?

Cela reste un grand moment. Le chef est une référence. Quand on reçoit le meilleur ouvrier de France chez nous, c’est une chouette reconnaissance. Pour le premier tournage, je ne vous cache pas que ce n’était pas la même histoire. Je n’ai pas dormi la veille. Mais le chef sait mettre à l’aise et les équipes de studios sont très sympas.

Que vous a apporté, à titre personnel, cette collaboration avec Cauchemar en cuisine entamée en 2016 ?

C’est une fierté, tout simplement. J’ai cette chance de faire partie de Rivalis depuis sa création. C’est un projet monté avec deux copains de lycée et leur père. Quand on passe sur M6, cela crédibilise. On se doutait qu’on était dans le vrai car nous existons depuis vingt-cinq ans. Ce lien avec le meilleur ouvrier de France est bien. À titre personnel, on me reconnait de temps en temps dans la rue, mais cela n’a pas changé ma vie.

Quelle mission a été la plus marquante à vos yeux ?

Toutes les missions ont leur histoire mais je dirais la cinquantième. [Ecuisses, diffusé le 10 décembre 2018, ndlr] J’ai revu les restaurateurs quand j’ai dressé le bilan à Paris. Quand vous avez le cuisinier, sous morphine, qui n’arrive pas à marcher, dans un couple qui a quatre enfants… En revoyant l’émission, j’ai trouvé qu’elle était la plus émouvante. Je pense aussi à Strasbourg où une famille avait un découvert de 20 000 euros à la banque. La grève des trains a été un coup de poignard pour elle car l’établissement est situé en face de la gare. C’est dommage car leur affaire était repartie, mais quand il y a des éléments extérieurs, on ne peut rien faire.

Un mot sur la mission de ce mardi 18 juin, tournée à Roumazières-Loubert ?

La situation est différente par rapport à d’habitude car le restaurant a été repris en septembre, donc il n’y a aucune ancienneté. Il s’agit d’une petite affaire de famille. Le fils sera vraiment blessé et ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête car ils n’ont plus aucune trésorerie. Nous avons contacté en urgence une banque locale pour les empêcher de fermer. Grâce à Cauchemar en cuisine, elle a accepté de jouer le jeu mais ils ne sont pas encore sortis d’affaire. On attend avec impatience la diffusion pour qu’ils soient vite complets.