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Télé Cruella > Le diable s’habille en Hugo Boss

Emilie Lopez
Publié le 18/11/2007 à 17:28 Mis à jour le 27/12/2007 à 11:45

Qui aurait cru que derrière le pseudo américanisant d’Agathe Ward se cache en réalité Catherine Siguret, très sérieuse auteure d’une trilogie sur l’enfermement ? Car au milieu de ses précédents écrits, particulièrement « graves », Télécruella, son dernier opus en date, fait office d’OVNI. Oubliées Les tribulations de Tiffany Trott, au placard L’accro du Shopping, l’œuvre de la chroniqueuse de Direct 8 est une véritable perle d’humour servie par une écriture légère et tout en subtilité.

L’histoire, tirée de faits réels, emmène le lecteur dans les coulisses de la télévision française, plus particulièrement d’un talk show à succès d’une grande chaine hertzienne. L’héroïne, Agathe, simple journaliste, se voit, du jour au lendemain, confier le rôle tant convoité de rédactrice en chef de l’émission phare de la coqueluche du petit écran, un certain Sylvain Martin. Après quinze jours d’une « lune de miel professionnelle », la jeune femme se retrouve confrontée à la dure réalité : loin d’être un ange, son patron s’avère l’être le plus exécrable que la terre ait jamais porté.

Et dès le prologue, le ton est donné : « Un jour, un célèbre animateur de télévision menaça de pendre une journaliste au portemanteau après l’avoir attrapée au col, en hurlant « Je vais la tuer ! Je vais la tuer ! » Cette fille, c’était moi ».

Dans les premiers temps, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour Agathe. A commencer par son salaire : « 15.000 euros ! (...) J’ai failli lui sauter au cou. Compris que ça ne se faisait pas. J’ai failli éclater de rire. Compris que j’aurais eu l’air de me moquer. J’ai failli lui proposer de verser la moitié de la somme à une association de lutte contre la faim. Compris que je n’en étais pas capable. » L’accord scellé, la jeune femme entrevoit les prémices d’une déviance mentale annoncée : « Vous arrivez au bureau à 9 heures, impérativement. Moi c’est midi. M’appelez pas avant, sauf urgence. Quand je dis urgence, c’est scoop d’actu, une guerre ou truc dans le genre (...) N’oubliez jamais un mot de ce que je dis, mais attention, hein ! Ne notez rien sur un calepin ! Ca m’agace ! (...) Oubliez les diners, hein, sauf miracle où tout serait impec mais c’est jamais arrivé. ».

Pire, par la suite, l’homme se révèle être un misogyne, limite associal : « Les gonzesses qui m’emmerdent avec leurs chiards et leurs histoires de baby-sitters, non merci ! ». Malgré ces signes annonciateurs, Agathe ne soupçonne rien : « J’aurais dû être horrifiée, mais ce qui est horrifiant, c’est que je n’ai même pas réagi : je voulais ce job ! ».

Rien ne va en s’arrangeant, et c’est au fil des pages que le lecteur découvre, comme la journaliste l’a réalisé au fil des semaines, l’ampleur du désastre. Les situations, plus incongrues les unes que les autres, s’enchaînent : renommer un des collaborateurs de la star portant le même prénom que Sylvain Martin : « On va l’appeler comme il veut, Gérard, Ernest, peu importe, je m’en fous ! Je suis cool, je vais pas l’emmerder, je lui laisse le choix, mais pas Sylvain ! Sylvain, c’est MOI ! » ; Palier à une crise de la star car le sujet de l’émission, communiqué la veille, n’est pas indiqué dans le Télé 7 jours sorti le lendemain : « Si je vous l’ai donné hier, vous croyez que c’est un hasard ? C’était pour qu’il figure dans le programme d’aujourd’hui ! (...) Si Johnny meurt, mettons, il fait bien la couverture en kiosque, même s’il meurt un dimanche, non ? Ils meurent pas tous en début de semaine, que je sache ! Restez pas là à vous taire et à me regarder avec vos yeux de bœufs ! Bougez-vous le cul ! » ; Ou encore la découverte de la raison pour laquelle l’animateur ne présentera pas le Téléthon de la saison suivante, après avoir demandé en direct à une personne en fauteuil roulant «  ce qu’elle faisait en premier le matin en se levant » ! Autant d’anecdotes aussi étonnantes les unes que les autres, menant à un « court-circuit dans [le] cerveau assaisonné » d’Adolf, ainsi surnommé par son équipe, et au départ de l’héroïne de SM Productions....

Le plus intéressant dans cette œuvre est l’authenticité des faits. Et il est une question qui brûle les lèvres au sortir de ce roman : qui est donc Sylvain Martin ? La réponse est, dixit l’auteur dans une interview donné au site Internet Confidentielles.com, « un personnage inspiré de plein d’animateurs que j’ai connus, et dont j’ai pris un petit bout ». Ainsi, si l’ensemble ne retranscrit pas scrupuleusement une seule de ses expériences professionnelles, il est un condensé de chacune d’entre elles. Et la journaliste a officié aux côtés de grands noms, notamment, comme son personnage, en qualité de rédactrice en chef pour Y a pas photo, aux côtés du duo le plus méprisé du PAF, Bataille et Fontaine, ou encore Ciel mon mardi présenté par l’actuel meneur de revue de La roue de la fortune, Christophe Dechavanne. Lequel d’entre eux « s’avale un whisky dès 4 heures de l’après-midi pour se donner un coup de fouet » ? Ou met « du coton dans son pantalon (...) en argumentant que c’est pour le tombé de son pantalon » ? Seule l’auteure le sait vraiment. Mais de nombreuses pistes sont lancées tout au long des pages. Au lecteur de se faire sa propre idée...