Toutelatele

Viola Davis (Murder) : « En 27 ans de carrière, je n’avais jamais eu de scènes de sexe à l’écran »

Tony Cotte
Publié le 08/07/2015 à 19:19 Mis à jour le 09/07/2015 à 09:55

En arrivant dans un salon aménagé du Plaza Athénée, Viola Davis prévient qu’elle ne donnera aucune indication sur la saison 2 de la série qu’elle est venue défendre. Visiblement fatiguée entre le décalage horaire et une succession d’interviews, celle qui a 27 ans de carrière derrière elle reste bavarde quand il s’agit d’aborder ses sujets de prédilection. L’évolution du traitement des actrices à Hollywood est l’un d’entre eux. C’est ainsi en petit comité que Toutelatele a pu rencontrer celle qui incarne avec brio Annalise Keating dans How to get away with murder.

Toutelatele : Étant donné que vous ne pouvez rien dire sur ce que vous savez ou non de la saison 2, qu’attendez-vous, en tant que téléspectatrice, des nouveaux épisodes de la série ?

Viola Davis : Je veux en savoir plus sur moi, que l’on explore davantage ma relation avec Bonnie et celle avec Frank. J’aime qu’on s’intéresse aux personnages. C’est vraiment ce qui m’attire.

Si vous aviez l’opportunité de rencontrer Annalise Keating, l’aimeriez-vous ?

Je boirais probablement des verres avec elle. Je ne sais pas si je l’apprécierais en tant que personne et ce n’est pas vraiment une question que je me pose. En tant qu’actrice, si je devais composer avec un personnage que je devais apprécier dans la vraie vie, je serais amenée à tricher. À l’ « éditer ». C’est d’ailleurs, à mon sens, le problème des biopics. On voit la plupart du temps uniquement la partie héroïque. Pour paraphraser Jack Nicholson, vous ne pouvez pas « encaisser la vérité » [« You can’t handle the truth ! » dans Des hommes d’honneur, NDLR.]. Il est important de voir les fêlures, le côté vulnérable. L’épisode avec Cece Tyson était, en ce sens, le plus important de la première saison.

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Shonda Rhimes ?

Peter Nowalk a créé la série, il en est l’executive producer avec Betsy Beers et Shonda Rhimes. Lors de notre première conversation tous ensemble, j’ai fait part de mes conditions : je voulais qu’on me laisse montrer mon personnage en tant que femme. En tant que vraie femme j’entends. Je voulais avoir l’opportunité d’enlever ma perruque, de montrer mes cheveux tels qu’ils sont. C’est un plaisir de travailler avec une femme de couleur qui vous comprend, qui vous laisse être vous-même. Malheureusement, ou heureusement - c’est en fonction de votre point de vue-, nous sommes dans un business où tout le monde essaie d’être comme tout le monde. À partir du moment où votre héroïne est sexualisée, qu’elle ressemble à ce qu’elle doit ressembler et parle comme elle doit parler, tout va bien. Si vous ne correspondez pas aux critères, vous êtes considérée comme une erreur de casting. Et ça, je ne le comprends pas. J’ai donc aimé ce premier entretien. J’ai adoré que Shonda me donne cette permission.

« La prise de risques est le point commun des plus grands. »

Que craigniez-vous avant chaque rencontre avec un producteur ou un représentant d’un studio ?

J’ai le sentiment que la pire chose qu’on peut faire à nos carrières, c’est le « type casting » [Engager un acteur facilement identifiable à un genre précis de rôles, NDLR]. Après tout, qu’est-ce qu’un « type » ? Montrez-moi quiconque enclin à faire un rôle en particulier et je peux vous présenter 50 personnes capables de le faire sans avoir la « tête de l’emploi ». Je sais que j’ai déjà été mise dans des cases. C’est pourquoi jouer Annalise est une expérience qui me transforme.

Avez-vous recensé les différentes réactions des téléspectateurs ?

Je n’ai évidemment pas lu tous les avis autour de la série. Je me doute qu’il doit y en avoir du négatif. Mais je crois que How to get away with murder a été libérateur en un sens. Et pas uniquement pour les personnes de couleur. En tant que femme, on nous apprend que si nous ne sommes pas belles, nous n’avons pas de valeur. Et en 2015, il est temps de mettre un terme à ce genre d’idées…

Que vous inspire un rôle comme celui d’Annalise Keating aujourd’hui ?

Il n’y a pas beaucoup de gens prêts à vous donner une opportunité comme celle d’un rôle principal dans un programme aussi populaire que How to get away with murder. Quand on a cette chance, il faut savoir la saisir et faire quelque chose de différent. Et c’est ce que je répète à ma fille, qui n’a pourtant que 4 ans : oser l’échec. C’est difficile, je le sais. La majeure partie du temps, le problème qui se pose est de connaître son travail en tant que personnalité publique et en tant qu’actrice. Mon métier est d’incarner des êtres humains. L’Actor’s Studio enseignait, selon la méthode de Constantin Stanislavski, l’art d’observer la vie autour de soi, de s’inspirer des réactions des gens. Et c’est ça qu’il faut transmettre à son personnage : une actrice ne doit pas se demander en arrivant sur un plateau quelle coupe lui va le mieux ou quelle couleur la met en valeur. La prise de risques est le point commun des plus grands.

En tant que femme, quel regard portez-vous sur le traitement des actrices à la télévision ?

Des scénaristes écrivent enfin pour des femmes, et des femmes de plus de 40 ans qui plus est. C’est ça la révolution ! Il suffit de voir Julianna Margulies, Taraji P. Henson, Robin Wright Penn... Ça ne se serait pas produit il y a quelques années. Il y a de plus en plus de diffuseurs entre Amazon, Netflix, FX… À mon époque, il n’y avait que trois chaînes de télévision, quatre si vous comptiez PBS, et la programmation s’arrêtait à minuit avec la diffusion de l’hymne américain [Rires.] L’offre étant plus importante, par conséquent les opportunités le sont également.

« Donner la réplique à Meryl Streep, ça change tout, à tous les niveaux »

Dans son livre à paraître, l’actrice Mindy Kalling affirme que tous les professionnels mentent en disant qu’ils ne prennent pas de plaisir à tourner des scènes d’actes sexuels. Que la simulation est, au contraire, plaisante pour tout le monde. Partagez-vous cet avis ?

Je ne prends pas de plaisir à le faire, mais je le fais, car c’est mon métier. J’ai 27 ans de carrière et j’ai fait beaucoup de choses, que ce soit sur scène ou à l’écran. Je peux dire que j’ai tout fait. C’est effrayant de retranscrire l’intimité en public. Imaginez ce que vous faites chez vous, la nuit : la façon dont vous vous brossez les dents, celle dont vous couchez avec votre partenaire… Imaginez reproduire ça devant 5 ou 10 millions de personnes. Rosalind Russell, l’une des plus grandes actrices de Hollywood, a dit que jouer était comme se mettre nue devant un public et tourner sur soi même tout doucement.

Après 27 ans de carrière, ces scènes ne sont-elles pas plus faciles à tourner ?

Laissez-moi vous dire quelque chose : les scènes de sexe dans How to get away with murder sont les seules que j’ai pu faire à l’écran. J’ai incarné un serial killer une fois, ainsi que des servantes, des avocates, des flics… Mais je n’ai jamais été prise contre un mur par un partenaire dont la masse graisseuse doit être de 0% [Rires.] J’ai fait des choses sur scène, j’ai montré des parties de mon corps pour le théâtre, mais sur un plateau, c’était la première fois. Je pense que je surprends des gens sur ce à quoi je suis prête à faire. Je suis actrice, je sais donc ce qui doit être fait. Ce n’est pas agréable pour autant.

Vous semblez avoir beaucoup de recul. Quels rôles selon vous ont changé la donne dans votre carrière ?

La Couleur des sentiments [The Help] a sans conteste était un « game changer ». Doubt y a contribué aussi. Mais je crois que donner la réplique à Meryl Streep, ça change tout, et ce, à tous les niveaux [Rires.]