Toutelatele

Elisabeth Quin (28 Minutes) : « La télévision est un cadeau absolu en ce qui me concerne »

Par
Rédacteur - Expert TV & Séries
Publié le 21/05/2014 à 18:44 Mis à jour le 06/06/2014 à 16:31

Transcendée par le septième art et férue de culture, Élisabeth Quin anime depuis janvier 2012, l’émission 28 minutes. En meneuse de débats, elle excelle à décrypter, avec son équipe et les invités, un fait d’actualité sous un ange neuf. Dans la case de l’access prime time où les 25 chaînes du PAF se partagent les parts d’audience, Arte fait, judicieusement, la part belle au prolongement de sujets marquants, à l’audace des prises de position et à la l’intellectualisme saillant que couve 28 minutes. Rencontre avec Élisabeth Quin qui ne se départit pas de son flegme.

Clément Gauthier : Que retenez-vous de l’émission Rive droite, rive gauche, émission sur l’actualité du monde des arts et des idées avec Thierry Ardisson ?

Élisabeth Quin : C’était l’âge d’or. Rive droite, rive gauche, était un format inventé par Thierry Ardisson, que tout le monde a repris après. C’était préparé entre gens cultivés, fantaisistes, légers. Ils étaient sérieux dans leur implication dans le monde de la culture, mais légers dans la manière gracieuse de ne pas embêter le téléspectateur. On avait l’impression, et les téléspectateurs également, de diner avec des amis tous les soirs quand on faisait l’émission, ce qui était extraordinaire.

Est-ce difficile de s’imposer comme femme de culture, dans un paysage audiovisuel particulièrement dense ?

Une femme qui s’intéresse à la culture. C’est drôle, car ce n’est pas une question qu’on se pose quand on accepte l’invitation d’Arte et des producteurs de l’émission. On ne parlait pas d’enjeu de positionnement, de concurrence entre les programmes, entre les projets, entre les individus qui font la télévision. C’était un pari fou de faire une émission de réflexion à l’heure du journal télévisé. On ne s’est pas posé la question de savoir si ça marcherait ou de se dire qu’on était trop audacieux. On y est allés avec la foi du charbonnier et l’inconscience totale. La place s’est faite très naturellement et l’émission a su s’imposer de manière assez miraculeuse. 28 Minutes est pour moi un prototype de rêve de liberté, de curiosité et de diversité éditoriale.

Quel rapport entretenez-vous avec le médium télévisuel ?

Je ne consomme pas la télévision sur un plan personnel. J’ai le minimum de chaînes à disposition. Ça ne m’intéresse pas du tout. Je suis beaucoup plus âgée que la plupart des filles qui font de la télévision en ce moment, ou qui débarquent avec une ambition chevillée au corps dans le désir de faire une carrière. J’ai un peu dépassé ce stade et du coup, la télévision est un cadeau absolu en ce qui me concerne, mais ce n’est pas le fond de ma culture. Je viens plus de l’écrit, de la lecture et d’un rapport à la cinéphilie. Du coup, je ne réfléchis pas comme une professionnelle, même si je devrais sans doute.

« Mon désintérêt de la télévision et la chose télévisée va jusqu’au fait que je ne regarde jamais ce que je fais »

Pourquoi évitez-vous de regarder la télévision ?

Parce que la vie est ailleurs. Entre les livres que je lis, les pièces de théâtre ou les expos que je vais voir, ma fille que j’élève, le cinéma que je continue à suivre, et la vie, aimer, vivre, manger, jouir, voyager, la télévision est réduite à la portion congrue. Je regarde de temps en temps, sur internet, quelques émissions ou documentaires. Il m’arrive de me mettre devant le JT du dimanche soir sur France 2 pour rire des mèches de Laurent Delahousse, me gausser de son côté « je suis habillé comme un Stewart et je fais des interviews ineptes, mais je suis populaire et j’en jouis ». Mon rapport à la télé s’arrête là.

Que représente votre rôle de meneuse de débats ?

Je ne pourrais pas décrire ce que je fais. Il y a comme un angle mort qui serait le regard réflexif sur mon travail. Je suis impitoyable, par ailleurs, car mon désintérêt de la télévision et la chose télévisée va jusqu’au fait que je ne regarde jamais ce que je fais. C’est sans doute une erreur, car je pourrais progresser. Mais je ne supporte pas mon image. Sinon, il y a une notion de chaleur et de fantaisie, autant que ça puisse être possible, quand on traite des sujets sérieux, voire dramatiques comme ce qu’il se passe en Ukraine, en Égypte ou quand on parle de jihadisme. Il y a toujours, et ça m’est consubstantiel, une dimension chaleureuse ou accueillante. On n’est pas au Collège de France, mais à la télévision sur une chaîne qui a longtemps eu une image de chaîne archi cérébrale et qui est, en fait, plus surprenante et fantaisiste que son image.

Partie 2 > Les méthodes et la Une de Christophe Barbier / Ses projets


Comment faites-vous pour décupler l’intérêt des téléspectateurs pour 28 minutes ?

Mon producteur m’a dit un jour : « Il faut que tu aies l’air d’en savoir moins que ce que tu n’en sais ». Pour être dans un rapport, non pas de modestie, mais intéressant en terme d’humilité par rapport aux gens qui regardent. Je ne l’ai jamais oublié. Thierry Ardisson était pareil, il faisait l’imbécile avec un naturel confondant. Il faisait le candide ou le couillon alors qu’en fait, c’est une personne très cultivée. C’est une manière de donner aux invités la chance d’être au meilleur d’eux-mêmes et de ne pas jouer aux cuistres, car des gens intelligents, il y en a partout. On n’est pas là pour étaler notre culture, mais plutôt pour faire affleurer et révéler celle de ceux qu’on invite.

Quel mot avez-vous à dire en amont par rapport aux invités qui sont sur le plateau ?

Les programmatrices sont extrêmement qualifiées, car elles possèdent un carnet d’adresses hors-norme et elles les connaissent très bien. Elles réagissent au quart de tour et proposent des noms. Si j’ai une suggestion, je l’ajoute. C’est très intuitif. La programmation demande une alchimie extraordinaire parce qu’un plateau mal programmé est une catastrophe absolue. On est physiquement mal. C’est comme une couleur dissonante sur un tableau. La programmation est cruciale et mystérieuse, car on ne peut pas savoir ce qu’il va se passer que sur le moment. C’est le calcul de l’intuition des programmatrices, leur intelligence et leur connaissance de-qui-fait-quoi et qui-parle-de-quoi.

Comment faîtes-vous pour réagir sur une actualité chaude, aussi rapidement, au quotidien ?

Le risque serait de donner dans le travers des chaînes « toute info » qui remplissent le vide et conjurent l’angoisse absolue des gens de télé avec le fait qu’une crise n’est pas résolue, qu’on n’en connait pas l’issue. Pour 28 minutes, il faut, à chaque fois, que l’on trouve un angle qui prend un peu de hauteur par rapport à des questions qui sont difficiles à élucider. Dans le cas de Poutine, par exemple, il y avait des négociations à Bruxelles et une réunion du ministre des Affaires étrangères donc la question était de savoir, comment agir pour tenter de bloquer son appétit hégémoniste. Et on fait intervenir des spécialistes de la Russie, des géopoliticiens. L’idée étant toujours qu’on a un avantage, à savoir du temps. Les gens ont le temps de développer, d’élaborer des hypothèses de travail et de les confronter à celles des autres en plateau.

« L’idée est que les gens ne sachent pas où je me situe sur l’échiquier politique »

Vous avez été très engagée face à Christophe Barbier en réponse à sa Une de L’Express « misogyne ». Est-ce difficile de ne pas être trop subjective en fonction des invités en plateau ?

Ma subjectivité est réelle. C’est pour ce que je suis qu’on m’a demandé d’animer cette émission. J’ai des partis pris. Je pense que dans l’affaire Barbier et la une de L’Express, j’étais sincèrement exaspérée par cette façon dont ils ont traité cette histoire. En même temps, ça participe un tout petit peu de la comédie médiatique où l’on surjoue les réactions. Sur un plan intellectuel, mon exaspération était réelle. C’est devenu une séquence de quatre minutes avec une sorte de mise en scène inévitable. L’idée est que les gens ne sachent pas exactement où je me situe sur l’échiquier politique. Ce qui est beaucoup plus intéressant, car ça permet de poser toutes les questions de candides possibles et imaginables. Subjectivité, mais mon penchant politique est indétectable et je suis une femme dans un monde d’hommes, la télévision. Je suis plus âgée que la plupart des filles qui présentent des émissions donc j’ai plus de vécu, plus d’expérience, peut-être plus de recul, et ça peut me rendre plus sarcastique par rapport à des tics ou des modes.

Avez-vous de nouveaux projets en cours, au niveau de l’écriture notamment pour laquelle vous avez un penchant ?

Par rapport à la télévision, je n’en ai aucun à part continuer 28 minutes pendant dix ans. Il y a une vraie plénitude dans le fait de poursuivre cette émission. J’ai publié un livre, il y a six mois, qui n’a rien à voir avec tout ça et qui porte sur la notion de style [Le détail qui tue, petit précis de style de Marcel Proust à Kate Moss, coécrit avec François Armanet chez Flammarion, ndlr]. Sinon, je dois rendre un roman à mon éditeur bien aimé et très patient, Grasset, pour le publier dans deux ans.