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Pierre Bellemare, souvenirs de près de 60 ans de télévision, de Télé-match à TF1

Alexandre Raveleau
Publié le 04/05/2013 à 13:21 Mis à jour le 18/05/2013 à 19:47

A 83 ans, Pierre Bellemare a connu les débuts de la télévision française, une époque dont il ne reste plus que des souvenirs, l’enregistrement n’étant pas encore inventé ! De Télé-match à La Tête et les jambes, en passant par le Télé-achat, l’animateur revient sur sa carrière. Depuis le 25 février dernier, il présente Pierre Bellemare raconte sur Toute l’Histoire, chaque lundi à 17 heures.

Alexandre Raveleau : André Gillois est l’homme qui vous a mis le pied à l’étrier. Pouvez-vous nous raconter vos premiers pas à la télévision ?

Pierre Bellemare : André Gillois était un homme de radio et un grand résistant. Après la Guerre, il a repris ses émissions et je travaillais à ses côtés. Et puis, il a vendu à Jean d’Arcy (directeur des programmes de la télévision française, ndlr) un jeu. Son titre était Télé-match. C’était un jeu de l’oie, avec un parcours, des cases et surtout un jeu par case. Il a recruté tout Paris pour les imaginer. Tout naturellement, il s’est adressé à moi et à Jacques Antoine. Nous lui en avons vendu huit. C’est tout. Nous n’avons rien fait d’autre.

Comment avez-vous pris les commandes de ce jeu ?

La première version a été présentée par Jacques Benetin. Nous avons assisté aux premières répétitions. Nous découvrions la télévision. Tout ça se déroulait au Théâtre de l’Étoile, il y avait des caméras, Igor Barrère à la réalisation... Et puis, les candidats ont passé leur temps sur « retourner à la case départ » ou « prison », si bien qu’il ne se passait absolument rien ! Au bout de trois quarts d’heure, Jean d’Arcy a appelé la régie et leur a dit « coupez ! ». On s’est dit qu’on avait failli assister à une expérience de télévision... Le lendemain, André Gillois nous appelle pour passer à son bureau. Il nous a annoncé que Jean d’Arcy voulait un jeu, mais que ce n’était pas fait pour lui. Il a ajouté : « Je vous ai recommandé. Vous commencer dans quinze jours. La seule chose que je vous demande, c’est que vous conserviez le titre de Télé-match ». Avec Jacques, nous avons ressorti tout ce qu’on savait et on a fabriqué une émission qui n’avait plus rien à voir avec le jeu de l’oie. C’était parti.

« Faire mon direct toutes les semaines, j’en avais vite marre »

Vous avez ensuite animé de très nombreux jeux durant votre carrière. S’il ne fallait en retenir que trois ?

Le premier serait La Tête et les jambes, un très grand jeu, même s’il n’a pas duré si longtemps. En fait, je me lassais très vite en télévision. Faire mon direct toutes les semaines, j’en avais vite marre. Au bout de deux ou trois ans maximum, je proposais autre chose. Pour compléter la réponse, je choisirais Tous pour un et puis Pas une seconde à perdre. Cette émission a duré jusqu’en mai 1968. Après, on a tous été mis à la porte ! Pour ma part, j’en ai profité pour partir en vacances ! Et alors que je me retrouve sur la Côte d’Azur, Guy Lux m’appelle. Il me dit : « Il faut que tu rappelles Paris. Je viens d’avoir une nouvelle émission ». Et effectivement, on est reparti. La seule chose qu’on nous a demandée consistait à oublier tout ce qui avait existé avant mai 1968. Il a donc fallu inventer d’autres programmes.

Si vous n’aviez pas été rappelé par la télévision, auriez-vous par vous-même recontacté l’ORTF ?

Non. Pour moi, c’était fini.

Partie 2 > Les secrets de la création du Télé-achat sur TF1

Au milieu des années 1970, La Tête et les jambes a connu un succès incroyable. Il vous a également permis de découvrir une invention américaine : le prompteur. Pouvez-vous revenir sur cette anecdote ?

Nous avons effectivement vendu La Tête et les jambes en Italie, puis aux États-Unis et en Allemagne. Pour les USA, tout a commencé avec une colonne dans la page télé du Times avec ce titre : « Le jeudi, les Français oublient Françoise Sagan pour la Tête et les jambes ». Le lendemain de la publication, notre représentant m’annonce que les Américains voulaient le jeu. Et le jour de la première se déclenche le scandale des jeux truqués... Pour une question d’audimat, on donnait les réponses aux candidats par avance. Tous les jeux de questions ont été supprimés. Là bas, le contrat minimum était de 13 semaines. On a donc fait 13 semaines et bonsoir. Un bide total. Par contre, quand je suis allé là-bas, j’ai vu un appareil avec un écran et des textes qui défilaient. J’ai ramené le prompteur. J’en ai parlé à mes copains journalistes. Il y avait alors un tel décalage entre l’Amérique et nous.

Vous êtes à l’origine d’une autre « importation », le Téléshopping. Comment est née cette idée ?

J’ai eu ce concept dans un avion qui faisait Paris - Nice. J’étais assis à côté d’un monsieur qui s’appelait Kaufman. Il me raconte qu’il avait vu à Chicago un truc qui venait de faire une entrée terrible en bourse, le télé-achat. « Vous connaissez ? » me demande-t-il. Je dis non. « Vous voulez que je vous fasse un dossier dessus ? ». Je réponds oui. Très vite derrière, il y a eu l’annonce de la privatisation de la une. À partir de là, j’ai gambergé sur la question. Jusqu’où pouvait-on aller pour que l’antenne soit la plus commerciale possible ? C’était le télé-achat. En avril, TF1 a été acheté par Bouygues. En juin, je propose l’idée. On a démarré le 5 octobre suivant avec une infrastructure de vente et de stockage extraordinaire. Fort heureusement, nous avions affaire à un constructeur du bâtiment. Formidable ! (rires) Au premier anniversaire de TF1, j’étais à la table de Francis Bouygues. Il m’a dit : « Bellemare, vous être notre société filiale qui marche le mieux. Merci ! »

« Au début, tout le monde m’a reproché de devenir camelot à la télévision, quelle honte ! »

Le télé-achat marque une rupture dans votre carrière. Avez-vous essuyé des critiques ?

Au début, tout le monde m’a reproché de devenir camelot à la télévision, quelle honte ! Il a fallu attendre six mois et un article dans Le Monde pour qu’on s’aperçoive que c’était là une nouvelle forme de commerce. À partir de ce moment, le ton a changé envers moi. Je n’étais plus l’infâme commerçant de quartier, mais un industriel. Le but non avoué, mais réel, de l’affaire, c’était que ma carrière était plutôt sur la fin. Je me disais que ma société ne reposait que sur mon nom. Quand je m’arrêterai, elle n’aurait plus aucune valeur. L’idée était donc d’amener quelque chose de plus solide. Mon fils (Pierre Dhostel ndlr) est aujourd’hui le patron de cette affaire. Moi, je n’ai plus rien à voir là dedans.