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Samuel Bodin et Alexandre Philip (Lazy Company 2) : « Ce tournage a été compliqué parce qu’on était plus ambitieux qu’en saison 1 »

Marion Olité
Publié le 07/04/2014 à 15:59 Mis à jour le 09/04/2014 à 00:50

L’âme de Lazy Company, c’est eux. Créateurs et scénaristes de cette comédie ovni qui se déroule pendant la Seconde Guerre Mondiale, Samuel Bodin et Alexandre Philip reviennent pour Toutelatele sur les coulisses de la saison 2, actuellement diffusée sur OCS City. Sériphiles et cinéphiles avertis, ils commentent leurs nombreuses influences, et font le point sur la saison 3 de leur bébé.

Marion Olité : A-t-il été facile de vous replonger dans l’histoire de la Lazy Company ?

Alexandre Philip  : Le processus a été enclenché juste avant la diffusion de la saison 1, OCS était très contente et nous a commandé une saison 2 dans la foulée. On s’est donc tout de suite remis dedans. Le processus d’écriture n’a pas été compliqué. Notre première saison se terminait sur un élan de plus en plus épique. On savait qu’on allait continuer là-dessus. On avait laissé tellement d’intrigues et de personnages en suspens en fin de saison 1 que ça a été un vrai bonheur de replonger dans cette histoire. Les acteurs qui incarnent les personnages se sont retrouvés à être eux-mêmes des sources d’inspiration.

Comment s’est déroulé le processus d’écriture de cette saison ?

Samuel Bodin  : On a d’abord décidé avec Alex de la direction générale à prendre, puis de celle de chaque personnage. On part donc d’un tout petit pitch, avec les quelques intrigues qui constituent l’ossature de la saison. On s’est demandé où on voulait que les personnages nous emmènent. Et puis il y avait une envie d’abandonner tout ce qui était gags anecdotiques, tout en gardant ce qui est inhérent à leurs personnalités et à leurs « non-talents ». Forcément, ils se retrouvent encore dans des situations un peu bizarres. Et ce n’est pas grave si ce n’est pas drôle toutes les minutes. Ce qui compte dans cette saison, c’est ce qui va leur arriver.

Quelle est la tonalité de cette saison 2 ?

Samuel Bodin : Elle est plus sombre. On voulait vraiment s’éloigner de la comédie humoristique à sketchs. Il y a un moment dans le processus où c’est le personnage lui-même qui décidait de ce qui allait se passer ! On ne réfléchissait plus en se disant : « Ah tiens j’ai une idée pour untel », mais tout l’oblige à aller dans direction précise, à affronter les épreuves qui l’attendent. Forcément, les choses deviennent plus graves. On n’a jamais eu peur d’aborder des thèmes sérieux ou des gros sentiments. Donc, on y a été à fond.

Cette direction est-elle compatible avec des personnages aussi déjantés et parodiques que ceux de Lazy Company ?

Samuel Bodin : Nos personnages sont extrêmes, mais pas tous au même niveau. Le plus barré, c’est Hitler. Mais même lui commence à avoir des objectifs personnels, qui sont évidemment assez particuliers ! Si on y croit, même si le personnage est parodique, on va le suivre. Et puis un personnage qui nous fait beaucoup rire va plus facilement nous émouvoir. Ça veut dire qu’il nous touche. On essaie d’éviter la parodie. On va dans des choses très poussées, mais on essaie de ne pas rire de leurs malheurs. On ne les juge pas.

« Notre ambition était de proposer plus de scènes d’aventure, donc on a connu de vrais casse-têtes »

Comment s’est déroulé le tournage de cette saison 2 par rapport à l’expérience de la première ?

Samuel Bodin : Ce tournage a été compliqué parce qu’on était plus ambitieux qu’en saison 1. Au début, on est parti avec cinq jours de plus que l’année passée. Au final, on a eu qu’un seul jour de plus et quelques heures sup’. On a donc du rétrécir des choses, tout en ayant des plateaux où l’on était plus nombreux qu’en saison 1. Ça n’a pas été simple à gérer. En même temps, les défis sont plus intéressants. Et on a réussi à coller à l’esprit qu’on voulait véhiculer avec ce format. C’était le jeu. De toute façon, je n’aime pas m’installer.

Alexandre Philip : On a bénéficié d’un budget un peu plus conséquent qu’en saison 1. On se fixe un cadre dès l’écriture, en prenant en compte le fait que ce ne sera pas possible de faire arriver un sous-marin nucléaire ! Notre ambition était de proposer plus de scènes d’aventure, donc on a connu de vrais casse-têtes. C’est aussi tout le plaisir de ce projet là. On essaie de faire des choses assez épiques et aventureuses. On joue sur des astuces de mises en scènes, mais aussi d’accessoires et de costumes, avec un peu d’effets spéciaux. On essaie de combiner tout ça ensemble pour un résultat qui permette de croire à ce qui se passe.

La part des effets spéciaux dans Lazy Company est-elle importante ?

Samuel Bodin :Il y a deux types d’effets spéciaux utilisés sur la série : ceux de plateaux et les effets numériques. Je salue d’ailleurs Olivier Junquet, qui s’occupe de tous les effets numériques sur la série. Le budget est très limité, donc il faut vraiment savoir où on les met. Dans Lazy Company, on est tellement content d’en avoir mis un à tel endroit que ça ressemble à un clin d’oeil ! On réfléchit beaucoup en amont sur le temps, le coût et la justification de l’effet. Il n’y a pas d’effets numériques « réparateurs » par exemple.

Partie 2 > Lazy Company, les influences


Peut-on revenir à cet épisode assez fou qui rend hommage aux films de zombies ?

Alexandre Philip : Avec Philippe Lozano à la lumière, on a vraiment essayé d’éclairer cet épisode comme les vieux films gothiques, des années 30 à 60. Ça nous a demandé bien plus de temps que d’habitude. Sur le plateau, on a ajouté les éclairs que je voulais réels. D’un point de vue technique, ça nous changeait un peu d’ambiance. On s’est mis à décadrer les plans.

Samuel Bodin : On avait comme référence les films de Georges Romero. On lui fait un bisou d’ailleurs (rires). Mais bien avant, on a pensé à des choses comme Haunted ou les films de la Hammer.

Et de façon plus générale, quelles ont été vos influences sur cette saison ?

Alexandre Philip : On cite toujours la meilleure série du monde pour nous, Les Simpson, surtout en terme de situation. On a gardé un moment chanté dans cette nouvelle saison, pour le clin d’œil aux comédies musicales. On reste aussi très inspirés par une sitcom déjà citée en saison 1, Community. À l’image de cette série, certains épisodes de Lazy Company abordent un genre et un thème précis, comme sur l’épisode de zombies ou de procès. Pour ce qui est des nouvelles inspirations, citons New York Unité Spéciale ou New York Police judiciaire, mais aussi Le Journal de Bridget Jones dans un épisode centré sur le journal de Chester.

Vous avez en effet laissé la part belle à une ambiance très comédie romantique...

Samuel Bodin : Oui, et on va continuer. C’est un chemin qui nous intéresse. L’amour est la chose la plus compliquée et la plus fascinante qui puisse arriver à un être humain. Tant qu’on décide de raconter des histoires, même avec des bêtises dedans, mais en restant sincère, on est obligé d’y passer. C’est le sujet que je préfère au monde, quoiqu’il arrive.

Alexandre Philip : On fait une série sur la Seconde Guerre Mondiale, mais on ne parle finalement pas tant que ça de la guerre. C’est un décorum tellement puissant qu’il joue déjà pour nous. Est-ce qu’on va aller raconter « la guerre c’est dur colonel », ou est-ce que le gars ne va pas plutôt regarder la photo de sa femme ? Nous, on préfère qu’il regarde la photo de sa femme. Ça nous intéresse plus.

« Les producteurs ont eu peur du personnage de Sanders »

Quels sont les autres grands thèmes de cette saison 2 ?

Alexandre Philip : On remet en question l’amitié entre les membres de la Lazy Company. On aborde aussi des thèmes comme l’amour, la mort et la perte. On s’amuse à dire que la saison 2 a un mariage, une mort, une naissance, une résurrection, une bombe nucléaire, et toujours nos quatre guignols (rires) ! C’est un bon résumé. On va parler de grandes joies et de grandes pertes.

Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution des personnages de cette saison 2 ?

Samuel Bodin : Hitler (Quentin Baillot) sera plus méchant que jamais. Notre Albert Einstein (David Salles) essaie de faire comme il peut. Il est un peu soupe au lait (rires). On a un général féminin plutôt spécial.

Alexandre Philip : Sa fille (Vanessa Guide) est un agent de l’OSS qui va chapeauter la mission pour sauver Einstein. C’est un peu une femme fatale. On a un savant fou aussi, le Docteur Klaus Von Über, qui est notre Docteur Folamour. Il a des lubies et des projets personnels flippants.

Samuel Bodin : Les personnages que l’on connaît déjà vont emprunter des chemins plutôt étranges pour certains. Niels et Chester vont devoir faire face à des histoires de cœur.

Vous fixez-vous une limite dans l’excentricité de vos personnages, et dans votre façon de réécrire l’histoire ?

Samuel Bodin : La seule limite que l’on se donne, c’est le moment où ce qu’on raconte risque de perdre le téléspectateur. La limite est très différente selon les thèmes abordés, et selon les personnages. On ne se dit pas : « Là, on a été trop méchant ou trop grossier ». Sur le personnage de Sanders (la générale incarnée par Anne Benoît, ndlr), on voulait vraiment travailler la grossièreté. Les producteurs ont eu super peur au début avec elle. Ils pensaient qu’on ne pouvait pas lui faire dire des choses aussi crues, mais ça fonctionne parce que c’est elle qui le dit. Il n’y a pas donc pas vraiment de limites dessinées à l’avance. Pour chaque moment, on se les fixe, et parfois, on se trompe.

Partie 3 > Lazy Company, secrets de fabrication et saison 3


Vous commencez la saison par un flashforward sur un mariage. Pourquoi ce choix, qui rappelle le modus operandi des séries américaines ?

Samuel Bodin : On est très sériphiles. Ce qui n’empêche pas les références ciné comme Wes Anderson, Tarantino ou Leone. Et on a les deux pieds dans un style Indiana Jones sur la fin de la saison. Mais les séries ont un langage narratif personnel qu’il ne faut pas nier. Lazy Company reste une petite série pour la télévision. Il faut utiliser ses codes, venus de sitcoms géniales comme How I Met Your Mother ou Friends. Elles arrivent à te faire suivre une histoire dans un appartement, et à te passionner pour les personnages.

Vous mélangez à nouveau énormément de genres dans cette saison 2 : action, comédie burlesque, romance, fantastique. N’avez-vous pas peur de perdre le téléspectateur ?

Alexandre Philip : Le vrai boulot, passionnant pour le coup, est justement de réussir à faire monter la mayonnaise sans perdre les gens. Je ne dis pas qu’on y arrive toujours. On doit perdre quelques téléspectateurs au passage, mais c’est impossible de plaire à tout le monde. On est très content de tout le processus qui nous a amenés à ce qu’on propose sur cette saison 2. Sur l’épisode 4 par exemple, on s’inspire de Bridget Jones et des séries de procès, avec en plus un petit moment chanté. Ces genres différents ont nourri notre imaginaire dans le processus d’écriture. Le genre vient servir l’histoire, pas le contraire.

Samuel Bodin : Notre génération a commencé à arrêter de classer les genres par ordre d’importance. Je me reconnais là-dedans. On a grandi avec Citizen Kane et Robocop. Les deux ne sont pas incompatibles. Ils nous touchaient de manière différente. Avec une série, on s’est rendue qu’on pouvait raconter plein de choses. On peut aller de l’aventure à une histoire d’amour. Par exemple pour Niels, on savait qu’il devait régler son histoire d’amour de la saison 1. Mais l’ennui c’est que la personne (Hisla, ndlr) est morte. Comment on fait ? Il fallait la ressusciter. On ne s’est pas dit d’abord : « On va faire un épisode avec des morts-vivants. ». C’est ce qui va arriver à nos personnages qui nous emmène dans des endroits particuliers. On en a aussi un peu envie (sourires), mais c’est sûr que ce serait plus compliqué à réaliser dans un film. Là, on peut se le permettre, surtout avec cette série qui a son degré de crédibilité.

« Les séries ont un langage narratif personnel qu’il ne faut pas nier »

Où placez-vous ce degré de crédibilité ?

Alexandre Philip : Le degré de crédibilité ne se situe pas dans les faits. On n’essaie pas de faire croire que cette histoire a eu lieu. Même si on s’amuse à dire que ce sont des pages arrachées de l’Histoire, elles ont été chiffonnées puis jetées à la poubelle ! Par contre, le téléspectateur doit croire à tout ce qui arrive aux personnages. L’émotion doit être réelle.

Samuel Bodin : C’est là où Lazy Company se distingue de la parodie. Nos protagonistes peuvent être extrêmes ou autoparodiques, mais on ne va jamais rire d’un mort. On ne fait pas Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? ou Hot Shot. Les situations arrivent vraiment. On veut que les personnages soient à fond dedans, et ne possèdent pas de distance par rapport à ce qui leur arrive. Nous, on peut en prendre et encore, en tant qu’auteurs, on y croit à mort !

Vous reste-t-il des munitions pour une saison 3 ?

Alexandre Philip : On en a toujours, même si on en dépense beaucoup ! OCS nous a commandé une saison 3, qui est en cours d’écriture, avec toutes nos arches tracées. Là, on est sur les dialogues de l’épisode 2. Il arrive encore plein de choses à nos héros. C’est la continuité directe des conséquences du dernier épisode de la saison 2. On explore d’autres modes de narration dans cette saison 3. On fait des sauts dans le temps.

Avez-vous toujours besoin d’innover ?

Alexandre Philip : Oui, sinon on s’ennuie. Lazy Company constitue un terrain de jeu hyper intéressant. Pour nous, si un personnage est le même entre la saison 1 et la saison 3, ça n’a pas le moindre intérêt. Beaucoup de séries s’embourbent, car leurs protagonistes n’évoluent pas.