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Alain Le Diberder (Directeur des programmes d’Arte) : « Arte creuse son sillon avec la série européenne du jeudi »

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Rédacteur - Expert TV & Séries
Publié le 20/07/2014 à 18:41 Mis à jour le 29/07/2014 à 17:38

Alain Le Diberder, directeur des programmes d’Arte depuis novembre 2012, a en charge une chaîne ambitieuse capable de se positionner judicieusement sur les séries européennes et de relancer la collection dense, Summer of, tous les week-ends de cet été. Rencontre.

Clément Gauthier : Quel bilan d’Arte pouvez-vous tirer en cette fin de saison ?

Alain Le Diberder : On est plutôt satisfaits. L’audience d’Arte continue à croître en France comme en Allemagne. Si on prend les cinq premiers mois de l’année 2014, comparés à 2013, on est en croissance de 5% en France et de 14% en Allemagne. Ça fait bientôt la troisième année que cette progression se mesure. On est à 2% de part d’audience en France et à 1% tout rond outre-Rhin. Nous ne sommes pas des concurrents de TF1 ou de la ZDF, mais on croît et, pour une chaîne historique, c’est rare.

Quels programmes ont suscité le plus de satisfaction au cours des six premiers mois de l’année ?

Cette saison est marquée par deux événements particuliers, 24h Jérusalem (des milliers de films de six secondes diffusés le 12 avril dernier, ndlr) avec une expérience unique au monde. Ce qu’il faut regarder, c’est l’audience cumulée dans les deux pays. On a attiré 4 millions de personnes qui ont passé au moins un quart d’heure à Jérusalem. Sur le plan qualitatif, tout le monde a salué la neutralité, ce qui n’est pas évident s’agissant d’Israéliens et de Palestiniens. La deuxième satisfaction, d’audience et d’image, c’est un souvenir qui va rester. Les Français et les Allemands ont réussi à faire une émission de référence sur la guerre de 1914. Pour quelqu’un dont le grand-père a fait la guerre de 14, ça a une saveur particulière. On a le symbole de l’utilité d’Arte. Les Français et les Allemands ont bossé pendant trois ans pour faire un programme qui a bien marché avec un regard commun. Ça n’a pas bouleversé le médiamat, mais symboliquement ,ça a été un aboutissement pour Arte.

Dans Summer of the 90s, vous revenez à des focus autour d’une décennie. Pour quelle raison ?

Depuis deux ans, on a choisi des thèmes, Rebels et Summer of Soul. Cette idée des années 90 était dans les tuyaux d’Arte, mais elle n’était pas mûre. Il y a eu la rencontre avec Laurent Garnier, le présentateur et Loïc Prigent, le principal réalisateur. Petit à petit, une masse critique est venue. On a tenté le coup en se disant que les années 90 n’étaient pas encore des années de référence. Elles ont un versant sombre, mais aussi un versant positif, joyeux, et créatif. Le Summer of n’est pas là pour parler de la crise, du sida, ou des basculements géopolitiques.

Comment se sont imposés les choix de Loïc Prigent et Laurent Garnier ?

On est tombé sur quelqu’un de très exigeant, impliqué et sérieux qui a voulu regarder tous les programmes. Ce n’est pas chaque année comme ça ! Quand on a vu Laurent, il n’y avait pas toute la programmation arrêtée, et il ne voulait pas s’associer à quelque chose d’inconnu. Il a tout de suite été emballé par l’idée, mais il voulait savoir où il mettait les pieds et c’était tout à son honneur. Loïc, on le connait mieux, car il fait beaucoup de choses pour nous sur la mode. Il a eu un rôle de conception d’ensemble et nous a encouragé à lancer les Summer of the 90s.

« Il ne faut pas du tout-numérique, mais du tout-télé »

Pensez-vous que le basculement dans le tout-numérique est en bonne voie sur la chaîne culturelle ?

Le numérique est partout. Le moindre prof de piano à Melun a un site web. La télévision n’a pas d’originalité par rapport à ça. Le web est comme l’oxygène. Il faut rompre avec l’idée qu’à côté d’un média principal, on a un autre truc, nommé « site web ». Il faut l’intégrer et ne surtout pas en faire une filiale ni un département.

Arte a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

On a investi beaucoup moins dans le numérique que France Télévisions, TF1 ou la ZDF , par exemple. Nous, on peut faire plus avec moins d’argent parce que, justement, on a une approche intégrée. D’autre part, il faut voir ce qu’il se passe aux États-Unis. Les franco-allemands ne sont pas dans le microcosme français ou parisien. La chaîne publique américaine PBS [Public Broadcasting Service, ndlr] ou des chaînes comme Discovery se disent que le premier écran sera, dès demain, la tablette et non plus le téléviseur. Nous, on pense que le premier écran restera la télévision très longtemps parce qu’elle est le seul moyen de regarder des émissions à plusieurs. On pourra créer toutes les inventions en terme de qualité des processeurs ou de nouveautés en terme d’écrans, dès qu’on est deux, c’est plus simple de se mettre devant un téléviseur.

Partie 2 > La politique des séries européennes et Gérard Depardieu


Comment Arte se comporte face aux nouveaux modes de consommation ?

Arte est un seul média avec trois écrans, du téléviseur, du PC et du mobile. On a pris le virage assez tôt et notre premier gain se situe au niveau des moyens. On n’a pas besoin d’investir 80 millions d’euros par an dans le numérique pour avoir de bons résultats. On n’a même pas de budget identifié sur le numérique. La deuxième chose est qu’à moyen terme, on a énormément investi en temps de formation. Chez les rédacteurs, chez les gens du marketing et du juridique. Il fallait intégrer dans l’ADN de l’entreprise le numérique et ses nouvelles contraintes. Il ne faut pas du tout-numérique, mais du tout-télé, au contraire. Il faut penser dès l’origine un bien commun, un seul média.

Les séries marchent bien sur la chaîne franco-allemande avec Real Humans, par exemple, et ses 700 000 téléspectateurs, soit 2,9% de part de marché pour le final de la saison 2, le 12 juin dernier. Est-ce un objectif clairement affiché de dénicher de nouvelles séries prometteuses ?

Tout à fait. Arte creuse son sillon avec la série européenne du jeudi. Il y a eu Borgen, Real Humans et d’autres annoncées à la rentrée. Et aussi des séries françaises comme Ainsi soient-ils. Ce sont les productions d’Arte France. L’Allemagne produit peu de séries, mais plutôt des unitaires positionnés le vendredi chez nous. En Scandinavie ou en Grande-Bretagne, on trouve de la fiction de qualité même si le marché est féroce. Au début, on était les seuls, avec les chaînes thématiques Série Club ou Jimmy, à croire en cela. Maintenant, on a des concurrents, mais on va continuer, car ça fait partie de notre mission de développement de la fiction européenne.

Quand sera diffusée la série italienne Gomorra dont vous avez acquis les droits pour une diffusion après Canal + ?

La diffusion devrait être prévue pour l’hiver. En fin d’année, on a beaucoup de choses qui arrivent. Il y a aussi une série qu’on a produite, « Alatriste », qui s’appellera « Le capitán ». On va organiser les séries pour ne pas les installer en même temps sur la grille.

« Avec Gérard Depardieu, on a un emblème connu »

Où en est le projet documentaire dans lequel Gérard Depardieu visitera les terroirs ?

C’est en tournage depuis le mois de juin. Il s’agit d’une production compliquée avec des moyens. On ne peut pas avoir un rythme de production industrielle. J’ai vu les images d’un seul épisode qui a l’air prometteur sur la nourriture, la cuisine. Arte a déjà fait pas mal de choses sur la cuisine comme manière de comprendre la culture d’un pays ou sur les regards de l’économie d’une région à partir d’une cuisine. Avec Gérard Depardieu, on a un emblème connu et un amateur de cuisine qui a un restaurant [Le Bien-Décidé, ndlr.].