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Aude Messéan (Génération AB Productions, TMC) : « On a été extrêmement jalousé »

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Rédacteur - Expert TV
Publié le 22/01/2020 à 18:53

Ce mercredi 22 janvier à 21h05, TMC diffusera Dorothée, Hélène et les garçons : Génération AB Productions. Entretien avec Aude Messéan, ex-directrice de casting de Jean-Luc Azoulay.

Benoît Mandin : Comment est née votre collaboration avec AB Productions ?

Aude Messéan : Bénédicte Laplace, auteur de Jean-Luc Azoulay, a été chargée de me recruter et ne savait pas vraiment ce qu’était une directrice de casting. L’idée était de créer une nouvelle sitcom : Premiers baisers. Après avoir été costumière de cinéma, j’ai beaucoup travaillé en tant que styliste et directrice de casting en publicité. Ce monde devenait scandaleux ! Rejoindre la télévision ne m’a pas fait peur. À mon arrivée chez AB, j’ai été chargée de trouver le remplaçant de Justine dans Salut les Musclés, Petit Gus. Pour Premiers baisers, Jean-Luc Azoulay avait juste Camille Raymond (Justine, ndlr) et Fabien Remblier (Jérôme, ndlr). Il a fallu que je trouve les parents et les copains de Justine. J’ai fait un assortiment de photos que j’avais dans mon propre fichier. Pour le papa de Justine, le modèle était le majordome de Madame est servie. La référence était également une sitcom américaine pour la maman. Mes critères de sélection étaient liés au brief donné par Jean-Luc Azoulay. Vu qu’AB était encore à ses débuts, j’ai eu besoin de montrer un peu les dents pour faire respecter certaines règles. Je suis venue pour deux semaines, je suis restée dix ans !

Avez-vous pu réellement imposer vos choix ?

Je ne peux pas prétendre connaître tous les comédiens de France. Mais j’en avais vu certains au théâtre. J’appelais les agents artistiques pour obtenir les photos et les CV. Ensuite, je proposais un pré-casting à Jean-Luc Azoulay. Mais quand on fait un casting chez lui, tout le monde a le droit à la parole. Il travaillait pour un public qui ressemblait à ses assistantes. Mais c’était titillant de voir qu’une secrétaire n’y connaissant rien était plus importante que mon oreille de directrice de casting. Cependant, je n’ai jamais eu autant de pouvoir que chez AB.

De nombreux comédiens tels qu’Alexandra Lamy, Guillaume Canet et Julie Gayet ont débuté dans les sitcoms AB. Que cela vous évoque-t-il ?

Jean-Luc Azoulay pouvait craquer sur un guest et le faire réapparaître un peu partout. C’est comme ça que Mallaury Nataf a réintégré Les Mystères de l’amour. Jean-Luc Azoulay est très fidèle et paternaliste. S’il apprend qu’un jeune est dans la galère, il va immédiatement lui tendre la main. Je me souviens d’une Ève qu’il adorait. Dès qu’il y avait un truc, c’était pour elle. Le fait d’être arrivée aux débuts d’AB m’a permis de présenter énormément de gens pour Cas de divorce (série produite pour la Cinq en 1991, ndlr). On m’a demandé de les recaser dans d’autres sitcoms. Les contrats d’AB n’étaient pas faciles à vendre et les sitcoms étaient très dénigrées. Quand je me retrouvais avec des personnes du métier, certains ne me parlaient plus parce que je travaillais pour AB. On a été extrêmement jalousé et regardé comme les parents pauvres de la profession. Il y a des jours où je partais d’AB en larmes... TF1 avait mauvaise réputation et Jean-Luc Azoulay / Claude Berda en avait une sulfureuse. Il fallait se battre contre tout ça et faire des castings dont on n’a pas honte. Alors qu’ils étaient jeunes adolescents pour certains, j’ai quand même fait travailler Laurent Laffite, Guillaume Canet, Hélène de Fougerolles, Julie Gayet ou encore Alexandra Lamy. Je connais mon bon oeil et j’ai sorti des jeunes formidables. Aujourd’hui, toute la France reconnaît qu’ils sont d’excellents comédiens.

« J’ai vite compris que Jean-Luc Azoulay voulait plus des mannequins que des comédiens »

Pour Premiers baisers, comment est venue l’idée de la voix d’Annette ?

J’ai trouvé Magalie Madison, mais la voix d’Annette est l’idée de Jean-Luc Azoulay. On l’a travaillée au casting. Magalie Madison s’en moquait, c’était une jeune fille qui n’aspirait pas à être comédienne. Le modèle de Jean-Luc Azoulay était Laurence Badi (interprète de Tante Marthe dans Le miel et les abeilles, ndlr). Mon objectif était de trouver la Laurence Badi de 16 ans. Magalie Madison était trop géniale !

Jean-Luc Azoulay revendique une envie de recruter uniquement des comédiens débutants. Était-ce également votre envie ?

C’est une réalité, Jean-Luc Azoulay avait un modèle américain où les filles s’apparentaient à des mannequins. En France, des gens très malintentionnés disent qu’une comédienne est un mannequin raté. Je trouve ça lamentable ! J’ai vite compris que Jean-Luc Azoulay voulait plus des mannequins que des comédiens. Je me suis donc tourné dans des fichiers de débutants, de figurants et dans des cours d’apprenti comédien. De nombreux acteurs aujourd’hui reconnus ont été virés par Jean-Luc Azoulay parce qu’il n’a pas su cerner le potentiel.

Auriez-vous pu engager Hélène Rollès ?

Ce n’est pas le type de jeune fille qui m’aurait inspiré et attiré l’oeil. Et je n’aurais jamais pu tomber sur Hélène Rollès puisqu’elle n’était pas destinée à ce métier. Elle travaillait au service courrier d’AB Productions.

Hélène Le Moignic et Dan Simkovitch, respectivement Magalie et Madame Bellefeuille des Filles d’à côté, ont assuré avoir vécu un enfer chez AB Productions...

Déjà, on ne peut pas les assimiler. Hélène Le Moignic est une personne qui a des troubles d’équilibre ne datant pas d’AB. Elle a toujours été mal à l’aise, car Christiane Jean et Cécile Auclert étaient des comédiennes chevronnées. Bien que belle, Hélène Le Moignic n’était pas très bonne. Quand sur le tournage, on refait sans cesse des scènes parce que vous avez été mauvais, les professionnels ne sont pas contents... Même si je ne suis pas psychiatre, on peut dire qu’elle est devenue parano. Elle a commencé à avoir de bons gros délires sur le fait qu’elle recevait des gerbes de fleurs avec des papiers noirs et des menaces de mort. Je ne l’ai jamais vue et j’ai beaucoup de mal à y croire. Ce n’est pas sympa de cracher dans la soupe, car elle n’a jamais rien fait d’autre. De son côté, Dan Simkovitch était une femme obèse et je le suis devenue aussi. On est susceptibles face à des critiques sur notre poids, car ce n’est pas toujours voulu, mais subi. Comme Jean-Luc Azoulay venait du showbiz où on aime bien forcer les traits et marquer très fort les différences, il n’y avait pas toujours beaucoup de délicatesse dans l’écriture. Dan Simkovitch en a pris plein la tête par rapport à son poids et son physique. J’ai dû faire modifier le texte pour le casting, car c’était absolument impossible de le montrer aux candidates. C’était marqué : « Une grosse dame très laide débarque dans la salle de sport ». Elle s’est très vite rendu compte qu’on se foutait de sa gueule. Elle est restée quelques années et quand vous vous êtes moqué de la personne sous tous les angles, vous changez de comédienne. Qu’elle en ait eu ras le bol à un moment donné, je peux comprendre...

« Dire qu’il n’y avait que des mauvais comédiens, c’est absolument faux ! »

Vingt-cinq ans après l’épopée AB, Hélène et les garçons continuent de passionner les Français à travers Les Mystères de l’amour sur TMC. Comment analysez-vous cette incroyable longévité ?

Ça a été un phénomène de société. Marc Esposito, qui n’avait pas encore réalisé Le coeur des hommes, était critique dans Casting Magazine. Il a été le seul professionnel à écrire de manière intelligente sur les sitcoms et Hélène et les garçons. C’était une bouffée d’air frais, tous les autres « gros cons », sous prétexte d’avoir fait trois castings ringards, se permettaient de ne pas vous serrer la main à des projections privées… Marc Esposito a titré « Hélène et les garçons ou du Rohmer réussi ». Eric Rohmer est un metteur en scène de la nouvelle vague. Ses films n’ont jamais eu un succès extraordinaire. La presse en parlait parce que c’était nul, mais c’était fantastique. Marc Esposito est parvenu à comprendre le phénomène qui se jouait avec Hélène et les garçons et finalement vu que c’était réussi, on était critiqué. Même si je ne partage pas cet avis, j’ai compris avec le temps que ma susceptibilité était mal placée. Je n’aurais jamais été capable de faire des sitcoms ce qu’elles sont devenues avec Jean-Luc Azoulay. Si on regarde ces séries objectivement, il y a énormément d’excellents comédiens qui ont joué dedans. Des acteurs confirmés du théâtre ou autre ont rejoint les sitcoms AB dès le début. C’était le cas de Bruno Le Millin et Christiane Ludot, les parents de Premiers baisers. Dire qu’il n’y avait que des mauvais comédiens, c’est absolument faux ! Le succès d’AB Productions a énervé tout le monde.

À l’arrêt du Club Dorothée et des sitcoms en 1997, avez-vous tourné la page AB ?

Je suis partie en 1999. Il y a eu un plan social et comme j’étais au comité d’entreprise, j’ai été chargée de protéger l’ensemble du personnel. Cela n’a pas été simple puisque mes anciens employeurs devenaient mes « ennemis ». Je n’ai pas été licenciée, j’ai demandé à partir en considérant que c’était le bon moment pour me remettre à mon compte. Quand j’ai quitté AB, j’étais extrêmement fatiguée du plan social qui avait duré près d’un an et demi. Dans les premiers textes que j’ai reçus pour faire des castings en indépendante, j’ai en fait un dans lequel j’ai donné un rôle très important à un comédien que personne n’avait vu : Gaspard Ulliel. Il était dans le casting depuis un mois et personne ne l’avait remarqué. Pendant les trois semaines de préparation, le metteur en scène m’a traité comme de la « merde ». Il ne me parlait pas en direct, mais à son assistante. Et tout ça parce que je venais d’AB... J’ai sombré dans une grosse déception. Grâce à Bénédicte Laplace, personne qui m’a embauchée chez AB, j’ai pris un nouveau départ. Elle m’a parlé d’une association espagnole, dont le principe était de mettre en relation des étudiants en recherche d’hébergement avec des personnes âgées. Après quinze ans, une loi vient de passer pour garantir notre travail. Je suis présidente d’un réseau d’une quarantaine d’associations à travers toute la France. Longtemps après mon départ d’AB, j’ai revu à de nombreuses reprises Sébastien Courivaud (interprète de Sébastien dans Hélène et les garçons, ndlr) et je suis admiratif de son travail. C’est un photographe super talentueux !