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Catherine Ceylac (Thé ou café, les 20 ans) : « Tout le monde peut s’identifier aux blessures, aux fragilités et aux doutes de certains invités »

Léopold Audebert
Publié le 27/05/2016 à 19:14 Mis à jour le 27/05/2016 à 23:30

Générique culte, invités prestigieux, séquences mémorables… Il y a deux décennies déjà, Thé ou café débarquait sur France 2. Depuis, le rendez-vous bihebdomadaire de Catherine Ceylac a fait du chemin, tout en se renouvelant, et s’est imposé comme l’un des programmes les plus emblématiques de la chaîne du service public. Rencontre de bon matin avec celle qui, depuis 1996, réveille les Français avec sourire et enthousiasme.

Léopold Audebert : Vous vous apprêtez à fêter les vingt ans de Thé ou café, ce samedi 28 mai, à partir de 10 heures. Pour l’occasion, vous serez en compagnie de cinq humoristes, Sophia Aram, Philippe Geluck, Isabelle Mergault, Anne Roumanoff et Elie Semoun. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Catherine Ceylac : C’est un véritable cadeau ! Ces humoristes vont effectivement m’accompagner pour une émission XXL. Habituellement, Thé ou café s’étend sur quarante minutes ; là, l’émission en comptera trente de plus ! Elles seront évidemment consacrées aux vingt ans, c’est-à-dire aux moments les plus marquants, avec toutes les personnalités très prestigieuses que j’ai pu recevoir. Ça va de Jane Fonda, à Jeanne Moreau, Gina Lollobrigida, Rania de Jordanie… Donc vraiment des personnalités internationales, et puis aussi, bien sûr, hexagonales : des politiques, des artistes ou encore des sportifs. Et ces cinq humoristes vont m’aider à ce que l’émission soit très festive et joyeuse. Je ne voulais surtout pas sacraliser ce moment, mais qu’il soit un peu déjanté, délirant, et dans lequel on puisse, peut-être même, me tacler et me parodier.

Comment expliquez-vous la pérennité de votre rendez-vous, qui continue, année après année, de réaliser de bonnes performances ?

Je pense que le programme a beaucoup changé. On ne transforme pas une émission seulement en remplaçant le générique, mais le ton aussi a évolué. Si vous revoyez les deux premières émissions, elles sont évidemment beaucoup plus monocordes, moins rythmées et le questionnement n’est pas le même. On a rendu Thé ou café extrêmement contemporaine.

Selon vous, le mélange d’interviews intimistes en plateau et de reportages extérieurs contribue-t-il également à ce succès ?

Je dis toujours à mon équipe que c’est un peu une émission laboratoire. Je pense d’ailleurs qu’on a été un peu copié, que ce soit le « Dos à dos » ou la journée de reportage qu’on fait en amont avec les invités. On doit être la seule émission où l’on fait vraiment un « reportage-surprise ». Ça peut être Julien Doré, qu’on a amené chez un dresseur d’ours, Laurent Gerra, qui a découvert la Seine avec la brigade fluviale, Christophe Lambert, que l’on a accompagné dans un avion, un Fouga Magister… De plus, je pense qu’on se démarque parce que c’est aussi un tête-à-tête, à l’heure où beaucoup d’émissions sont très collégiales, avec beaucoup de chroniqueurs, des rubriques, du public... J’ai opté, depuis le début, à ce que ce soit vraiment l’invité qui soit le principal, la personne prépondérante. Et non pas un clan ou une bande. Je voulais valoriser une personnalité qu’on découvrait. En bien ou en moins bien, après ce sont aux téléspectateurs de juger, mais rentrer dans son intimité, et recueillir des confidences.

Comment définiriez-vous votre « style » de présentation ?

Il me semble que je suis dans l’empathie. En tout cas, très sincèrement, je le suis, et j’espère que ça se ressent aussi. J’ai beaucoup d’intérêt pour les autres, parce que, presque égoïstement, je me nourris aussi d’eux, je m’en sers dans ma propre vie. Les personnes que je reçois ont souvent été blessées, notamment les artistes, qui le racontent bien. Vous savez, l’enfance n’est pas linéaire. Et comme je commence toujours l’interview en posant des questions sur cette période de la vie, cela permet aussi à chacun de se débarrasser un petit peu de son self-control. Quand on parle de parents qui se sont séparés, de jeunes qui ont connu la maladie, qui ont été mis en pension très jeunes, ou qui ont connu des violences parentales, les barrières tombent. Cela permet d’aller au plus proche de la vérité et de l’authenticité.

« Je dis toujours à mon équipe que c’est un peu une émission laboratoire »

Dans une époque toujours plus ancrée dans l’instantanéité et dans l’immédiateté, comment définiriez-vous le temps long qui vous est accordé chaque semaine sur France 2 ?

C’est un grand privilège. Il est lié, justement, à ce concept de vouloir un face à face avec une seule personne. Lorsque celle-ci peut approfondir, évidemment, on peut développer ses idées. Je ne suis pas du tout à la recherche de la petite phrase. Je souhaite, au contraire, obtenir le portait le plus proche de la personne, et, surtout, que ses défenses tombent. C’est ça qui m’intéresse ! Donc, dans la longueur, nécessairement, le vernis craque à moment donné. On ne peut pas être sous contrôle pendant une heure.

Pourquoi choisir de ponctuer régulièrement vos interviews de différents « happenings » ?

J’aime bien qu’il y ait de la légèreté, avec des épreuves. Je demande souvent aux invités de rester seul sur le plateau, pendant une minute. C’est alors intéressant de voir ce qu’ils y font, et la manière dont ils profilent de cette minute, car elle est très révélatrice de la personnalité de l’être qui est présent. Et puis, je leur demande également des choses décalées ! Je me souviens très bien, par exemple, d’avoir proposé à Luc Ferry, le philosophe, de repasser sa chemise, ou même à Claudia Cardinale de passer l’aspirateur ! Le fait que ce soient des personnes sous le feu des projecteurs, mais qui, néanmoins, sont des hommes, des femmes, comme ceux qui nous regardent, me plait beaucoup. J’aime penser qu’on tend la main aux téléspectateurs. C’est-à-dire que vous être devant votre écran, mais vous n’êtes pas étrangers à ce qui se passe. Vous pouvez aussi vous retrouver. Par exemple, je pense que tout le monde peut s’identifier aux blessures, aux fragilités et aux doutes de certains invités.

Diriez-vous aussi que le décor, proche d’un loft chaleureux, vous aide à recueillir des confessions, auxquelles d’autres confrères, sur des plateaux « classiques », n’auraient pas accès ?

Le décor y est pour beaucoup. D’autant qu’il change pour chaque invité. C’est quand même très rare de ne pas avoir un décor permanent, on a un mobilier qui change en fonction de la personnalité de l’invité. Et aussi, on expose des artistes.

D’où vient cette volonté d’accorder une place à l’art dans chaque numéro de Thé ou café ?

Je trouve que c’est quand même invraisemblable que l’art plastique n’ait pas sa place à la télévision. Pourtant, les Français aiment l’art ! Ils vont dans les musées, on voit les fils d’attente devant le Louvre ou encore au Grand Palais pour admirer la peinture, la peinture contemporaine, et la FIAC a un succès incroyable ! Donc depuis vingt ans, je propose à des artistes de pouvoir exposer leurs œuvres sur notre plateau. Et chaque samedi, et chaque dimanche, il y a un artiste différent, avec une actualité à Paris, ou, bien sûr, en province.

« On a rendu Thé ou café extrêmement contemporaine »

Quelle est la durée moyenne de fabrication d’un numéro ?

Trois semaines. J’ai une équipe de douze personnes environ, dont cinq journalistes, et donc chacun prend en charge la responsabilité d’un dossier en lien avec l’invité.

Quelles sont les principales étapes de son élaboration ?

D’abord, tous les invités remplissent un questionnaire, qui nous permet d’avoir des pistes sur ce qu’ils aiment, leurs goûts musicaux, les gens qu’ils aimeraient rencontrer ou nous faire rencontrer. Ensuite, on leur prépare cette fameuse « journée surprise », dans un lieu inédit, souvent un endroit de rêve pour eux. Et puis, nous avons également un portrait croisé à préparer, avec une ou deux personnes, proches de leur environnement familial, personnel ou amical. Et, en parallèle, une rétrospective, qui permet de les situer sur un plan professionnel, par des images d’archives. Donc, en fait, il y a quand même pas mal de travail, sans compter ce qui va se passer en plateau, les surprises…

Avec vingt ans d’antenne, comment parvenez-vous à ne pas lasser le public ?

À chaque fois, il faut que ce soit une musique différente, pour ne surtout pas lasser les téléspectateurs ! D’autant plus que ce sont souvent des personnes très fidèles à Thé ou café qui, le samedi et le dimanche sont là, d’une manière très régulière. Et je trouve que le plus joli cadeau, c’est quand j’entends un téléspectateur me dire, parce que je les appelle souvent quand ils m’envoient leur numéro de téléphone, qu’il est ravi. Je les appelle, parce que ça me permet aussi d’étudier ceux qui me regardent ; c’est ma petite étude à moi ! Il y a un service des études à France 2, j’ai aussi le mien (rires). Cela me permet, effectivement, de les avoir en contact direct, de leur poser des questions sur ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, les invités qu’ils aimeraient voir sur le plateau, leurs idées… Et puis je pense que ça les surprend aussi ! Donc dans les deux sens, c’est un partage, et c’est un vrai bonus. Je le fais d’une manière extrêmement régulière, et puis j’aime bien l’idée : « Bonjour, c’est Catherine Ceylac ! » (rires) « Non, c’est une blague… » « Mais non, ce n’est pas du tout une blague, je voulais parler avec vous ! » (rires)

De nos jours, de nombreuses émissions d’interviews intimistes avec des personnalités sont diffusées à la télévision. C’est notamment le cas de Frédéric Lopez, que vous avez reçu en janvier dernier, et qui vous a également invité, au début de ce mois de mai, dans Folie passagère. En quoi vous différenciez-vous ?

Cela ne vous aura pas échappé, le genre, le sexe n’est pas le même ! (rires) C’est une blague, mais, cela dit, ça joue un peu quand même. Si on y réfléchit un peu, je pense que, quand on est un homme ou une femme, on ne pose pas les mêmes questions ! Frédéric est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, c’est pour cette raison que j’ai accepté d’aller dans son émission. Je le trouve très bienveillant, et je pense que la bienveillance joue beaucoup. Lui aussi aime bien qu’il se passe des choses, qu’il y ait des surprises, que ce soit décalé et que ce ne soit pas statique. Mais on a des styles et des questionnements différents. Je pense qu’on se différencie essentiellement par la personnalité, le vécu et le ressenti. Dans mon questionnement, il y a beaucoup de questions qui ont trait au féminisme, parce que je suis féministe. Je pense que, sur cette planète, la domination est toujours masculine ; donc j’ai toujours un questionnement autour de ça, pour les hommes, comme pour les femmes.

En tant que productrice de l’émission, êtes-vous à l’origine du choix des invitations ?

Totalement. Je produis l’émission, je crée et je suis rédactrice en chef. C’est ce qui m’offre une liberté totale. De A à Z, je conçois l’émission. Si quelque chose n’est pas bien, je ne peux m’en prendre qu’à moi ! (rires)

Tout au long de ces vingt années d’antenne, vous avez reçu différentes personnalités politiques. À l’approche de l’élection présidentielle, avez-vous imaginé un dispositif particulier ?

Malheureusement, aujourd’hui, avec les règles du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, ndlr), on est contraint à recevoir tous les partis dans la même émission. Et comme je ne souhaite pas recevoir les extrêmes…

« Je ne suis pas du tout à la recherche de la petite phrase. Je souhaite, au contraire, obtenir le portait le plus proche de la personne, et, surtout, que ses défenses tombent »

Quel rapport entretenez-vous avec l’audience ?

On a cette chance, à France Télévisions, de ne pas avoir trop avoir la tyrannie de l’audience. Je réalise des bons chiffres qui me protègent. Si l’émission dure depuis vingt ans, il ne faut quand même pas être naïf non plus, c’est parce que les chiffres sont bons ! Même sur le service public, on y prête attention. Mais on laisse du temps au temps. Moi, on m’a laissé beaucoup de temps pour que Thé ou café devienne un véritable rendez-vous ! (rires) C’est pour ça que ça a pris d’ailleurs. Peut-être que les premiers mois, sur une autre chaîne, on aurait arrêté, et donc, il n’y aurait pas eu cette suite qui est quand même très positive. Je crois beaucoup au service public, qui laisse du temps au temps. Ça permet de faire démarrer une émission de manière constructive. Je suis reconnaissante à la chaîne. Et puis, il y a des week-ends où ça marche mieux que d’autres, en fonction, aussi, de la météo. Mais la chaîne observe l’ensemble de l’année, et n’est pas à la loupe en train de regarder, week-end par week-end. C’est peut-être ça la véritable différence. Enfin, on me fait confiance. J’ai rencontré Delphine Ernotte récemment, elle est venue sur le plateau, je lui ai présenté l’équipe, on s’est parlé et je suis sortie sereine de son bureau.

Aujourd’hui, souhaiteriez-vous évoluer dans de nouveaux projets à la télévision ?

Oui, j’aimerais bien faire du documentaire ! Même si l’émission va dans la profondeur, et qu’elle est longue, parfois, je suis néanmoins frustrée par le timing. J’aimerais, à certains moments, m’arrêter sur des personnalités, d’une manière plus longue. Ou faire des portraits. Je trouve que c’est un travail très intéressant !

Avez-vous d’autres projets actuellement en discussion sur France 2 ?

Il y a des choses, mais c’est trop frais pour en parler : rien de tangible pour l’heure.

D’autres aventures vous tiennent-elles également à cœur ?

Il y a deux choses qui me taraudent. D’abord, la radio. Parce que j’ai commencé le matin à France Inter et à Radio Bleue, qui est devenue ensuite France Bleue, et j’aimais beaucoup ça. Je trouve que c’est quand même le média le plus libre qui soit. Et puis le théâtre ! Parce que j’ai aussi démarré par là, et j’aimerais bien « boucler la boucle » en en refaisant. Avant que, malheureusement, Jean-Pierre Coffe ne s’en aille, on avait fait des lectures tous les deux, de textes qu’on avait choisi l’un et l’autre et on avait le projet de recommencer. On ne va pas se cacher les yeux ; sur les plateaux télé, on fait de l’info, mais aussi du spectacle. Donc, parfois, on est proche de la scène. Mais ce qu’il manque c’est la présence physique. Le public, on sait qu’il est là, on le regarde à travers l’œil de la caméra, mais je trouve qu’il y a une petite frustration de ne pas avoir les ressentis, les rires ou les émotions. Je comprends, d’ailleurs, qu’aujourd’hui beaucoup d’animateurs et de journalistes ressentent cela : je pense à Patrick Poivre d’Arvor, à Claire Chazal qui a fait des lectures, à Stéphane Plaza ou encore Jean-Luc Reichmann qui font du théâtre. Vraiment, la télé est un média formidable, mais on a aussi envie de prendre un tout petit peu plus de risques avec l’approbation, ou la désapprobation du public qui nous regarde. (rires)

« Je crois beaucoup au service public, qui laisse du temps au temps »

À la manière de votre « Dos à dos », voici à présent une série de questions « du tac au tac ».

- En vingt ans, un de vos plus beaux souvenirs ?
Fleury-Mérogis, dans une cellule de détenu. Ce n’est peut-être pas le plus beau, mais le plus marquant en tout cas.

- Un de vos plus mémorables fous rires ?
Avec Emmanuelle Béart ; on était sous la table.

- Une de vos plus grosses frayeurs ?
Que l’invité ne soit pas au rendez-vous.

- Un invité que vous enviez en secret ?
Le Pape François m’intéresse.

- En vingt ans, avez-vous eu un regret ?
Ne pas avoir rencontré Barbara, la chanteuse.

- Un remord ?
Non, ça ne me correspond pas du tout.

- Un mot pour qualifier votre métier ?
Enthousiasmant.

- Avez-vous déjà refusé de recevoir quelqu’un dans Thé ou café ?
Les extrêmes.

- L’émission télé que vous appréciez personnellement et que vous pourriez présenter ?
J’aime beaucoup The Voice.

- Au contraire, celle que vous ne vous souhaiteriez jamais animer ?
Commenter un match de foot.

- L’éternelle question, êtes-vous plutôt thé ou plutôt café ?
Chocolat ! (rires)

« Si quelque chose n’est pas bien, je ne peux m’en prendre qu’à moi ! »

Pour conclure, et encore à la manière de votre émission, vous avez une minute pour exprimer ce que vous souhaitez, à propos du programme, ou d’un tout autre sujet. C’est à vous…

Quelques secondes pour vous dire que la vie est faite de difficultés, de hauts, de bas. Que la télévision peut être quelque chose qui console. Que, dans Thé ou café, on essaie d’être aussi plein d’espérance et de joie de vivre pour vous accompagner, chaque samedi et dimanche matin. Pour, peut-être, parfois vous aider, quand on se réveille et qu’on n’est pas de bon poil, ou qu’on a le cœur en berne. Qu’on essaie de vous faire passer des messages, que, j’espère, vous entendez bien, et qui vous plaisent. Que la vie est peut-être difficile à certains moments, à certaines périodes, et puis, qu’à d’autres, on se dit que ça vaut franchement le coup d’être ici. Alors, partageons ensemble ! On continue ! Je sais que tous ceux qui regardent Thé ou café sont d’une grande fidélité, et je leur en suis très reconnaissante.