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Des Hommes de l’ombre à Borgen, les séries politiques changent de visage

Claire Varin
Publié le 31/01/2012 à 19:58 Mis à jour le 08/02/2012 à 14:20

Alors qu’il est de tradition de dire que les Français, à la différence d’Hollywood, ne savent pas s’approprier leur histoire politique, ce dernier quinquennat a finalement réveillé le cinéma (La conquête, L’exercice du pouvoir, Pater...) et la télévision (Mort d’un président, Changer la vie...) À quelques mois de l’élection présidentielle 2012, France 2 profite de l’ébullition politique du pays pour lancer sur son antenne Les hommes de l’ombre. Série événement sur les coulisses du pouvoir. Ce choix de coller à l’actualité (à 100 jours du scrutin) se révèle judicieux puisque le premier épisode a rassemblé 5.4 millions de téléspectateurs et 19.5% du public, mercredi 25 janvier.

Très bien accueillie par la presse (louant son efficacité narrative), la série de six épisodes est signée Dan Franck (Jean Moulin, Le Rainbow Warrior, Carlos) et réalisée par Frédéric Tellier (Les Robins des pauvres). « L’idée de départ est celle d’une élection présidentielle vue par des conseillers en communication. L’intérêt pour moi était qu’à partir de ce point de vue, j’avais la possibilité de montrer le fonctionnement du monde politique sans chercher à donner de leçons ou de conseils aux gens. La vie politique est un terreau d’une grande richesse sur lequel on peut construire un cadre dramatique », explique le scénariste. Ce cadre dramatique est des plus tragiques puisqu’il débute par l’assassinat du Président de la République, forçant l’organisation d’une élection anticipée. Les Hommes de l’ombre expose alors l’envers du décor, dans un match d’égos et de valeurs entre un spin doctor, incarné par Bruno Wolkowitch, et son ancien poulain (Grégory Fitoussi). Entre deux références faites à des situations historiques (on cite notamment Jacques Chirac et Édouard Balladur), la série filme les tensions et les jalousies dans les coulisses du pouvoir. Le tout sur fond de mensonge d’État.

Ce qui semble nouveau pour la France et la chaîne publique, d’autres pays l’ont déjà exploré avec plus de profondeur. Ainsi, dès le 9 février, Arte proposera en prime time Borgen, série politique très populaire au Danemark depuis 2010 (1.5 million de téléspectateurs sur la chaîne publique DR1, pour 5.5 millions d’habitants). Après la série policière The Killing, le brillant travail des Danois vient, une nouvelle fois, jusqu’à nous.

Certes, les séries américaines restent le modèle du genre. Adam Price, créateur de Borgen, ne cache pas l’influence d’A la Maison Blanche d’Aaron Sorkin (la série politique de référence). Mais, il précise qu’A la Maison Blanche l’inspire comme toute série de grande qualité, au même titre que d’autres productions telles que Mad Men ou The Wire. Car, dans sa structure, la série d’Aaron Sorkin parle « grossièrement d’une équipe de football où chacun joue pour le Président. » Borgen, elle, dépeint « les trois colonnes de la démocratie moderne : les politiciens, le système et les journalistes. » La série danoise rappelle une autre fiction politique de référence, cette fois britannique, State of play. Pourtant, Adam Price jure ne pas avoir regardé la mini-série de la BBC. Borgen (qui signifie le château, est le surnom donné au siège du Parlement danois) plonge dans les rouages de la démocratie, faisant écho à des sujets et des scandales qui secouent le Danemark, et raconte la conquête du pouvoir d’une femme et son combat pour s’y maintenir.


Parfois, la fiction et le réel se rejoignent. La fiction peut même être éducation et anticipation. On sait qu’Anne Consigny (L’État de Grace, 2006) n’a pas aidé Ségolène Royal en 2007. Et bien que Geena Davis (Commander in Chief, 2005) ait affirmé que les États-Unis étaient prêts pour élire une femme au poste suprême, les Américains n’ont toujours pas fait ce choix. Tandis qu’au Danemark, la question s’est posée. En effet, en septembre dernier, les Danois ont - pour la première fois - élu une femme (Helle Thorning-Schmidt) à la tête du gouvernement. Comme Robert Cochran et Joel Surnow avec le Président Palmer (président afro-américain dans 24 heures chrono), Adam Price se refuse à dire que son héroïne ait pu influencer ses concitoyens, préférant souligner celle des pays voisins plus progressistes (Islande et Norvège).

Borgen, Commander in Chef et Les hommes de l’ombre ont ce point commun d’avoir choisi des actrices de cinéma. Mais, à la différence des deux premières, le personnage de Nathalie Baye n’est pas central dans la série française. Quand Birgitte Nyborg Christensen et Mackenzie Allen font face aux difficultés de l’exercice du pouvoir, Anne Visage apprend l’assouplissement des épaules pour mieux prononcer ses discours. Dans cette conquête du pouvoir, ce personnage de candidate ne soulève que très rarement la question de la femme en politique. Elle n’est pas au cœur du propos de Dan Franck, qui avoue s’être « à peine poser la question, avoir presque oublié qu’il y a un homme et une femme en jeu : s’ils se distinguent l’un de l’autre, c’est surtout par leurs méthodes, leurs histoires, leurs morales ou encore leurs expériences. » Anne Visage est une secrétaire d’État façonnée par un spin doctor. Comme le titre l’indique, dans Les hommes de l’ombre, la politique reste une affaire masculine autour de laquelle gravitent des personnages féminins assez ingrats (l’amoureuse dépressive et désespérée, la journaliste empêchée).

Si le succès des Hommes de l’ombre se confirme, les séries politiques pourraient avoir une vraie place dans la production française. À commencer par le développement d’une seconde saison pour France 2. Tandis que le téléfilm (réalisé Antoine De Caunes pour Canal+) sur le parcours d’une femme politique bien réelle, Yann Piat, devrait affirmer cette tendance de l’année 2012.